Philippe Douste-Blazy : « L’économie sociale ne doit pas se transformer en Monopoly »

Alors que les promesses des différents vaccins contre la Covid-19 ont fait s’envoler les cours de la Bourse, l’ancien ministre de la Santé révèle dans « Maladie française », paru aux éditions l’Archipel, comment le plan qu’il avait mis en place pour lutter contre une possible pandémie a été démantelé. Il explique aussi en quoi la course à l’innovation peut être perverse, pourquoi l’effort doit être soutenu en matière de recherche appliquée et pourquoi cela relève d’un pan de la stratégie d’attractivité de la France, comme de l’Europe.
Philippe Douste-Blazy, président de Unitlife.

La Tribune - Vous évoquez dans votre dernier ouvrage, à plusieurs reprises, la nécessité d'une coopération internationale. C'est un sujet que l'on a souvent évoqué en termes de relocalisation industrielle. Vous insistez pour dire qu'il faut surtout un plan d'envergure européenne pour affronter des situations comme celles que nous vivons actuellement.

Philippe Douste-Blazy - Au niveau international, il n'existe aucun plan de lutte contre la pandémie. Le fait que la communauté internationale ne se soit pas dotée d'un plan, alors que l'on a inventé l'avion à réaction, paraît fou. Cela en dit long sur la réflexion politique de la santé. Il ne faut pas oublier que la santé est un bien public mondial comme l'eau ou l'éducation. Ce sont des biens mondiaux mais pas universels. Cette gouvernance mondiale qui finalement n'existe pas n'a pas compris que la santé doit être un bien public universel.

Vous estimez aussi que notre pays a besoin d'une refonte de grande envergure du système de santé.

Le système politique international a accepté que lorsqu'un médicament est découvert, il soit efficace mais cher, protégé par des brevets qui le rend accessible à seulement quelques millions de personnes. C'est choquant mais c'est nous qui acceptons de vivre comme cela. La santé doit-elle être considérée comme un bien capitalistique ? Comme une voiture ou un foulard de luxe ? C'est une extrême erreur que l'homme commet.

Votre ouvrage est préfacé par le professeur Didier Raoult. Comment expliquez-vous la cristallisation qui s'est faite autour de lui ?

Nicolas Sarkozy et Arnold Munnich (conseiller santé du président NDLR) ont créé quelque chose d'absolument nécessaire : les IHU. Six instituts hospitalo-universitaires ont vu le jour, au grand dam de l'Inserm qui y a vu une attaque personnelle. Cela a engendré des cicatrices extrêmement graves. Lors d'une épidémie, il est important de dépister massivement car en découvrant les cas précoces, on évite la contagion. Lorsque Didier Raoult a vu que cela ne se faisait pas, il a été catastrophé, en termes de santé publique. L'hydroxychloroquine et l'azythromycine fonctionnent s'ils sont pris au début de la maladie. Ce qui est dramatique, c'est pourquoi ne s'est-on pas donné les moyens d'une étude en double aveugle ? Pourquoi de fausses études ont été publiées dans deux revues reconnues ? La justice devra un jour s'intéresser à cela.

L'un des sous-chapitres de « Maladie française » est intitulé : « l'économie de marché n'est pas un Monopoly ». Pouvez-vous préciser ?

Je pars du principe que le capitalisme ne marche que si l'économie est aussi sociale. Pour sortir de la pauvreté, il vaut mieux s'appuyer sur les entreprises. L'économie sociale ne doit pas se transformer en Monopoly, où l'homme n'existe plus. Qu'il y ait un vaccin, c'est une très bonne nouvelle. Là où ça va moins bien, c'est quand les médias se ruent sur la nouvelle. Jusqu'à présent je n'ai vu que des communiqués de presse. J'attends que des scientifiques écrivent sur ces vaccins dans The Lancet ou Nature et là, oui, j'accepterai de me faire vacciner. La question c'est, le vaccin fait-il disparaître l'infection ? Ou évite-t-il la forme grave de la maladie ?

Vous dénoncez également une couse « perverse » à l'innovation. Dans quel sens l'entendez-vous ?

Il y a le chercheur fondamental, qui cherche à savoir comment ça marche. Puis il y a le médicament innovant qui, au bout de 10 ans à 15 ans, tombe dans le domaine public. Sauf que pour le laboratoire, ceci est une catastrophe. Il va donc s'assurer qu'en rajoutant quelques molécules, qui ne changent rien fondamentalement, et en lui donnant un autre nom, cela devienne un nouveau médicament innovant. Avec pour conséquence d'influer sur le cours de Bourse. C'est très malsain. Et on retombe dans cette économie Monopoly.

Pour en revenir à l'IHU que dirige le professeur Raoult, on le sait peut-être moins, mais il accueille et incube des startups. On a vu par ailleurs la capacité des jeunes pousses à se mobiliser autour des tests et de la recherche de vaccins. La startup est-elle fondamentale dans la démarche d'innovation ?

Tous les pays qui sont en tête de peloton sont celles qui font de la recherche. Si demain le président Emmanuel Macron me demandait conseil, je l'inciterais à multiplier par quatre le budget de la recherche. C'est la clé de tout. Il faut parfois engager des choix qui n'auront des résultats que plus tard. Le CEA, l'Inserm, l'ESA... ont été mis en place par le général de Gaulle. En termes de recherche, il ne faut pas qu'une recherche fondamentale, il faut aussi une recherche appliquée. Une tendance prévaut depuis 30 ans, à aller de plus en plus vers une recherche fondamentale et moins vers la recherche clinique. En Corée du Sud, des laboratoires de recherche ont été installés à côté de chaque usine. Dans une économie, si on ne vend rien, on perd de sa puissance. Ne pas comprendre cela, c'est accepter le déclassement de ce pays. Il est minuit moins cinq. Il est important qu'il y ait des fonds d'investissement orientés medtech et biotech, capable de faire venir des fonds privés. Aujourd'hui, de plus en plus de chercheurs acceptent de créer des startups. Si j'étais au pouvoir, je faciliterais l'entrée sur le territoire au post-doc chinois. Ce sont eux qui sont à l'origine de 50 % des publications d'excellence. Trump s'est tiré une balle dans le pied en leur fermant l'entrée aux Etats-Unis.

Une prochaine épidémie secouera le monde, affirmez-vous en conclusion de votre ouvrage...

Il y aura une nouvelle épidémie, c'est certain. La pandémie que nous connaissons actuellement à un taux de mortalité de 0,5 % à 1 %. Mais il pourrait subvenir une épidémie qui, comme Ebola, aurait un taux de mortalité de 50 à 70 %.

Il va falloir très rapidement tirer les conclusions pour avoir une opérationnalité rapide. Je ne voudrais pas que l'on se réveille avec une mondialisation qui verrait d'un côté l'Asie-Pacifique et de l'autre un bloc Etats-Unis-Europe qui ne se parle pas. Une seule solution : prendre la mesure de cela et en tenir compte de façon structurelle. Nous n'aurons plus droit à l'erreur.

Commentaires 2
à écrit le 01/12/2020 à 21:21
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Avec Macron et son conseiller, cest encore mieux que le Monopoly, c'est carrément la bourse et les M&A !!

à écrit le 01/12/2020 à 15:28
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"alors que l'on a inventé l'avion à réaction" Et puis surtout internet maintenant hein, pour communiquer c'est encore plus rapide que l'avion à réaction ! Si si. :-)

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