La grande démission... la grande chance  ?

OPINION. Alors cette grande démission, c'est quoi ? Cela fait quelques mois que le mouvement a commencé aux États-Unis. Oui, les salariés en avaient assez de leur travail et sont partis. Grosse différence avec ce qui se passe en France : les salariés américains démissionnent sans avoir de poste derrière. Par Gaël Chatelain-Berry, écrivain et conférencier spécialiste sur les enjeux RH*.
(Crédits : DR)

Une étude récente de la Dares qui vient nous a montré que sur un trimestre, plus de cinq cent mille salariés ont démissionné, dont quatre cent soixante-dix mille CDI. Mais, ces personnes ne démissionnent pas sans rien avoir derrière, non. Elles démissionnent parce qu'elles ont trouvé un autre travail. Oui, elles ont trouvé mieux ailleurs.

Alors vous en doutez, ça met une pression gigantesque sur les entreprises, sur les dirigeants et les DRH. Oui, depuis des mois, les tensions sur le marché de l'emploi existent et augmentent dans plusieurs secteurs d'activité et pas uniquement pour les développeurs informatiques ou le secteur de l'hôtellerie ; nous pouvons parler des comptables, du marketing, de la vente... recruter devient de plus en plus compliqué.

Cela devient même probablement le premier enjeu stratégique des entreprises, et ce pour les années à venir.

Cela semble logique, mais j'ai parfois l'impression que des dirigeants découvrent qu'une entreprise sans salariés, ça ne fonctionne pas. Violente prise de conscience pour ce grand cabinet de conseil qui a perdu 25% de ses salariés en 6 mois, le forçant même à refuser des contrats.

Mais franchement, réjouissons-nous !

Les plus de cinquante ans qui ont connu le chômage de masse depuis leur diplôme au siècle dernier et qui a déjà entendu dans sa carrière cette phrase absolument lénifiante : « Dis donc... Si tu n'es pas content, il y en a dix qui veulent ta place ». Maintenant, il va falloir s'habituer à la phrase suivante dite par un salarié à son manager : « Dis donc... si tu ne me donnes pas ce que je veux, il y a 10 entreprises qui veulent me recruter ».

Oui, la grande démission est largement imputable au fait que le chômage de masse baisse, voire disparaissent pour certaines catégories socio-professionnelles.

Le concept de plein emploi commence même à être évoqué, ce qui semble totalement inimaginable pour les gens de ma génération, nés avec le chômage de masse et ayant fait toute leur carrière avec celui-ci. Nous nous sommes plaints pendant des années du chômage de masse, nous n'allons tout de même pas nous plaindre que le plein emploi ne soit plus une chimère dans notre pays, si ?

Alors pour l'instant cela ne touche que certaines catégories, et il ne faut pas non plus devenir angélique, car par exemple, on ne parle pas assez du chômage des seniors qui est toujours une réalité. Nous ne parlons pas non plus assez du chômage des gens avec peu de diplômes, mais une tendance lourde est là et le nombre de démissions en France qui explose est là pour nous le prouver.

Alors quelles solutions ? Oui, bien entendu, il va y avoir une surenchère sur les salaires et cela commence déjà à se voir dans certaines entreprises et dans les secteurs les plus en tension, c'est évident. Mais il n'y a pas que ça.

Pourquoi quittons-nous une entreprise ?

Une étude a montré que pour plus de cinquante pour cent des cas, on ne quitte pas un travail, on quitte un manager. Et oui, il va falloir former nos managers au management.

Encore une fois, nous avons l'impression de découvrir cette évidence, mais notre quotidien c'est notre hiérarchie. Si l'on souhaite que les gens ne démissionnent pas, commençons par fidéliser les gens qui sont dans l'entreprise. Recruter prend du temps et coûte de l'argent.

Une fois le recrutement fait, il faut former et espérer que la jeune recrue ne démissionne pas pendant sa période d'essai. Tout ce processus est très long. Il est plus important que jamais de commencer par nous occuper des gens qui sont déjà en poste. Que demandent-elles ?

Le salaire bien sûr, mais pas que. Il y a le sens donné au travail. Rappelons le sens du travail de chaque salarié, quel que soit son niveau hiérarchique.

Il y a aussi son bien-être au quotidien bien entendu. Une salariée dans une entreprise qui se fait traiter par son manager de façon absolument inacceptable en se faisant hurler dessus, en se faisant humilier en public, en se faisant maltraiter littéralement ; pas physiquement, mais moralement et cette personne agit en toute impunité. Tout le monde trouve ça très très normal. La loi du silence avait encore frappé. Finalement, cela fait partie de l'histoire de l'entreprise.

À votre avis, que va faire cette salariée ? Bien sûr qu'elle va partir et derrière ce dirigeant va venir se plaindre en disant qu'il a du mal à recruter. Mais à votre avis, que va faire la personne juste après avoir démissionné ? Parler sur les réseaux sociaux, parler autour d'elle, avec ses amis, peut être avec ses collègues. C'est le management qui peut véritablement avoir un impact sur ce mouvement, que l'on soit dirigeant ou simple salarié.

Alors opportunité de recrutements ou pas ?

Il faut se réjouir de ce qui se passe en ce moment, même si c'est compliqué à gérer. Et c'est ce que je disais lors d'une conférence que je donnais avant l'été devant une centaine de dirigeants qui se plaignaient de leurs difficultés de recrutement. Nous sommes dans une période de transition et il faut vraiment souhaiter de ne pas revenir dans la situation précédente. Certes, ça serait plus simple pour les dirigeants et les DRH, mais humainement c'est tellement plus complexe.

Et si vous vous posez la question, à titre personnel, de rentrer dans ce mouvement de la grande démission, pourquoi pas ? Après tout, pour la première fois depuis le début de l'économie moderne, c'est notre travail qui doit s'adapter à notre vie personnelle... plus l'inverse.

Si les problématiques de recrutements sont si élevées... soyons fous, recrutons des seniors au lieu de les mettre au rebut, recrutons des personnes sans diplôme au lieu de nous focaliser sur l'unique parcours académique pour évaluer une candidature.

Et si cette grande démission était finalement une grande chance, une remise à plat de certitudes et de comportement installés depuis des décennies... Ce serait bien... non ?

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(*) Depuis plus de 6 ans maintenant, Gaël Chatelain-Berry écrit et fait des conférences pour faire évoluer leur management et l'entreprise en intégrant la notion de bienveillance en théorisant dès 2016 le management bienveillant. Son dernier livre "Le manager bienveillant 2.0" (First Edition). Son dernier roman : "Sois un homme ma fille". Il est également l'auteur du Podcast "Happy Work", le podcast francophone le plus écouté sur le bien-être au travail.

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Commentaires 6
à écrit le 02/10/2022 à 0:48
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Bravo, votre analyse est totalement juste

à écrit le 01/10/2022 à 22:38
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Faisant parti comme vous de cette génération "contrats aidés" et guichet ANPE, on ne peut que se réjouir de ce mouvement. Trouver un emploi pour les jeunes qualifiés en dehors des secteurs a forte tension reste difficile mais largement à portée. Moi ...

à écrit le 01/10/2022 à 13:16
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il y a un autre aspect de la baisse du chômage qui n'est pas abordé. Ceux qui ont été radiés de pole emploi et qui n'ont plus accès à la solidarité nationale se sont aussi tournés vers l'économie parallèle. Cette baisse anormal du chômage en pleine c...

le 01/10/2022 à 18:19
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Vous avez tout à fait raison, l'économie dite "parallèle" monte en puissance, et les politiques sont dans le déni. Comme les politiques ont laisser faire les entreprises ce qu'elles veulent avec les salariés (travailleurs pauvres, précarité organisée...

le 01/10/2022 à 18:46
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Vous croyez que ll etat perd tout pouvoir car les gens se tournent vers l economie parralele ? Deja cette economie c est surtout le traffic de drogue: tout le monde ne peut devenir dealer ... Ensuite, ne craignez rien, l etat peut tres bien exercer ...

le 02/10/2022 à 0:58
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Vous avez une méconnaissance de la vie réelle. L'économie parallèle n'est pas la majorité mais en est une fraction non négligeable. L'économie parallèle, " le black ", ce n'est pas QUE la drogue ou la prostitution et point barre.. non ça recouvre une...

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