Brexit : "Opération séduction" du Grand Paris

Il y a un an et cinq mois, le 23 juin 2016, le Royaume-Uni décidait par référendum de quitter l'Union européenne, replaçant la région Île-de-France dans la compétition pour le leadership économique et financier européen. Le point sur ses atouts et ses handicaps.

Bonne nouvelle ! Paris a été choisie par les ministres des Affaires européennes de l'UE, lundi 20 novembre au soir, pour accueillir l'Agence bancaire européenne (ABE). Un succès pour la stratégie d'Emmanuel Macron visant à attirer dans l'Hexagone les acteurs de la City désappointés par le Brexit. L'installation de l'ABE dans la capitale française est en effet un argument de poids pour inciter les grandes banques internationales à prendre le même chemin. Tout reste donc possible pour gagner la bataille de l'après-Brexit « Il y a un grand nombre de projets structurants : les Jeux olympiques, l'Exposition universelle, les nouvelles gares du Grand Paris Express... relève Geoffroy Didier, vice-président (LR) chargé du logement, et depuis le 18 octobre, de l'attractivité, à la Région Île-de-France. Nous devons, État, Région, Métropole, faire preuve d'une stabilité réglementaire et législative. Nos investisseurs sont très sensibles à la lisibilité de l'action publique. » Avec la présidente de la Région, Valérie Pécresse, ils se sont rendus à Londres, le 14 novembre dernier, pour un road show, coorganisé avec Paris Europlace, sur le thème « Développer ses investissements et ses implantations en Île-de-France », avant de rencontrer des investisseurs de la scène tech londonienne.

Cette bataille, le délégué général de l'association Paris Europlace, Arnaud de Bresson, toujours entre deux avions pour défendre la région capitale comme première place financière mondiale, la vit intensément. Selon lui, « Paris est déjà devenue la première place financière de l'Union européenne, devant Francfort, grâce à une offre plus diversifiée, notamment en matière de marchés de capitaux, d'asset management, d'assurance et de private equity, avec un niveau de levées de capitaux sans précédent. Sans oublier la place de l'innovation, de la finance verte, de la French Tech, de la fintech, et des startups qui talonnent Londres ». Selon son dernier pointage, Europlace a comptabilisé 4 500 emplois, y compris les 1 000 annoncés par les banques françaises qui vont revenir à Paris, contre 5 500 pour Francfort, la principale rivale dans la finance. Mais il ne s'agit que de la première vague, liée à la perte par Londres du passeport européen. Selon la façon dont sera négociée la sortie du Royaume-Uni, d'autres pourraient suivre et Paris compte bien jouer la partie. Récemment, le patron de la puissante banque d'investissement américaine Goldman Sachs, Lloyd Blankfein, s'est dit « frappé par l'énergie positive ici à Paris. Un gouvernement solide et des chefs d'entreprise sont engagés dans les réformes économiques et ont accompli les premières étapes.

Et aussi, la nourriture est bonne ! » Bernard Spitz, président de la Fédération française de l'assurance et du pôle international et Europe du Medef, se réjouit : « Pour moi qui voyage beaucoup et qui reçois beaucoup d'acteurs internationaux, il est frappant de voir à quel point la France suscite un regain d'intérêt. Paris devient la première place assurantielle. Il y a de la concurrence mais nous sommes les leaders. »

Définir une cohésion

Pour aider la place financière à prendre le leadership en Europe sur la finance verte, la mairie de Paris, désignée par la Commission européenne comme capitale européenne de l'innovation le 26 octobre, joue le jeu : elle vient ainsi d'émettre une deuxième obligation verte, afin d'emprunter 320 millions d'euros. Emmanuel Grégoire, premier secrétaire fédéral PS de Paris et adjoint d'Anne Hidalgo chargé du budget, du financement et de la transformation des politiques publiques, lie même développement durable et attractivité : « La réussite de cette opération conforte la place de la Ville de Paris comme leader des métropoles vertes, durables et solidaires. L'attractivité de la signature Ville de Paris et le dynamisme de la place financière parisienne bénéficient aujourd'hui à l'ensemble des Parisiens, en contribuant activement au bien-être des générations présentes et futures. » Néanmoins, le poids des charges sociales et l'instabilité réglementaire continuent à freiner l'installation des entreprises internationales. D'où l'importance de faire de la pédagogie, souligne Alexandre Missoffe, directeur général de Paris Île-de-France capitale économique (lire son point de vue page 17) : « L'essentiel de notre action consiste à démonter les idées reçues et les raccourcis rapidement faits. J'étais à l'étranger quand des voitures de police brûlaient. Tout le monde ne parlait que de ça. Il fallait rassurer nos interlocuteurs sur la résilience de Paris comme ville monde. Nous avons 12 territoires avec de la visibilité et une concentration exceptionnelle de tous les secteurs. La réunion des meilleurs pôles d'excellence qui arrivent à travailler ensemble fait que Paris est déjà une marque. »

Stéphane Raffalli, vice-président (PS) de l'Agglomération Grand Paris Sud chargé de l'aménagement, de l'habitat et des grands projets, note, lui, deux autres écueils : la complexité inégalée du processus de décision et la difficulté à définir une cohésion. À la différence des promoteurs de la capitale aux quatre coins du monde, le maire de Ris-Orangis (Essonne), qui a accueilli chez lui, le 15 octobre, Jacques Mézard, le ministre de la Cohésion des territoires, et donc du Grand Paris, pointe « un territoire morcelé, avec l'hypercentre, la première couronne, la deuxième, la banlieue et le périurbain. Si vous voulez être attractif, il faut attirer les créateurs quels qu'ils soient et valoriser nos grandes écoles. C'est l'identité qu'on doit mettre en avant, avant nos centres commerciaux ».

La guerre des cerveaux

Aussi rappelle-t-il à Île-de-France Mobilités (ex-Syndicat des transports d'Île-de-France) et à la SNCF les investissements promis pour le RER D : « On achète des rames, mais il y a des arrêts systématiques à Corbeil-Essonnes et à Juvisy. Ces ruptures de charges nuisent à la connexion directe avec Paris intra-muros. On ne peut pas être qu'une réserve de logements. Si le maillage du RER n'est pas réalisé, on crée des zones d'habitat enclavées ! » Le collectif CroissancePlus, qui a signé le 2 juin dernier un accord de partenariat avec 100 000 entrepreneurs pour diffuser la culture de l'entrepreneuriat auprès des jeunes dans les quartiers, espère, lui, beaucoup de la Région pour la formation professionnelle : « Son rôle est extrêmement important, souligne son président Jean-Baptiste Danet, pour adapter un marché de demandeurs à un marché d'emplois.

Ce pays s'intéresse enfin à sa jeunesse ! » Le codirigeant du groupe Ipanema participait le 25 octobre au dîner donné à l'Élysée par le président de la République, en présence du ministre de l'Économie et des Finances, Bruno Le Maire et de son secrétaire d'État, Benjamin Griveaux, en l'honneur du Club des investisseurs étrangers. Il en espère beaucoup : « Ça s'inscrit dans une volonté impérieuse de retrouver de l'investissement le plus rapidement possible pour créer de l'emploi. Le travail, la fiscalité et la formation professionnelle, ce sont les trois sujets qu'il fallait traiter en priorité. Plus les réformes se font tôt, plus elles s'appliquent tôt dans le quinquennat, moins on revient dessus. Elles devraient apporter le souffle tant attendu. »

Le 25 octobre, sur le plateau de Saclay, la Silicon Valley de la région Île-de-France, Emmanuel Macron a aussi mis l'accent sur la guerre des cerveaux dans la bataille de l'attractivité. Constatant l'échec de la fusion, il a reconnu l'existence de deux pôles complémentaires, l'université de recherche intensive « Université Paris-Saclay » d'un côté, et de l'autre l'alliance de grandes écoles avec Polytechnique, Ensta, Ensae, Télécom ParisTech et Télécom Sud-Paris. Vice-président (UDI) du Sénat et ex-premier vice-président de la communauté d'agglo Paris-Saclay, Vincent Delahaye aurait préféré un seul pôle, mais parie que tous les acteurs vont « tirer dans le même sens » : « Il faut que les écoles et les universités s'entendent, qu'elles soient proactives pour les entreprises. On a déjà construit pas mal de logements étudiants et de lieux de vie et on a la possibilité d'avoir un territoire aussi dynamique que la Silicon Valley qui produise des fruits économiques irriguant l'ensemble de l'Île-de-France et la France entière. »

Le chef de l'État entend en effet l'ériger au rang de « MIT à la française », insistant sur « la lisibilité et la clarté, essentielles pour l'attractivité de la France auprès des partenaires ». Jean-Christophe Fromantin, maire de Neuilly-sur-Seine, qui préside le comité Expofrance 2025, salue cette décision présidentielle : « On est ravis qu'il ait réaffirmé son soutien ! Ça ne peut fonctionner que si on a une ambition portée par l'État. Un pays qui a un campus locomotive et quelques lieux emblématiques, les talents académiques et les startups se doit d'avoir un lieu qui incarne cette excellence et cette audace vis-à-vis du futur. Saclay est un catalyseur qui renforce nos qualités économiques », ajoute ce vice-président du groupe d'intérêt public dédié. Seul hic, mais de taille, l'accessibilité trop réduite de ce pôle d'excellence, d'où l'urgence de confirmer que la ligne 18 du Grand Paris Express sera bien au rendez-vous (lire page 16).

Ce jour-là, Emmanuel Macron a également annoncé que « le plateau de Saclay doit devenir un campus métropolitain [dont] aucune décision ne viendra réduire l'ambition portée de rayonnement international ». De quoi satisfaire le président (LR) de la Métropole du Grand Paris, Patrick Ollier : « Le président de la République a l'intention de renforcer la métropole. Quand la nouvelle loi sera votée en 2018, ce sera l'acte II. J'ai voulu, en attendant, la rendre lisible et crédible, en donnant des signes forts à nos concitoyens. Le guichet unique, mis en place avec la Région, Paris et l'État, avec du personnel de chacun, simplifie les démarches des entreprises qui veulent s'installer chez nous. »

Étienne Guyot, directeur général de la chambre de commerce et d'industrie Paris Île-de-France (et ex-patron de la Société du Grand Paris), s'interroge : « Le Grand Paris : quel est le numéro de téléphone ? » [ « L'Europe, quel numéro de téléphone ? », boutade attribuée à Henry Kissinger, secrétaire d'Etat américain, en 1970, ndlr] ajoutant aussitôt : « Les décisions qui seront annoncées prochainement par le gouvernement sont très importantes pour les acteurs économiques qui demandent plus de visibilité sur le "Qui fait quoi ?" et sur la fiscalité. La place financière de Paris est déjà très attractive avec quatre grosses banques systémiques, un secteur de l'assurance puissant, une infrastructure de marché solide et un immobilier de bureaux aux normes internationales. » Sur l'évolution de la gouvernance du Grand Paris, toutes les hypothèses circulent : Métropole qui absorbe la petite couronne, métropole régionale, personnalité qualifiée nommée en Conseil des ministres... sans parler de l'agenda des annonces - particulièrement attendues - du président de la République, qui change sans cesse : d'abord le 6 novembre, puis la première semaine de décembre, voire début janvier 2018, à en croire le préfet de région, Michel Cadot, devant le Forum métropolitain.

Christian Lefèvre, professeur des universités à l'École d'urbanisme de Paris, auteur de Paris, métropole introuvable (Puf, 2017), met en garde : « C'est un travers qu'on pousse assez loin en France : dès qu'il y a un problème, on crée une institution. Fusionner les départements, c'est inutile et nuisible. Cela ne servira pas à grand-chose et ça fera reculer la réflexion. Il faudrait plutôt créer des instances de dialogue et de médiation avec une obligation de résultat, par exemple, au bout d'un an. Les acteurs économiques recherchent un système institutionnel performant, un environnement qui leur permette de faire du business correctement, tant que cela n'ajoute pas de la bureaucratie. »

Doublement du trafic aérien

Premiers à réceptionner les leaders mondiaux, le groupe ADP, qui se prépare à un doublement du trafic aérien d'ici à 2035, a, pour priorité, selon les mots de son PDG, d'« améliorer la compétitivité et l'attractivité de nos aéroports, car ils sont un vecteur de création d'emplois et de richesse pour la région ». C'est pourquoi Augustin de Romanet, en avril 2016, a sorti du chapeau la nouvelle dénomination « Paris Aéroport » : « C'est un enjeu d'image non seulement pour nos aéroports, mais aussi pour la région. Groupe ADP est une marque "corporate" regroupant l'ensemble de nos métiers et exportable dans le monde entier, et "Paris Aéroport", une marque grand public pour les passagers, laquelle habille nos plateformes parisiennes. Cette marque assortie de la signature "Paris vous aime" nous oblige et incarne une série d'engagements pris en faveur des passagers. »

Autre infrastructure de transport qui entend bien tirer son épingle du jeu : Ports de Paris. Sa directrice générale, Régine Brehier, estime à 15 600 les emplois et à 600 les entreprises qui bénéficient du courant porteur de la Seine : « La plupart des grandes métropoles mondiales ont un accès à la mer, c'est un enjeu majeur pour leur ouverture sur le monde et leur développement. Si Le Havre est le port maritime de Paris, c'est également le premier port pour le commerce extérieur de la France. Paris est déjà le premier port mondial pour le tourisme fluvial avec près de 8 millions de passagers chaque année, un véritable atout ! Au global, les activités portuaires participent du dynamisme économique. »

Jean-Jacques Guillet, maire (LR) de Chaville (92), lauréat de la ville la plus attractive d'Île-de-France selon un classement Fnaim de mars 2017 et promoteur du regroupement des communes en communes nouvelles, y compris dans les Hauts-de-Seine, se montre confiant sur l'avenir, mais prévient : « Dans le cadre d'une métropole, quels que soient son périmètre et ses compétences, avoir des zones dédiées à l'activité économique, comme la Défense, pour lesquels l'on vient chercher des groupes internationaux, ne me gêne pas, tant que les fruits de la croissance sont également répartis. »

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