Smart city : Paris toujours derrière Londres et bientôt détrônée par Shanghai ?

Par Dominique Pialot  |   |  1139  mots
Les villes chinoises face au défi d'une croissance échevelée
Selon une étude du cabinet Oxford Economics, la capitale française sortirait du top 5 des plus grandes métropoles d’ici à 2035, contrairement à son éternelle rivale Londres, qui grimperait même au troisième rang. De façon générale, le poids des villes en matière de PIB glisse massivement d’Ouest en Est dans les deux prochaines décennies.

Sur la base d'un panel constitué des 780 premières villes du monde (celles qui produisent le PIB le plus important), le cabinet de prévisions économiques et de conseil Oxford Economics rappelle dans son rapport "Global cities: the changing urban hierachy" des tendances largement connues : ces villes abritent un peu plus d'un tiers de la population mondiale (2,6 milliards d'habitants), disposent de 54% des revenus (27.000 milliards de dollars) et produisent déjà près de 60% du PIB mondial (45.000 milliards de dollars). Sous l'effet d'une urbanisation galopante, elles accueilleront d'ici à 2035 500 millions d'habitants supplémentaires et verront leur PIB cumulé augmenter de 32.000 milliards de dollars.

Mais cette croissance va se faire de façon très irrégulière, au profit des villes asiatiques dont le poids va, en l'espace d'une décennie, remplacer celui cumulé des villes américaines et nord-européennes, qui il y 10 ans seulement était deux fois plus élevées que le leur. Parmi les causes de ce renversement, des populations vieillissantes à l'Ouest, voire parfois même déclinantes.

[Un graphique de notre partenaire Statista.]

Les villes chinoises font pencher la balance

D'ici à 2035, le PIB cumulé des quelque 150 villes chinoises couvertes par cette étude devrait plus que doubler, de 11.000 à 25.000 milliards de dollars. Elles seraient responsables de la moitié de la croissance du PIB urbain, dont elles pèseraient un tiers à l'horizon 2035.  Dans le même temps, le PIB des 58 villes américaines du classement augmenterait de 5.300 milliards de dollars, celui des villes asiatiques autres que chinoises de 4.700 milliards et celui des villes européennes de 3.400 milliards seulement.

Aujourd'hui, seules 18 villes chinoises font partie des 100 plus grandes du monde en matière de PIB, mais elles seront 15 de plus en 2035. D'autres villes asiatiques rejoindront ce groupe : Mumbai, Delhi, Bangalore et Kuala Lumpur.

À l'inverse, 16 villes américaines (dont Pittsburgh, Indianapolis et Vancouver) sortiront de ce top 100, ainsi que 7 villes européennes, parmi lesquelles les capitales Amsterdam, Bruxelles, Copenhague et Vienne, ainsi que Barcelone, Franckfort et Hambourg. Le Vieux continent, qui n'aura jamais aussi bien porté son nom, ne comptera ainsi plus que 14 villes dans le top 100 en 2035, contre 21 aujourd'hui.

Londres toujours devant Paris

Les villes européennes forment le groupe le moins dynamique du panel. Mais Londres, qui en est déjà la première économie en 2017, le restera dans les 20 prochaines années selon les projections du cabinet, et gagnera même une place en passant du quatrième au troisième rang mondial. Les raisons de ce dynamisme, qui nourrissent notamment sa supériorité historique sur la capitale française tiennent à une démographie plus vivace, une main-d'œuvre mieux éduquée, moins de régulation et une réputation sans pareille comme berceau de startups. Pourtant Paris, qui a inauguré il y quelques mois à la station F "le plus grand campus de startups du monde", a été récemment désignée capitale européenne de l'innovation...

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Même si les auteurs reconnaissent une part d'incertitude dans l'évolution de la capitale britannique en raison du Brexit, et s'attendent à voir une partie des emplois s'évaporer vers le continent et notamment Paris, ils parient sur des fondamentaux structurels capables de compenser cet accident conjoncturel. La place de Paris mise pour sa part sur la finance verte pour s'arroger la part du lion dans le redéploiement des emplois financiers européens. La capitale vient par ailleurs d'être choisie pour accueillir l'Autorité bancaire européenne.

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Forte croissance en perspective pour Istanbul, Munich, Madrid et Tallin

Parmi les principales métropoles européennes (au sens géographique), Istanbul devrait continuer à croître rapidement non seulement grâce à son secteur manufacturier, mais aussi tertiaire. La jeunesse de sa population représente un atout de taille, face à la faiblesse liée à l'instabilité politique.

Moscou devrait également reprendre des couleurs à la faveur d'une inflation jugulée et du dynamisme de ses service financiers et informatiques. En Allemagne, Munich, déjà le plus gros PIB du pays, poursuivra la course en tête grâce à sa démographie et au dynamisme de ses secteurs secondaire et tertiaire. En Espagne, Madrid, portée par un secteur technologique renforcé par les installations récentes des services de R&D de Google ou Amazon, conserverait l'avantage sur sa rivale Barcelone.

Parmi les villes de taille plus modeste, Oxford Economics anticipe la plus forte croissance du PIB à Tbilisi (Georgie), Chişinău (Moldavie) et Yerevan (Arménie). Au sein de l'Union européenne, c'est Tallin qui occupe cette place.

Projets ambitieux au Moyen-Orient

Pour autant, selon les projections des auteurs du rapport, les principales mégapoles d'aujourd'hui devraient conserver leur rang. Ainsi, New York, Tokyo, Londres (en dépit du Brexit) et Los Angeles devraient demeurer dans le top 5. Seule Paris en sortirait, au bénéfice justement de Shanghai, qui passerait de la dixième à la cinquième place, et derrière Pékin, qui grimperait de la quinzième à la sixième. Parmi les autres mouvements remarquables,  Santiago et Rio quitteraient elles aussi ce top 100, tandis que Dubaï y ferait son entrée au 89e rang, en bondissant de 25 places. Les auteurs appellent à surveiller de près les villes du Moyen-Orient, certains gouvernements affichant d'ambitieux objectifs, à l'image de l'Arabie Saoudite et de son projet de smart megacity Neom.

Sans surprise, le continent africain abritera trois des vingt villes les plus peuplées du monde, à commencer par Lagos et ses 28,5 millions d'habitants. La croissance de leur PIB viendra juste derrière celle des villes chinoises, mais cela ne suffira pas à les faire entrer dans ce club des 100, à l'exception notable du Caire (84e place).

Fuite des emplois à l'Ouest, gestion de la croissance à l'Est

À l'Ouest, le principal défi sera de contenir la fuite des emplois et des richesses vers l'Asie, pas seulement dans le secteur manufacturier comme cela a été le cas depuis vingt ans, mais également dans celui des services, comme l'illustre le cas de Bangalore, qui se présente comme une nouvelle Silicon Valley.

De façon générale, ces projections sont soumises à une incertitude quant à la façon dont les villes des pays émergents vont gérer leur croissance échevelée. Logements décents, accès aux services essentiels, réseaux de transport performants... autant d'enjeux à gérer avec doigté, tout en préservant par ailleurs l'attractivité des villes pour leurs habitants et pour les entreprises souhaitant s'y implanter. Ainsi, Pékin et Shanghai, les deux villes chinoises qui pourraient faire de l'ombre à Paris, ont d'ores et déjà dû adopter des mesures visant à limiter la croissance de leur population.

Paris, qui, outre la FrenchTech et la finance verte, mise également sur le Grand Paris et sur les JO de 2024, n'a peut-être pas dit son dernier mot...