Brexit : les entreprises européennes tirent la sonnette d'alarme

Par Sasha Mitchell  |   |  902  mots
Les entreprises s'inquiètent d'un éventuel retour des droits de douanes et des obstacles non-tarifaires, comme l'allongement des temps d'attente à la frontière avec le Royaume-Uni.
Depuis leur ouverture en juin dernier, les négociations entre Britanniques et Européens sont centrées sur les termes du divorce. Résultat, la situation crée une incertitude importante chez les entreprises implantées dans l'Europe des 27. Selon une étude, celles-ci réclament le début, dès que possible, des discussions sur la période de transition et le futur accord commercial.

Au lendemain de la quatrième phase de discussions entre le Royaume-Uni et l'Union européenne, les entreprises ne sont toujours pas rassurées. Loin de là. Bloquées depuis juin au stade des modalités du divorce, les négociateurs ne peuvent pour l'heure toujours pas aborder la question d'une éventuelle période de transition et du futur accord commercial. Deux sujets centraux pour les firmes implantées sur la rive continentale de la Manche, qui commencent à s'impatienter selon un rapport du Conseil des chambres de commerces britanniques en Europe (Cobcoe). Et ce alors que 5% des importations de l'UE proviennent du Royaume-Uni et que 7% des exportations effectuent le chemin inverse. "Vous ne nous écoutez pas !", lancent-elles en substance aux deux équipes de négociations.

Selon elles, "l'atténuation des perturbations dues au Brexit est la priorité essentielle". Car pour l'heure, d'après une synthèse de la position de plus de 1.000 dirigeants d'entreprises interrogés dans 18 pays de l'UE27 depuis un an, "l'incertitude a généré un 'effet de paralysie" dans le cadre de la prise de décisions à long terme, étant donné que les entreprises adoptent une approche passive, dans la mesure du possible, en espérant remettre à plus tard des décisions importantes [...] jusqu'à ce que les négociations deviennent plus claires". Autrement dit, les sociétés ajournent des projets d'investissements sur le plan humain et matériel, en attendant davantage de détails sur la future relation entre le Royaume-Uni et l'Union européenne. Et se préparent au pire des scénarios : une sortie sans accord, toujours pas définitivement écartée en dépit des déclarations rassurantes de la Première ministre britannique Theresa May lors de son discours de Florence.

Londres, porte d'entrée dans l'Europe

"L'incertitude est inhérente au monde des affaires", a concédé Olivier Campenon, président de la chambre franco-britannique de commerce et d'industrie lors de la présentation du rapport à la presse.

"Mais dans le cadre du Brexit, elle est multiple, et affecte tous les départements de l'entreprise : financier, ressources humaines, juridique etc. Il est très difficile de se préparer à un tel événement."

Concrètement, les entreprises s'inquiètent en premier lieu du retour potentiel des droits de douanes mais aussi des obstacles non-tarifaires, comme un délai d'attente plus long à la frontière qui ralentirait toute la chaîne d'approvisionnement d'une entreprise. Ensuite, les divergences réglementaires préoccupent les dirigeants, et notamment la question de la perte du passeport européen des services financiers, qui permet actuellement aux établissements implantés à Londres de commercer sur le reste du continent. "Ce n'est pas une question qui concerne exclusivement les Britanniques. Londres est une porte d'entrée en Europe et c'est un fait", affirme Sharon Lewis, associée responsable de la pratique finance au cabinet d'avocats Hogan Lovells. Des propos illustrés par Olivier Campenon : "Des entreprises qui n'ont aucun lien commerciaux avec le Royaume-Uni se sentent affectées car elles sont financées depuis Londres."

Les entreprises espèrent un improbable "statu quo"

Enfin, la question de la mobilité future des employés, tant pour le recrutement de "talents" au Royaume-Uni que dans un contexte "de déplacement rapide et à moindre coût des employés en fonction des besoins de l'entreprise", donne des maux de têtes aux patrons de l'Europe des 27. En somme, "surtout, que rien ne change" semblent vouloir dire les entreprises. Difficile, pourtant, d'imaginer, dans le cas de la mobilité des employés, comment une seule des quatre libertés de circulation pourrait être conservée. La position des Britanniques, qui souhaitent limiter l'immigration y compris économique, comprend en effet une sortie pure et simple du marché unique et de l'union douanière, ce qui entraînerait immédiatement la fin du mouvement sans entrave des biens, des capitaux, des services et, enfin, des personnes.

| Lire aussi : Brexit : les négociateurs sous la pression des entreprises

Entreprises européennes et négociateurs de David Davis, le ministre britannique du Brexit, se retrouvent en revanche sur deux points. La nécessité d'une période de transition (que la Première ministre Theresa May estime à deux ans environ) et surtout une ouverture "dès que possible" de la deuxième phase des négociations sur les modalités de celle-ci ainsi que sur le futur accord commercial. "La période de transition doit être une période d'implémentation d'un accord commercial et non deux années supplémentaires d'incertitude", résume le président de la chambre franco-britannique de commerce et d'industrie. Car pour l'heure, les négociateurs européens refusent d'entendre parler du futur tant que les questions relatives à la séparation - la frontière entre les deux Irlande, les droits des citoyens et la facture du divorce - ne sont pas réglées. Le Parlement européen doit, dans ce contexte, voter mardi une résolution demandant aux chefs d'Etat européens, qui se réunissent dans deux semaines à Bruxelles, d'ajourner leur évaluation des progrès réalisés lors des négociations. Initialement, ce sommet était censé entériner l'entente sur ces trois sujets et l'ouverture de la deuxième phase des négociations... Reste à savoir si la présentation prochaine de ce rapport aux équipes de Michel Barnier réussira à faire fléchir, un peu, la position européenne sur le calendrier.