Quelle ligne économique ? La question centrale de la primaire de la gauche

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1125  mots
Politique de l'offre ou de la demande? La réponse sera très différente en fonction de qui sortira vainqueur de la primaire du PS et de ses alliés. Mais le choix effectué rendra de toute façon quasi impossible la possibilité de trouver un accord global avec les deux autres candidats Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron.
Mezza voce, le premier débat de la primaire du PS et de ses alliés a montré l'importance de la fracture entre les candidats socialistes sur la ligne économique à suivre. Politique de l'offre ou relance par la demande?

Pas de polémique, pas de vague ! C'est le sentiment qui prime à l'issue du premier débat TV qui a opposé jeudi 12 janvier des sept candidats à la primaire du PS et de ses alliés. Chacun s'est employé à éviter la confrontation directe, y compris sur les sujets qui fâchent comme la déchéance de la nationalité ou l'utilisation du « 49-3 » par Manuel Valls pour faire passer en force la loi Travail. Résultat, un débat pas très captivant dont le format - le peu de temps de parole dont dispose chaque postulant - empêche, de surcroît, d'approfondir les sujets.

Politique de l'offre ou politique de la demande?

Pourtant, sur les questions économiques et sociales, en filigrane, on voyait bien la ligne de fracture qui séparait des candidats comme Arnaud Montebourg et Benoît Hamon, sensibles à promouvoir une politique keynésienne de relance via la consommation, et les tenants de la continuation d'une politique de l'offre, incarnés par Manuel Valls et Sylvia Pinel. Mais les échanges ayant eu lieu mezza voce, les clivages n'étaient pas flagrants ou, du moins, n'ont pas donné lieu à des propos enflammés.. Et pour cause, tout à sa tentative de faire oublier son discours sur les « gauches irréconciliables » et obligé de « draguer » sur sa gauche, Manuel Valls se fait discret. Certes, il défend mordicus ses choix du pacte de responsabilité et du crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) qui ont permis d'alléger de 41 milliards d'euros les cotisations et la fiscalité sur les entreprises, mais c'est pour immédiatement promettre qu'il en restera là, s'il accède au pouvoir, et qu'il n'ira pas plus loin - sauf sur la baisse du taux d'impôt sur les sociétés - au nom d'un besoin « de stabilité dans les règles fiscales et sociale ».

Argument qui cache son besoin de ne pas effrayer de potentiels électeurs de gauche qui ne le suivent pas sur cette politique de l'offre. De même, gêné aux entournures sur la problématique du pouvoir d'achat, Manuel Valls a ressuscité cette fausse bonne idée sarkoziste d'un retour à la défiscalisation des heures supplémentaires, qui a, pour lui, le mérite de ne pas peser sur les comptes de l'entreprise... mais sur ceux de l'Etat.

Le même raisonnement s'impose avec la loi Travail qui a provoqué tant d'émotion chez les militants socialistes. Et pour cause, jamais François Hollande ne l'avait annoncé lors de sa candidature en 2012. Là aussi, pas très à l'aise, Manuel Valls préfère insister sur des aspects de la loi qui font davantage consensus, comme l'instauration du compte personnel d'activité, l'élargissement de la garantie jeune ou le « droit à la déconnexion », plutôt que sur l'inversion de la hiérarchie des normes en matière d'accord sur le temps de travail. Certes, aiguillonné sur ce sujet par Arnaud Montebourg qui accuse la loi El Khomri « d'organiser la concurrence entre les entreprises d'un même secteur » et qui promet de l'abroger, Manuel Valls lance qu'il fait confiance aux syndicats réformistes dans les entreprises. Il est appuyé sur ce point par Sylvia Pinel pour qui « la loi El Khomri, portée par les syndicats réformistes, est la vision d'une gauche moderne ».

Montebourg et Hamon en hérauts du pouvoir d'achat

Alors, face à cette défense - timide - de la politique de l'offre et du besoin de flexibilité du droit du travail, Arnaud Montebourg et Benoît Hamon se sont employés à élaborer un autre discours, celui porté par les "frondeurs" du PS à l'occasion des lois Macron et El Khomri. Le premier a retrouvé des accents du fameux discours du Bourget de François Hollande, pour annoncer d'emblée « qu'il augmentera les impôts sur les banques à hauteur de 5 milliards d'euros par mois ».

S'agissant du CICE, il souhaite le recentrer sur les PME et « distribuer le reste aux ménages ». Sans parler de sa proposition de drastiquement diminuer la CSG au niveau du Smic et de rendre cette contribution progressive sur les bas salaires. Et de dénoncer, pour aggraver son cas auprès des tenants d'une politique de rigueur, que la règle des « 3% de déficits publics est absurde, archaïque et pas crédible »... Manuel Valls, s'est efforcé à rester calme... Et que dire de Benoît Hamon tout à son désir de vouloir imposer, par étapes successives, son revenu universel ou qui prône une fusion de l'impôt sur le revenu et de la CSG - une proposition du candidat Hollande de 2012 - avec dix tranches d'imposition pour « rendre l'impôt réellement progressif »... Sans parler de son idée de « fusionner l'ISF et la taxe foncière »... Là aussi, Manuel Vall n'a pas bronché.

Peillon et la tentative de consensus

Quant à Vincent Peillon, soucieux de préserver son positionnement central, il ne croit pas à un revenu universel «avec un coût de 400 milliards d'euros ». Il s'oppose sur ce point à Benoît Hamon pour qui ce revenu universel est nécessaire pour permettre à des gens de survivre « alors que l'emploi va se raréfier ». Pour Vincent Peillon, la solution d'avenir se trouve plutôt « dans la montée en gamme des qualifications ». Il préconise aussi un « bouclier fiscal » pour les plus modestes... pendant du boucler fiscal pour les plus aisés institué par la droite. Il se prononce aussi pour un maintien du CICE mais avec des contreparties « en termes d'emplois ». Une sorte de ligne médiane donc.

 L'impossible réconciliation

Bref, ce premier débat a montré des divergences de fond entre les candidats du PS sur la ligne économique et sociale. Ces mêmes divergences qui fracturent le PS depuis des années et notamment depuis 2012. Avec ces éternels débats entre social-démocratie et social-libéralisme. C'est toute l'ambiguïté de cette primaire. Comment un Montebourg et un Hamon pourront soutenir Manuel Valls si c'est lui qui en sort vainqueur ? Alors que ces désaccords de fond sont mêmes à l'origine du départ des deux premiers du gouvernement du troisième...

Mais l'inverse est également vrai. On ne voit pas Valls soutenir la politique de relance par la consommation souhaitée par Hamon ou Valls. Dans ces conditions, comment tenter à l'issue de la primaire socialiste et de ses alliés d'amorcer un dialogue avec Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron ? Au-delà des problèmes d'ego, déjà quasi insurmontables, le choix du candidat PS - et donc de la ligne économique choisie-  rendra de toute façon impensable la possibilité de trouver un accord avec les deux autres candidats. Un grand écart impossible. François Hollande avec son art de la synthèse n'est plus là.