La guerre en Ukraine pourrait faire des ravages cet hiver chez les plus fragiles. Neuf mois jour pour jour après le début du terrible conflit aux portes de l'Europe, la situation des marchés de céréales et des produits de l'alimentation est très loin d'être retombée. Dans les pays pauvres, les populations subissent de plein fouet les répercussions de la crise alimentaire. L'Organisation des Nations unies redoute un « ouragan de famines ». En France, le tableau dressé par les associations de solidarité est particulièrement inquiétant.
A la veille d'une collecte nationale organisée les 25, 26 et 27 novembre, le réseau des Banques alimentaires a tiré la sonnette d'alarme cette semaine. La hausse constatée de la fréquentation est de 9% au premier semestre, « soit à peu près autant en six mois qu'auparavant en deux années de Covid », observe la directrice du réseau Laurence Champier. Les Restos du Coeur ont constaté que le nombre de leurs bénéficiaires a bondi de 12% depuis le mois d'avril.
L'alimentaire, moteur de l'inflation en France
L'accélération des prix depuis la fin de l'année 2021 en Europe n'a cessé de s'amplifier. En France, l'indice général des prix culmine désormais à 6,2% en octobre. Après une décennie d'inflation très faible, la pandémie et la guerre en Ukraine continuent d'affoler les compteurs de prix. « Le taux d'inflation est inédit depuis les années 80. Ce qui est préoccupant est que le FMI table sur des risques à la baisse », a souligné le directeur général du Trésor, Emmanuel Moulin, lors d'une récente réunion avec des journalistes à Bercy. « L'inflation est durable et elle n'est pas prête de retomber », a déclaré Louis Maurin, directeur de l'observatoire de la pauvreté, interrogé par La Tribune.
Dans le détail, les prix de l'énergie et ceux de l'alimentaire restent les deux moteurs de la flambée des prix. Ainsi, le rythme des prix de l'alimentaire (+12%) est deux fois supérieur à celui de l'inflation générale (6,2%) en octobre. Certaines gammes de produits enregistrent des hausses spectaculaires. C'est par exemple le cas des légumes frais (+33,9%) et des produits frais (+8%). Le lait, le fromage et les oeufs (14,8%), la viande ou encore le pain et les céréales accélèrent également. « Les prix qui augmentent le plus concernent les produits de base. Plus on descend en bas de l'échelle, plus les gens ressentent ces hausses », complète le dirigeant associatif.
Compte tenu du poids de l'alimentation dans le budget des ménages les plus modestes, les récentes envolées des prix alimentaires ont mécaniquement plus de conséquences néfastes chez les plus pauvres. Après le logement, l'alimentation représente le second poste (18,3%) le plus important chez les 20% les plus modestes de la population.
A l'inverse, les produits alimentaires représentent une fraction moindre (14%) dans le budget des ménages les plus aisés. Même si le fossé entre les plus pauvres et les plus riches tend à diminuer depuis 40 ans, une telle hausse des prix dans l'alimentaire risque de plomber le porte-monnaie chez les ménages qui ont des difficultés pour joindre les deux bouts.
Les demandes d'aide alimentaire pourraient grimper en flèche
Cette inflation des produits alimentaires pourrait avoir des conséquences désastreuses sur les demandes d'aide alimentaire. Déjà pendant la pandémie, les files d'attentes dans les banques alimentaires et les associations ont grimpé en flèche. A l'approche de l'hiver, ce phénomène pourrait à nouveau s'accentuer.
Dans une étude inédite dévoilée cette semaine, l'Insee a dressé un tableau particulièrement alarmant des bénéficiaires de l'aide alimentaire. « Cette population vit une grande pauvreté avec des conditions de précarité importantes. Cette grande précarité se retrouve dans les conditions de vie, leur situation financière et leur état de santé », a déclaré Thomas Lellouch, spécialiste de la grande pauvreté à l'Insee. Cette situation est loin d'être négligeable.
D'après des chiffres cités par l'organisme de statistiques, entre 2 et 4 millions de personnes ont recours aux dispositifs d'aide alimentaire. Il peut s'agir de la distribution de colis ou de panier repas, d'épiceries sociales ou encore de l'aide aux ménages. Les bénéficiaires de l'aide alimentaire sont souvent « les plus pauvres des plus pauvres ».
Leur niveau de vie s'élève à seulement 635 euros par mois, soit un montant encore inférieur aux ménages pauvres (877 euros). Pour rappel, le taux de pauvreté en France correspond à un revenu de 1.102 euros par mois. Plus de 9 millions de personnes vivent sous ce seuil fixé à 60% du revenu médian.
Une réponse politique jugée insuffisante
Face à cette flambée des prix des produits d'alimentation, le gouvernement a annoncé qu'il allait débloquer une enveloppe exceptionnelle de 10 millions d'euros pour les étudiants. Cela s'ajoute au maintien du repas à un euro dans les restaurants universitaires. « Il est indispensable de répondre à la situation de détresse rencontrée par de trop nombreux étudiants », souligne Jean-Christophe Combe, ministre des solidarités cité dans un communiqué.
Sur les rails depuis de longs mois, le gouvernement planche également sur le dispositif d'un chèque alimentaire mais Bercy a écarté cette idée. « Il n'y aura pas de ligne budgétaire pour le chèque alimentaire dans le PLF 2023, a expliqué Bercy. Est-ce que les gens veulent vraiment des chèques ? », s'interroge Louis Maurin. Cette proposition n'est pas à la hauteur, poursuit le spécialiste de la pauvreté. « Lorsque le président de la République évoque 'la fin de l'abondance' alors que trois millions de personnes sollicitent l'aide alimentaire, il y a une forme d'indécence », pointe Louis Maurin.