Paradise Papers : cinq Français cités dans l'enquête (1/2)

Par Jean-Christophe Catalon  |   |  1507  mots
La première fortune de France, Bernard Arnault, et son groupe de luxe LVMH est cité ce mercredi dans l'enquête de l'ICIJ. L'homme d'affaires a "fait appel à au moins huit cabinets de conseil différents pour localiser ses actifs dans six paradis fiscaux différents", selon le journal Le Monde.
Les révélations issues des "Paradise Papers" ciblent plusieurs grandes fortunes et des célébrités, dont des Français, de l'homme d'affaires Bernard Arnault au designer Philippe Starck. La Tribune fait le point sur les accusations qui leur sont portées.

| Article publié le 9/11/2017 à 15h23, mis à jour le 10/11/2017 à 17h20

Dix-huit mois après les "Panama Papers", de nouvelles révélations éclatent sur les pratiques d'évasion fiscale des multinationales et des grandes fortunes de ce monde. Leur nom : les "Paradise Papers". Le Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ) est à l'origine de cette enquête d'envergure internationale, qui a mobilisé près de 400 journalistes représentant 96 médias.

Ces révélations, qui paraissent dans le presse depuis dimanche soir et jusqu'à la fin de la semaine, ciblent en partie des Français : du milliardaire Xavier Niel au réalisateur Jean-Jacques Annaud.

Pour mémoire, la plupart des révélations concernent des méthodes d'optimisation fiscale, une pratique moralement répréhensible mais aujourd'hui légale. Le gouvernement français a promis mardi d'engager des poursuites contre les entreprises et les contribuables nationaux si les pratiques épinglées relèvent d'une "infraction". Sur Twitter, le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, présent à une réunion de l'Eurogroupe à Bruxelles consacrée notamment aux questions fiscales, a assuré que l'"engagement" du gouvernement contre l'évasion fiscale était "total".

| Lire aussi : Paradise Papers : trois entreprises françaises citées dans l'enquête (2/2)

■ Bernard Arnault, "8 cabinets d'avocats dans 6 paradis fiscaux"

La première fortune de France, Bernard Arnault, et son groupe de luxe LVMH sont cités dans l'enquête de l'ICIJ. L'homme d'affaires aurait "fait appel à au moins huit cabinets de conseil différents pour localiser ses actifs dans six paradis fiscaux différents", selon le journal Le Monde - qui, avec Radio France, fait partie des médias français ayant participé à l'enquête internationale.

Parmi ces actifs se trouve le Symphony. Ce luxueux yacht de 101 mètres, officiellement détenu par une société maltaise et naviguant sous le drapeau des îles Caïmans, appartiendrait en réalité à LVMH. Le quotidien affirme que :

"Si Bernard Arnault souhaite utiliser [le yacht], il doit lui-même verser à LVMH des frais de location. Mais n'étant pas le propriétaire légal, il n'a pas besoin d'intégrer le yacht à sa déclaration d'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) - et échappera grâce à son statut commercial à la nouvelle taxe sur les biens de luxe que souhaite instaurer la majorité macroniste."

Le Monde révèle également des montages visant à réduire la facture de TVA, des participations cachées dans un fonds luxembourgeois et une propriété de plusieurs milliers de mètres carrés au Nord de Londres officiellement détenue par une société enregistrée à Jersey.

Dans une déclaration transmise à l'AFP, le milliardaire dénonce "une opération journalistique" pour "créer une sensation en utilisant [son] patrimoine", et déplore que certains de ses investissements ont été "présentés comme des biens cachés et non déclarés, fiscalement répréhensibles, ou à la limite de la légalité".

■ Xavier Niel et le Phocéa

Les révélations sur Xavier Niel ne sont pas nouvelles. Elles ont déjà été dévoilées par Médiapart en mai dernier dans le cadre des "Malta Files". Les journalistes partenaires de l'ICIJ ont également eu accès au registre du commerce de Malte avec les "Paradise Papers".

Pour rappel, depuis 2010 la dixième fortune de France détient 50% des parts dans une société maltaise pour bénéficier de son yacht de 72 mètres, en l'occurrence le Phocéa, ancienne propriété de Bernard Tapie. Ce système permet notamment d'optimiser le montant de la TVA, "celle-ci peut être diminuée à 5,4 % lors de la location, et un astucieux système de location-vente, le 'leasing maltais', permet également de bénéficier de ce taux réduit à l'achat", détaille Le Monde - dont est actionnaire Xavier Niel.

Contacté par le quotidien, le milliardaire "n'a pas voulu détailler pourquoi il avait choisi Malte pour sa société, mais son entourage assure qu'il s'agissait uniquement d'un placement financier, le milliardaire détestant naviguer". "L'emplacement réel du bateau ainsi que son état sont depuis très incertains", conclut le journal.

■ Jean-Jacques Annaud et le Trust

Les "Paradise Papers" ont mis en lumière le système des "Trust". Ce montage consiste pour une personne à céder ses biens à un gestionnaire ou "trustee". Ce dernier aura le contrôle du bien qu'il gérera pour le compte de son client et, surtout, aux yeux de la loi, il en est le propriétaire effectif. Le client continue de bénéficier de ses actifs en payant moins d'impôts.

Ce type de montage a été utilisé par le réalisateur Jean-Jacques Annaud "pour dissimuler 1,2 million d'euros au fisc français", selon Le Monde. Le cinéaste a constitué un trust abritant une société écran, sur l'île anglo-normande de Guernesey.

Des éléments de l'enquête "[laissent] à penser que l'argent du trust provient de la rémunération du réalisateur" pour le film Sept ans au Tibet sorti en 1997, détaille le quotidien. Les avocats de Jean-Jacques Annaud ont d'ailleurs affirmé que c'est le studio de cinéma qui a choisi ce procédé pour lui verser l'argent.

Contacté par les journalistes avant la publication des "Paradise Papers", le réalisateur aurait rapidement demandé à ses avocats de régulariser sa situation. "Les avoirs, qui ont fait le tour du monde, auraient finalement été déclarés au fisc français le 12 octobre", conclut le journal.

■ Philippe Starck et les îles Caïmans

Le célèbre designer, Philippe Starck, est également cité dans les "Paradise Papers". A la fin des années 1990, le magnat argentin de l'immobilier, Alan Faena, compte racheter un vieux silo à grains, situé dans un quartier excentré de Buenos Aires, pour le transformer en un gigantesque complexe de luxe. L'Argentin souhaite travailler avec le designer français pour réaliser ce projet, raconte Franceinfo.

A cette époque, l'Argentine est en récession et, "pour attirer les investisseurs et les rassurer [...], Alan Faena met alors en place un montage financier dans des places offshore", retrace le site d'information. Il aurait notamment créé une société aux îles Caïmans, avec parmi ses dirigeants Philippe Starck.

Les financements du projet sont colossaux, plus de 40 millions de dollars, et le résultat a été un franc succès. On peut supposer que les retours sur investissements ont été conséquents, mais Franceinfo n'indique aucun montant.

Contacté par la cellule Investigation de Radio France, l'avocat du designer a confirmé que la société française de Philippe Starck détenait des parts minoritaires dans la société offshore. Il affirme par ailleurs que ces actions faisaient "l'objet d'une inscription régulière à l'actif [de la société française du designer], dont les comptes ont fait l'objet de contrôles réguliers par l'administration fiscale française".

■ Mathieu Flamini, footballeur et entrepreneur dans la biochimie...

Connu pour ses qualités balle au pied, le footballeur français Mathieu Flamini est moins célèbre pour ses activités dans le secteur de la biochimie. Les révélations des "Paradise Papers" indiquent pourtant que le sportif était à la tête d'une société dans ce secteur jusqu'à fin 2015.

Sept ans plus tôt, le milieu de terrain d'Arsenal a cofondé, avec l'homme d'affaires italien Pasquale Granata, la société GF Biochemicals sise en Italie. Celle-ci aurait été rachetée en 2014 par une société maltaise comptant dans son actionnariat... Mathieu Flamini et son partenaire, d'après Le Monde.

La même année, deux sociétés installées dans les îles Vierges britanniques seraient rentrées au capital de la maison-mère maltaise de GF Biochemicals. Puis ces mêmes parts auraient été rachetées par la société Pear Blossom, également sise dans les îles Vierges, qui au total aurait détenu la moitié des actions de la société maltaise.

"Selon les recherches du Monde, ces sociétés ont apporté plus de 7 millions d'euros à [la maison-mère maltaise de GF Biochemicals] sous forme de prêts et de cash", écrit le journal.

Mieux, en se replongeant dans les "Panama Papers", les journalistes du quotidien ont découvert que, derrière la société Pear Blossom se cache "Leon Semenenko, un financier connu comme l'un des partenaires d'affaires privilégiés de l'oligarque russe Alicher Ousmanov, grand amateur de sociétés offshore", et qui plus est l'un des principaux actionnaires du club d'Arsenal où jouait Mathieu Flamini à l'époque. D'où l'interrogation du journal : le montage maltais aurait-il servi à obtenir des financements de la part du milliardaire russe ?