À Sofia, l'Europe tente une union de façade face à Trump

Par Grégoire Normand  |   |  954  mots
Emmanuel Macron, Theresa May et Angela Merkel au sommet de l'Union européenne et des Balkans, à Sofia, le 17 mai, tentent de serrer les rangs. (Crédits : Reuters/Stoyan Nenov)
Le sommet Union Européenne Balkans, qui se tient jusqu'à jeudi 17 mai au soir, est l'occasion pour les chefs d'État européens d'affirmer leur fermeté face à la décision de Donald Trump de retirer les États-Unis de l'accord nucléaire iranien. Les puissances européennes veulent maintenir les échanges commerciaux avec l'Iran tant redouté par l'administration américaine.

La recherche de l'unité est devenue une priorité pour les dirigeants européens face aux décisions de la première puissance mondiale. Réunis à Sofia pendant deux jours, les chefs d'État de l'UE à 28 se sont accordés sur une approche unie pour sauvegarder l'accord nucléaire iranien après la décision du président américain d'en retirer les États-Unis. Les différents exécutifs du Vieux Continent ont annoncé qu'ils continueraient de soutenir l'accord iranien "pour autant que l'Iran le respectera" et "de lancer leurs travaux pour protéger les entreprises européennes affectées par la décision américaine" selon l'AFP.

Un front uni

Donald Trump a qualifié le traité iranien de "pire accord" jamais négocié par les États-Unis. L'ancien présentateur de téléréalité lui reproche notamment de ne pas couvrir le programme balistique de Téhéran. De leur côté, les signataires européens veulent désormais le convaincre qu'il s'agit du meilleur moyen pour éviter que l'Iran devienne une puissance nucléaire.

Pendant une conférence de presse, le président du Conseil européen Donald Tusk, a indiqué que les européens devaient préserver un front uni sur ce dossier comme sur d'autres.

"En regardant les dernières décisions du président Trump, on pourrait presque penser : avec des amis pareils, qui a besoin d'ennemis ? (...) Mais honnêtement, l'Europe devrait être reconnaissante envers le président Trump car, grâce à lui, toutes nos illusions ont disparu", a-t-il dit.

Les Européens, a-t-il ajouté, doivent restés unis face "à ce nouveau phénomène que constitue l'affirmation capricieuse de l'administration américaine".

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(Le président du Conseil européen Donald Tusk. Crédits : Reuters)

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Au lendemain d'une discussion sur le sujet, la chancelière allemande Angela Merkel a convenu que "l'accord n'est pas parfait mais qu'il faut le préserver" a-t-elle déclaré ce jeudi matin. "Chacun dans l'UE partage le point de vue que l'accord n'est pas parfait, mais que nous devrions rester dans cet accord et poursuivre des négociations avec l'Iran sur d'autres sujets, comme les missiles balistiques", a-t-elle dit devant la presse.

Un enjeu de taille

L'enjeu est de taille pour l'économie tricolore. Au sein de l'Union européenne, la France est le deuxième partenaire commercial de l'Iran derrière l'Italie mais devant l'Allemagne. Après des sanctions renforcées contre Téhéran à partir de 2012, les échanges commerciaux sont passés d'un pic de 4,3 milliards d'euros en 2006 à 515 millions d'euros en 2014. Ils sont repartis timidement en 2015 avant même la levée des sanctions avant de bondir à partir de 2016. Selon les chiffres du service économique de l'ambassade de France en Iran, les exportations vers la puissance iranienne ont plus de que doublé en 2017 pour s'établir à 1,5 milliard d'euros.

Au niveau des échanges par secteur, ce sont surtout les ventes d'aéronefs et d'engins spatiaux (26%) avec la signature de grands contrats, les produits pharmaceutiques et les pièces détachées pour les voitures qui constituent l'essentiel des produits exportés. Du côté des importations, elles sont composées principalement de pétrole brut, renforcées par la levée des sanctions.

"Les entreprises, en particulier les entreprises internationales qui ont des expositions dans de nombreux pays, font des choix qui leur sont propres en fonction des intérêts qui sont les leurs", a déclaré Emmanuel Macron à son arrivée au sommet Union européenne-Balkans à Sofia.

"Il est pour moi essentiel que cette liberté soit laissée, je ne vais pas commenter telle ou telle décision. Ce qui est important, c'est que les secteurs les entreprises de taille moyenne intermédiaire qui sont peut-être moins exposées à des marchés américains ou autres puissent faire ce choix librement", a-t-il ajouté devant la presse.

Total a déjà annoncé mercredi qu'il ne pourrait pas poursuivre son projet South Pars 11 (SP11) et devrait mettre fin à toutes les opérations qui y sont liées avant le 4 novembre 2018, à moins qu'une dérogation propre au projet ne soit accordée par les autorités américaines, avec le soutien des autorités françaises et européennes.

Lire aussi : Total se retirera de son projet gazier en Iran s'il n'a pas une dérogation des Etats-Unis

Une union de façade ?

Les décisions intempestives du chef d'État américain incitent les pays européens à adopter une position commune, mais pour combien de temps ? En Italie, les chefs de file du mouvement 5 étoiles et de la Ligue (extrême droite) tentent de régler leurs derniers arbitrages pour construire un programme commun et un gouvernement de coalition après des élections tendues en début d'année.

En Autriche, la situation est guère meilleure. Quatre mois après son arrivée au pouvoir, l'extrême droite emmenée par le FPO (parti autrichien de la liberté) dans une coalition avec le parti conservateur (OVP) est déjà empêtrée dans plusieurs scandales. Outre-Rhin les députés de Alternative für Deutschland (AfD- extrême droite) ont remporté 92 sièges au Bundestag. Et la perspective des prochaines élections européennes en 2019 pourrait accroître encore les divisions au sein d'un continent toujours instable tant sur le plan politique que sur le plan économique. Les réformes de la zone euro voulues par la France et l'Allemagne pour faciliter l'intégration des derniers États membres patinent alors que la conjoncture économique est plutôt favorable. En clair, cette union affichée dans la capitale de la Bulgarie pourrait être de courte durée.

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