La hausse des salaires n'accélère pas l'inflation

A partir d'une étude empirique, des chercheurs du FMI concluent qu'une hausse des salaires ne conduit pas à enclencher une spirale salaires-prix rendant l'inflation incontrôlable. Mais les décideurs politiques préfèrent des mesures transitoires et laisser chaque entreprise mener ses négociations salariales pour s'ajuster à une hausse générale des prix qui, montre l'étude, ne s'installe pas dans la durée.
Robert Jules
(Crédits : Reuters)

« Nous ne sommes pas dans une économie administrée », répondait à la fin du mois dernier, Emmanuel Macron, à ceux qui réclamaient une indexation des salaires sur l'inflation (+6,2% sur un an en octobre). Le président justifiait son refus en avançant qu'une telle mesure était de nature à « entretenir la hausse des prix » et créer « une boucle qui ne s'arrête plus », la fameuse « spirale salaire-prix ». En juillet déjà, annonçant le premier relèvement des taux directeurs après huit années de taux négatifs, Christine Lagarde, la présidente de la Banque centrale européenne (BCE), indiquait veiller à éviter que s'enclenche « une spirale salaire-prix, comparable à celles qui, par le passé, ont conduit à une inflation incontrôlable ».

Lire aussiBCE : jusqu'où porter les taux pour ramener l'inflation à 2% ? Et faut-il s'accrocher à cet objectif ?

A première vue, une évidence

Cette crainte d'un tel phénomène est-elle fondée ? A première vue, oui. Une hausse générale des prix augmente le coût de la vie et réduit le pouvoir d'achat des ménages qui en retour demandent une augmentation compensatoire de leurs revenus. Cela entraîne en retour une hausse des coûts de production pour l'entreprise qui, pour éviter de réduire ses marges bénéficiaires, la répercutent sur ses produits, alimentant une nouvelle hausse des prix, et créant ainsi une boucle ressemblant à un cercle vicieux duquel il est difficile de s'extirper sans une forte hausse des taux. En théorie, l'explication du phénomène paraît évidente, mais en réalité, elle ne l'est pas, répondent plusieurs économistes du Fonds monétaire international (FMI) dans un document de travail publié sur le blog de l'institution (1), réalisé à partir d'exemples empiriques.

Ces chercheurs ont analysé une base de données intégrant plusieurs pays et remontant jusqu'aux années 1960 pour trouver combien de fois les spirales salaire-prix se sont produites, et en examiner leurs conséquences. L'article est technique, mais il arrive à plusieurs constats. Ainsi, si l'on prend comme définition d'une spirale prix-salaire, une accélération de la hausse des prix à la consommation et celle des salaires nominaux durant trois mois consécutifs sur quatre pris en compte, le nombre de cas est assez réduit: 79 entre 1973 et 2017. En les analysant, ils constatent, outre la brièveté des périodes de hausses des prix, que « l'inflation et la croissance des salaires nominaux ont eu tendance à se stabiliser, laissant la croissance des salaires réels globalement inchangée ». Par ailleurs, notent-ils, « une décomposition de la dynamique des salaires à l'aide d'une courbe de Phillips des salaires suggère que la croissance des salaires nominaux se stabilise normalement à des niveaux compatibles avec l'inflation observée et les tensions sur le marché du travail ».

Même résultat avec une inflation liée aux matières premières

En outre, en prenant les 22 cas cas les plus récents, caractérisés par « une baisse des salaires réels et un resserrement des marchés du travail », les chercheurs constatent que la spirale est suivie par « une baisse de l'inflation et une croissance des salaires nominaux permettant aux salaires réels de rattraper leur retard ». L'article montre également que le phénomène est identique dans le cas d'une inflation nourrie par une hausse des prix des matières premières, ce qui est notamment le cas aujourd'hui pour les prix de l'énergie et de l'alimentaire, en raison notamment du conflit en Ukraine.

Finalement, « une accélération des salaires nominaux ne doit pas nécessairement être considérée comme le signe qu'une spirale salaire-prix s'installe », concluent les chercheurs.

Cette conclusion à partir de données empiriques peut donc remettre en cause le refus d'une indexation des salaires sur l'inflation qui apparaît davantage fondée sur des considérations de prudence politique qu'économique. En France, comme dans d'autres pays, le gouvernement a préféré opter pour des mesures transitoires pour atténuer la perte de pouvoir d'achat des ménages : bouclier tarifaire, mécanisme encadré de défiscalisation des primes, et, encore à l'étude, celui d'un «partage de la valeur » via un « dividende salarié ». Quant à la revalorisation salariale, Emmanuel Macron renvoie aux négociations dans chaque entreprise, avec le risque d'accentuer les inégalités entre salariés des grandes entreprises et nombre de PME et d'ETI qui sont dans une situation plus délicate.

En réalité, le gouvernement, comme dans d'autres pays, compte sur un reflux de l'inflation dans les prochains mois, et une normalisation de la situation économique via les ajustements des acteurs, comme le montre d'ailleurs l'étude des chercheurs du FMI.

L'exemple de l'accord d'IG Metall

Sur ce point, l'accord signé la semaine dernière outre Rhin entre le patronat allemand et le syndicat IG Metall, qui menaçait le pays d'une grève dure, est instructif. Il entérine une hausse des salaires de 8,5% sur deux ans (5,2 % en 2023 et 3,3% en 2024) et une « prime inflation » défiscalisée de 3.000 euros, pour 3,9 millions de salariés de secteurs industriels clés comme l'automobile. Cette revalorisation est inférieure à l'inflation qui, en Allemagne, est au plus haut depuis 70 ans, culminant à 11,6% menaçant la première économie européenne de récession. Mais il faudra attendre plus d'un an pour savoir si l'accord a été bénéfique pour les salariés, notamment en regardant le taux de l'inflation.

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  • Jorge Alvarez, John Bluedorn, Niels-Jakob Hansen, Youyou Huang, Evgenia Pugacheva, and Alexandre Sollaci.
Robert Jules
Commentaires 10
à écrit le 23/11/2022 à 11:16
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Seul le salaire de base compte pour un salarié que ce soit pour la retraite ou le calcul des heures supplémentaires pour ceux qui en font.

à écrit le 23/11/2022 à 9:38
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Toute "thésaurisation" limite la vitesse de circulation de la monnaie et donc de la confiance, cercle vicieux ! ;-)

à écrit le 23/11/2022 à 9:20
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Il y a une augmentation de salaire, qui n'accélère pas l'inflation, apparemment, c'est celle des "patrons" du cac40.

à écrit le 23/11/2022 à 1:17
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Le Mozart de la finance qu'ils disaient. Sait-il seulement compter ?

à écrit le 22/11/2022 à 19:40
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wow, des ' economistes' qui ont rate leurs cours d'economie, a priori....on apprend le contraire a l'ecole, et on sait meme pourquoi!!!! c'est les memes economistes qui disaient que fabriquer de la monnaie comme ca a ete le cas c'est ' sans aucune co...

à écrit le 22/11/2022 à 17:49
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Dans la position de compétitivité où est la France (déficit commercial record avec nos voisins) on n'a pas bcp de questions à nous poser. Il faut regarder ce que font par exemple les allemands et certainement ne pas faire plus qu'eux sauf vouloir un ...

à écrit le 22/11/2022 à 17:47
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Dans la position de compétitivité où est la France (déficit commercial record avec nos voisins) on n'a pas bcp de questions à nous poser. Il faut regarder ce que font par exemple les allemands et certainement ne pas faire plus qu'eux sauf vouloir un ...

à écrit le 22/11/2022 à 17:00
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La notion d'inflation (euthanasie du rentier) que certains prêtent à Keynes est un abus de langage car, "en faisant disparaître la rareté du capital par une nouvelle forme de partage de la richesse créée - qui élimine une répartition de la fortune et...

à écrit le 22/11/2022 à 15:24
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Vu l'état financier des pays conseillés par le FMI, doit on prendre en compte le résultat de leurs études?

à écrit le 22/11/2022 à 15:03
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Mais si, bien sûr que si, c'est évident

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