Malgré les initiatives pour améliorer l'image de son activité, le secteur minier est perçu comme ayant des conséquences néfastes non seulement sur l'environnement mais aussi sur son personnel. C'est le constat que dresse un rapport indépendant publié au début du mois. Il établit l'ampleur des mauvais comportements au sein du géant minier Rio Tinto, révélant que 48% des travailleurs ont été victimes d'intimidation et 28 % des femmes ont été harcelées sexuellement.
Harcèlement "systématique"
L'enquête menée auprès de 10.000 employés de l'entreprise par Elizabeth Broderick, ancienne commissaire à la discrimination sexuelle en Australie, fait état d'"agressions sexuelles", de "viols", de "racisme", révélant une culture du harcèlement "systémique", devenue monnaie courante "dans toute l'entreprise". Une majorité d'hommes blancs est pointée du doigt pour leurs remarques à caractère sexiste faites aux femmes, une attitude favorisée par le fait que nombre d'activités minières sont situées dans des zones isolées contraignant une large part de ses 45.000 employés à vivre entre-soi.
Circonstance aggravante, soulignée par le rapport, les témoignages de femmes interrogées indiquent qu'aucune suite n'était donnée quand elles signalaient ce harcèlement sexuel. Les victimes devaient "supporter la situation seules, sans aucun soutien de leurs supérieurs ou des ressources humaines". La plupart des employés témoins de ces comportements abusifs ont admis avoir eu peur de les signaler par crainte d'être ostracisés.
Le rapport cite des témoignages d'employés qui évoquent également le racisme généralisé au sein d'une entreprise "à orientation caucasienne", autrement dit synonyme de "race blanche" ou "européenne".
Ce rapport a été commandité par la direction de Rio Tinto à la suite de la multiplication de signalements dans le sillage du scandale qui a éclaboussé le groupe, celui du dynamitage en mai 2020 d'un site du patrimoine culturel aborigène en Australie occidentale pour accélérer et optimiser l'exploitation du minerai de fer. L'affaire avait fait grand bruit, et avait poussé à la démission une large partie de la direction dont son directeur général, le Français Jean-Sébastien Jacques.
Les allégations seront considérées comme des faits
Son remplaçant, Jakob Stausholm, qui était le directeur financier jusqu'alors, a déclaré après avoir pris connaissance du rapport qu'il ressentait de la honte et des regrets face à l'ampleur des témoignages. "Je présente mes excuses les plus sincères à chaque membre de l'équipe, ancien ou présent, qui a souffert à cause de ces comportements. Ce n'est pas le genre d'entreprise que nous voulons être", a-t-il déclaré, indiquant qu'il acceptait de considérer les allégations inscrites dans le rapport comme des faits.
L'enjeu est vital pour le groupe. Avec la transition énergétique, qui va exiger un volume accru de métaux pour les batteries de véhicules électriques, les éoliennes, les panneaux solaires, les réseaux électriques..., le secteur minier mondial fait l'objet d'une attention croissante. Il est déjà pointé du doigt par les associations et Ong écologistes qui lui reprochent les dégâts causés à l'environnement par l'extraction minière. Ainsi, Rio Tinto a dû suspendre un projet d'exploitation d'une mine de lithium en Serbie, d'un montant de 2,1 milliards d'euros, à la demande du gouvernement confronté à d'importantes manifestations de la population à travers le pays qui réclament l'abandon du projet.
Si, dans le rapport, certains employés témoignent que Rio Tinto a amélioré les conditions de travail ces dernières années ou qu'ils font confiance à l'entreprise pour améliorer le climat interne grâce à cette libération de la parole, il n'en reste pas moins qu'il s'agit d'opérer une révolution culturelle. Dans un monde où l'inclusion et la transition écologique sont devenues des critères majeurs pour juger l'activité d'une entreprise, le secteur minier apparaît, c'est le moins que l'on puisse dire, très en retard. D'autant que Rio Tinto, qui pèse 109 milliards d'euros de capitalisation, a les moyens d'engager rapidement une démarche pour éliminer les mauvais comportements.
Présente dans 35 pays
L'entreprise australo-britannique compte en effet parmi les plus importantes compagnies privées du secteur avec BHP Billiton, Glencore, Anglo-American. Elle est présente dans 35 pays, produisant du minerai de fer (élément de base pour la fabrication de l'acier), de l'aluminium, du cuivre, du lithium, des diamants...
En attendant de voir comment Rio Tinto va mettre en œuvre les 26 recommandations du rapport (changement de supervision managériale, nécessité d'une formation pour les cadres, augmentation du nombre de femmes sur les sites - aujourd'hui, elles ne représentant que 19% de l'effectif total - et des groupes minoritaires...), la compagnie s'est aussi engagée à diminuer les émissions carbone de ses activités de 50% d'ici 2030.
Atteindre ces objectifs est important. La volonté de transparence de Rio Tinto et sa capacité à en finir avec les préjugés et une culture d'entreprise toxique peuvent en effet favoriser une prise de conscience du secteur minier mondial induisant un changement des comportements et une amélioration de son image auprès du grand public.