"Le discrédit de l'OMC a commencé avec Obama" (Jagdish Bhagwati)

Par Jean-Christophe Catalon  |   |  858  mots
Jagdish Bhagwati, professeur d'économie à l'université de Columbia et ancien consultant à l'OMC (Organisation mondiale du commerce).
[Interview] En changeant la stratégie américaine vis-à-vis de ses partenaires commerciaux dès les premiers jours de son mandat, Donald Trump s'est fait sévèrement critiquer par ses adversaires politiques et certains éditorialistes. Une condamnation hypocrite selon Jagdish Bhagwati, professeur d'économie à l'université de Columbia et ancien consultant à l'OMC (Organisation mondiale du commerce). Propos recueillis par Jean-Christophe Catalon.

Donald Trump démarre fort son mandat, trop peut-être. La sortie du Traité transpacifique (TPP), l'affrontement avec le Mexique sur la question du mur sur fond de querelles commerciales, sans oublier sa promesse de taxer massivement les importations chinoises... en moins de deux semaines à la Maison-Blanche, le 45e président secoue ses partenaires commerciaux. Accusé d'isolationnisme par les uns, d'enclencher un "tournant protectionniste" par les autres, les observateurs semblent parfois omettre la stratégie adoptée depuis des années par les Etats-Unis sur le commerce extérieur.

Professeur à l'université Columbia de New-York, l'économiste Jagdish Bhagwati, 82 ans, ancien enseignant du Prix Nobel Paul Krugman, connaît parfaitement les mailles du commerce international. Conseiller économique du directeur du GATT (accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, signé en 1947), Arthur Dunkel, de 1991 à 1993, puis consultant extérieur pour l'OMC - notamment membre d'un groupe d'experts chargé de tracer le futur de l'institution -, il analyse pour La Tribune les premières décisions du nouveau président des Etats-Unis.

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LA TRIBUNE - Dès les premiers jours de son mandat, Donald Trump a choisi de sortir du traité transpacifique (TPP). Est-ce un mauvais signe pour le commerce international ?

JAGDISH BHAGWATI - Je suis d'accord avec la décision, mais pas pour les mêmes raisons que Donald Trump. Plusieurs dispositions de ce traité -sur le droit du travail, l'environnement, etc.- ont été dictées par des lobbies américains et n'ont aucun rapport avec le commerce international. Prétendre que de telles dispositions, définies par des industriels américains, font du TPP un accord commercial "moderne" était de la pure propagande, relayée par des médias mainstream mal renseignés. C'est pourquoi, bien que je ne partage pas ses motivations, j'applaudis la décision du président Trump.

Sa promesse de taxer massivement les importations chinoises fait couler de l'encre, mais a-t-il les moyens de l'appliquer ?

Le système du commerce international d'après-guerre est inscrit dans l'OMC, qui est la concrétisation institutionnelle du GATT. Dans ce cadre, les Etats ne peuvent pas arbitrairement augmenter les tarifs douaniers en réponse à des pressions locales, comme ils le pratiquaient dans les années 1930. D'ailleurs, le protectionnisme ne s'est pas développé en réponse à la crise macroéconomique des années 2000 et ce en partie pour cette raison. C'est donc une erreur de penser qu'un pays puisse imposer des taxes sur les importations à souhait.

C'est aussi pour cela que j'ai toujours été en faveur de l'adhésion de la Chine dans l'OMC [dont l'adhésion remonte à décembre 2001, NDLR]. C'était la seule manière de peser sur la Chine en cas de tentative de "triche" -par des subventions, des tarifs douaniers, etc. Pour rappel, les Américains ont essayé de faire pression sur le Japon pendant des années, décrétant qu'il ne commerçait pas de "façon honnête". Cela a échoué, parce que le Japon était un trop grand acteur pour être intimidé. C'est seulement lorsque les Etats-Unis l'ont emmené devant le Système de règlement des différends de l'OMC, et qu'un examen "impartial" a mis à jour les violations, que le Japon a commencé à se plier et à obtempérer.

L'OMC a-t-elle encore un rôle à jouer avec Donald Trump, président des Etats-Unis ?

Le discrédit de l'OMC a commencé avec Barack Obama qui, malgré les efforts des experts, a toujours refusé de fermer le cycle de Doha et ne l'a même jamais mentionné dans ses discours. Il a appliqué la même position que tenait Hillary Clinton dans la primaire démocrate de 2008 et qui, par la suite, a même appliqué des mesures protectionnistes en tant que secrétaire d'Etat. Je suis un démocrate et j'ai travaillé dur pour inverser la politique du président Obama. Je trouve amusant de voir aujourd'hui mes camarades condamner Donald Trump comme une menace au multilatéralisme, alors que l'administration Obama l'a discrédité.

De fait, cette administration a contribué à sortir du carcan de l'OMC pour s'attacher à des accords commerciaux préférentiels (ACPr), notamment des traités méga-régionaux comme le TPP et le TTIP [le traité transatlantique entre les Etats-Unis et l'Union européenne, ndlr]. Cette stratégie convient à Donald Trump, puisqu'il sait parfaitement que les Etats-Unis, étant une grande puissance, peuvent obtenir de meilleures conditions face à des pays plus modestes pour signer un accord. Je suspecte d'ailleurs que, même lorsqu'il parle de dissoudre l'Aléna, il va négocier des traités bilatéraux séparément avec le Mexique et avec le Canada. On peut s'attendre à ce qu'il en advienne de même des cendres du TPP. Le président Trump sera certainement ouvert aux traités bilatéraux avec chacun de ses membres pris individuellement.

Si l'Union Européenne veut jouer un rôle pro-multilatéraliste, il est important d'apporter son soutien à une nouvelle négociation multilatérale sur le commerce international, au lieu d'aller vers un autre ACPr comme le TTIP. La question est : aura-t-elle suffisamment confiance en elle pour le faire ?

Propos recueillis par Jean-Christophe Catalon