La Suisse va-t-elle finir sur la "liste noire" des paradis fiscaux de Bruxelles ?

Par Jean-Christophe Catalon  |   |  839  mots
Afin de se conformer à ces nouvelles règles internationales, la Suisse a jusqu'en 2019 pour supprimer le statut fiscal particulier. Dans le cas contraire, elle risque notamment de figurer sur la "liste noire" des paradis fiscaux de l'Union européenne.
La victoire du "non" au référendum dimanche est une claque électorale pour la droite au pouvoir qui soutenait corps et âme la réforme sur l'imposition des entreprises, censées se substituer à la fin du statut fiscal particulier. Contrainte par ses partenaires commerciaux et les grandes entreprises, la Suisse doit toujours revoir sa fiscalité et vite.

C'est un coup dur pour l'exécutif suisse. Les électeurs ont rejeté massivement, à 59,1%, la troisième réforme d'imposition des entreprises (RIE III) lors d'un référendum dimanche. Sur les 26 cantons que compte la Confédération helvétique, seuls les Vaudois ont voté majoritairement "pour".

Le texte, défendu corps et âme par Berne et les cantons, devait mettre en place de nouvelles règles fiscales afin de compenser la suppression du statut fiscal particulier. Retour en quatre points sur cet enjeu politico-économique majeur pour la Suisse.

■ Le risque de figurer sur la liste des paradis fiscaux de Bruxelles

Jusqu'à présent, des entreprises sises en Suisse bénéficient de ce que l'on appelle : un statut fiscal particulier. Il s'agit d'une disposition réglementaire permettant aux holdings, sociétés mixtes et auxiliaires d'être imposées au-dessous du barème de l'impôt sur les sociétés appliqué dans la Confédération.

Or, les Etats se sont accordés en 2014 autour de l'OCDE pour établir des standards mondiaux en matière de fiscalité sur les entreprises. L'objectif est de mettre fin aux législations de certains pays accordant des réductions d'impôts aux grands groupes, au détriment des rentrées fiscales dans d'autres Etats. Aujourd'hui, le fisc européen perd environ 1.000 milliards d'euros.

Afin de se conformer à ces nouvelles règles internationales, la Suisse a jusqu'en 2019 pour supprimer le statut fiscal particulier. Dans le cas contraire, elle risque notamment de figurer sur la "liste noire" des paradis fiscaux de l'Union européenne, qui n'est pour l'instant qu'à l'état de rédaction.

> Lire aussi : pourquoi la Suisse n'est plus aussi paradisiaque

■ La RIE III pose des conditions aux déductions d'impôts

Prise dans un étau entre d'un côté ses partenaires commerciaux, qui la somment de modifier sa fiscalité, et de l'autre les entreprises, prêtent à lui tourner le dos si elles ne sont plus suffisamment avantagées, la Suisse devait proposer une troisième voie. Le Conseil fédéral, majoritairement à droite, a mis au point la RIE III sur la base de quatre axes :

  • Favoriser les dépenses en recherche et développement par des déductions d'impôts et par la création d'une "patent box", soit une taxation réduite des revenus issus des brevets développés en Suisse ;

  • La mise en place d'un "step up", autrement dit d'une réévaluation des réserves latentes ;
  • Une baisse de l'impôt sur les bénéfices à l'échelle des cantons. En compensation, la Confédération s'engage à augmenter la part du produit de l'impôt qu'elle verse aux cantons ;
  • Une déduction des intérêts notionnels (NID) : "Pour maintenir en Suisse les activités financières et holdings, le projet de loi propose de mettre sur un pied d'égalité les sociétés qui se financent par des fonds propres ou par des fonds étrangers en maintenant la possibilité de déduire des intérêts notionnels (ou fictifs) sur la part des fonds propres qui dépasse la part de capital de base", explique le site d'information suisse Le Temps.

■ Pourquoi les Suisses l'ont rejetée ?

Ces deux derniers points sont les plus controversés, notamment le NID. "Elle est l'une des mesures les plus onéreuses de la RIE III", souligne Le Temps. La gauche et les maires des grandes villes, opposés au texte, l'ont particulièrement pointée du doigt. Le premier qualifiait la RIE III d'"arnaque" renforçant les actionnaires au détriment des contribuables.

Alors que l'économie suisse est marquée par une crise du pouvoir d'achat, les électeurs-contribuables, inquiets de voir leurs impôts augmentés pour compenser les avantages fiscaux accordés aux holdings, ont été particulièrement réceptifs à cet argument. Le Conseil fédéral, qui n'a eu de cesse de brandir la menace de pertes économiques (24.000 délocalisations, 150.000 emplois supprimés selon le ministre des Finances) en cas de victoire du "non" au référendum, n'ont finalement pas eu écho auprès des votants.

■ Une nouvelle réforme pour 2021 ?

Le "non" au référendum ne change pas la situation pour la Suisse, qui doit toujours modifier sa législation. Gauche comme droite ont appelé à se concentrer rapidement sur un nouveau texte. Le Conseil fédéral pourrait le présenter au Parlement d'ici la fin de l'année, selon la RTS. En revanche, le ministre des Finances Ueli Maurer redoute de ne pas pouvoir le mettre en vigueur avant 2021.

L'Union européenne pourra-t-elle patienter ? Le commissaire européen aux Affaires économiques et à la Fiscalité, le Français Pierre Moscovici, ne s'est pas prononcé. "Le rejet de la réforme par votation appelle à redoubler d'efforts en matière de fiscalité. La Commission envisage donc de consulter les Etats membres pour décider ensemble la marche à suivre si de tels engagements ne devaient plus être respectés", a-t-il détaillé dans les colonnes de la Tribune de Genève.