La hausse des salaires risque de plonger l'Europe dans une spirale inflationniste, selon le chef économiste de la BCE

Par latribune.fr  |   |  864  mots
Philip Lane estime que la hausse des salaires qui se fait ressentir en Europe va tirer l'inflation vers le haut (Crédits : GONZALO FUENTES)
Le chef économiste de la banque centrale européenne a déclaré vendredi que la hausse des salaires en zone euro maintiendrait l’inflation à un niveau élevé et ce même après la fin de la pandémie et de la crise énergétique.

La guerre contre la hausse des salaires est enclenchée. Le chef économiste de la Banque centrale européenne Philip Lane a déclaré ce vendredi sur le site de la BCE que la croissance des salaires va continuer d'alimenter l'inflation en zone euro « même après que les facteurs énergétiques et pandémiques auront disparu ». En cause pour l'économiste : la hausse des salaires qui « sera le principal moteur de la hausse des prix au cours des prochaines années », écrit-il. Pour l'institution de Francfort monter les salaires dans les pays de la zone euro plongera les économies dans une spirale inflationniste, alors que l'inflation a déjà grimpé jusqu'à 10,6% sur un an en octobre.

La BCE a en effet peur qu'une hausse des salaires, due à la hausse du coût de la vie, entraîne en retour une hausse des coûts de production pour l'entreprise qui, pour éviter de réduire ses marges bénéficiaires, la répercutent sur ses produits, alimentant une nouvelle hausse des prix, et créant ainsi une boucle ressemblant à un cercle vicieux duquel il est difficile de s'extirper sans une forte hausse des taux.

Une théorie qui, si elle semble logique, est pourtant contestée par une étude publiée par plusieurs économistes du Fonds monétaire international. Ces derniers affirment en effet qu'augmenter les salaires n'induit pas systématiquement une spirale inflationniste.

Les salariés en demande d'augmentations

Spirale ou non, toujours est-il que la hausse des salaires est aujourd'hui actée.

D'après Philip Lane, les dernières négociations contractuelles ont pour l'instant abouti à une augmentation de salaire en moyenne de 3,8% pour 2022 et de 3,5% pour 2023. En Allemagne, près de 4 millions de salariés du secteur industriel, dans l'électronique et la métallurgie, ont obtenu vendredi une hausse de salaires de 8,5% sur deux ans.

Des hausses de salaires qui correspondent, selon Philip Lane, « en grande partie à un processus de rattrapage, consécutif à la baisse des salaires réels qui s'est produite depuis le milieu de 2021 », quand les prix de l'énergie et des matières premières ont fait flamber l'inflation globale et rogné le pouvoir d'achat.

Si en Europe, la hausse systématique des salaires commence à se voir et à inquiéter la banque centrale, aux Etats-Unis ce phénomène est d'une toute autre ampleur.

Une situation plus alarmante aux Etats-Unis

Outre-Atlantique, le phénomène de la grande démission a même vu 47 millions d'Américains quitter leur emploi en 2021 et 20 millions au cours des cinq premiers mois de l'année 2022, tirant vers le bas la production, déjà faible.

Résultat : le salaire horaire moyen dans le privé a grimpé, et s'établit désormais à 31,63 dollars, soit 23 cents de plus qu'en décembre. Au final, les salaires ont augmenté de 5,7% au cours des 12 derniers mois dans le pays.

« Le déséquilibre entre l'offre et la demande de travailleurs, qui exerce une pression à la hausse sur les salaires, est un facteur clé derrière les plans de la Fed (la banque centrale américaine, Ndlr) de continuer à augmenter agressivement les taux directeurs », a expliqué Nancy Vanden Houten économiste pour Oxford Economics, dans une note.

C'est donc les tensions sur le marché du travail américain et les salaires qui ont poussé la Réserve fédérale américaine a relevé quatre fois de suite depuis juin ses taux. Désormais, le taux directeur de la banque centrale américaine oscille entre 3,75% à 4%, un niveau inédit depuis la crise financière de 2008.

La hausse des taux contre la hausse des salaires

Pour l'économiste en chef de la Banque centrale européenne, la hausse des salaires qui arrive en Europe ne correspondra pas à « un changement permanent dans la dynamique des salaires nominaux », estime Philip Lane. Ce dernier s'attend à « ce que les salaires nominaux progressent au rythme correspondant à la somme de la croissance de la productivité du travail et de l'objectif d'inflation de 2% », ajoute-t-il.

C'est dans cette optique de retourner progressivement à un rythme contrôlé de hausse des salaires que la BCE souhaite continuer de monter ces taux. La gardienne de l'euro a récemment augmenté les taux à son rythme le plus rapide jamais enregistré, les relevant d'un total de 200 points de base depuis juillet et portant son principal taux à 1,5% en seulement trois mois.

L'économiste en chef de l'institution a déclaré dans une interview à Market News, le 21 novembre  : « Je ne pense pas que décembre sera la dernière hausse des taux ». Mais Philip Lane estime que « la BCE ne va pas « envisager une très grande hausse, comme 75 points de base », étant donné que l'institution prévoit une entrée en récession cet hiver. Une récession qui bien que « légère et de courte durée », d'après l'économiste, devrait freiner la dynamique de hausse des salaires et l'inflation.

(Avec AFP)