Jeroen Dijsselbloem, le zélé allié de Wolfgang Schäuble récompensé

Par Romaric Godin  |   |  1293  mots
Le ministre des Finances néerlandais a tenu une ligne dure contre les Grecs.
Le ministre des Finances néerlandais a été reconduit à la tête de l'Eurogroupe lundi. La reconnaissance de son rôle clé dans la victoire allemande lors de la crise grecque.

S'il est une personne qui sort réellement vainqueur des presque six mois de crises entre la Grèce et ses créanciers, c'est bien Jeroen Dijsselbloem. Le ministre des Finances néerlandais, a, lundi soir, quelques heures après le « compromis » avec Athènes, obtenu sa reconduction au poste de président de l'Eurogroupe pour deux ans et demi. Un beau succès pour cet homme de 49 ans qui a ainsi réussi à s'imposer contre son homologue espagnol, Luis de Guindos, qui lorgnait, jusqu'ici avec de bonnes chances, sur ce poste.

L'humiliation

Mais Jeroen Dijsselbloem a convaincu ses camarades de l'Eurogroupe grâce à un comportement « parfait » durant la crise grecque. Le Néerlandais est apparu comme l'alter ego du ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble. Il a adopté une ligne dure qu'il a fait tenir à l'Eurogroupe avec la bénédiction du patriarche badois qui l'a alors pris sous sa protection. Il n'a pas réellement eu à se forcer. Jeroen Dijsselbloem, homme sage à la tenue parfaite, s'est immédiatement senti mal à l'aise avec Yanis Varoufakis, son homologue grec. Dès le 30 janvier, quatre jours après l'élection grecque, la conférence de presse est tendue. L'annonce surprise du Grec qu'il refuse désormais de discuter avec la troïka provoque la surprise et la consternation visible du Néerlandais. La poignée de mains qui suit est assez distante. Jeroen Dijsselbloem a, ce jour-là, sans doute, vu dans le nouveau gouvernement grec un ennemi.

Ligne dure

La suite n'a pas démenti cette opinion. Le président de l'Eurogroupe n'a jamais réellement été dans le camp du compromis. Début février, une émission parodique de la télévision néerlandaise montrait un Jeroen Dijsselbloem déterminé à « faire rentrer l'argent des Grecs parce que c'est mon boulot. » Puis, mis en difficulté, il appelait Angela Merkel à la rescousse. En mars, il était le premier à rejeter les « listes de réformes » proposées par les Grecs. Plus tard, il a toujours saisi l'occasion d'affirmer que les concessions grecques n'étaient pas suffisantes. Jamais il n'a utilisé son poste de président pour tenter de jouer le rôle de médiateur ou de facilitateur. Au contraire, il l'a utilisé pour imposer la ligne dure de Wolfgang Schäuble. Le but de cette dureté a été clairement établi par Jeroen Dijsselbloem en marge d'une des énièmes réunions de l'Eurogroupe : faire accepter par Athènes les « réformes » en utilisant la pression des retraits des dépôts et donc l'état des banques. La fermeté affirmée et martelée de Jeroen Dijsselbloem n'a eu de cesse de faire craindre aux Grecs un Grexit. Et c'est là qu'il a voulu en venir. Progressivement, la position grecque est devenue délicate : il fallait ou organiser la sortie de la zone euro, ou capituler.

La revanche

La revanche du 30 janvier a eu lieu le 27 juin au soir lorsqu'il décide d'exclure de facto Yanis Varoufakis de la réunion de l'Eurogroupe après l'annonce du référendum et le refus de prolonger le programme de 2012. Son homologue grec lui demande alors qui a décidé de poursuivre la réunion sans la Grèce. « Moi », répond le ministre néerlandais. L'humiliation grecque ne fait en réalité que commencer et Jeroen Dijsselbloem sera un des pires « faucons » de l'Eurogroupe. Il a ainsi rendu d'inestimables services à Wolfgang Schäuble qui a logiquement fait pression pour l'imposer pendant un nouveau mandat à la tête de l'Eurogroupe.

Symbole de la nouvelle zone euro

Il y a dans ce renouvellement toute l'image de la nouvelle zone euro qui est à naître. Un Néerlandais qui, comme en 2012, est choisi de préférence à un « latin. » Cette fois un Espagnol, jadis un Français. Wolfgang Schäuble ne veut prendre aucun risque en nommant un homme du sud qu'il juge sans doute peu fiable (avoir accepté en 2011 la nomination de l'Italien Mario Draghi à la tête de la BCE est un grand regret pour lui). D'autant que le résultat des élections espagnoles en novembre pourrait remplacer Luis de Guindos par une personnalité de la gauche espagnole... Autant donc s'appuyer sur l'existant et le sûr : un néerlandais parfaitement dévoué aux principes de l'Ordnungspolitik, la politique de l'ordre économique fondée sur la stabilité monétaire, devenu doctrine officielle de la zone euro.

Echec de la stratégie de la France depuis 2012

Cette nomination reflète un autre échec : celle de la stratégie de la France depuis 2012. Lorsqu'il a fallu nommer début 2013 un nouveau président de l'Eurogroupe, la France a proposé Pierre Moscovici. Refusé par Berlin. Elle a alors demandé un social-démocrate. Alors, Wolfgang Schäuble a proposé Jeroen Dijsselbloem. Paris s'est empressé d'accepter, comptant sur l'affiliation du Néerlandais au parti travailliste (PvdA), membre de l'Internationale socialiste. François Hollande a sans doute espéré que la solidarité de parti conduirait le ministre des Finances des Pays-Bas à « rééquilibrer » l'Europe. Le piège de Wolfgang Schäuble s'est alors refermé sur les Français : car le ministre allemand savait parfaitement qu'un travailliste néerlandais est plus attaché à sa vision économique stricte qu'à une fantomatique alliance sociale-démocrate en Europe. Jeroen Dijsselbloem est le symbole de l'échec de la stratégie française qui a consisté à se rapprocher de l'Allemagne pour la faire fléchir progressivement. Cette stratégie a en réalité durci la zone euro.

Tenant de l'austérité aux Pays-Bas

Car, comme souvent, Wolfgang Schäuble avait vu juste. Aux Pays-Bas, Jeroen Dijsselbloem, allié au premier ministre libéral Mark Rutte, a été l'homme de la rigueur la plus sévère. Il a appliqué l'austérité avec un zèle particulier, au prix de l'effondrement de son parti qui de 22 % en 2012 n'est plus donné qu'à 9 % dans les sondages. Mais son sens de la discipline emporte tout. Pour lui, comme pour Wolfgang Schäuble, l'économie n'est pas l'affaire de l'opinion publique. Et il faut faire le bonheur des peuples malgré eux. Là aussi, c'est un élément qui a déterminé son envie de « faire un exemple » avec la Grèce. D'autant que la force montante de la politique néerlandaise, c'est le SP, le parti socialiste, qui prône la fin de l'austérité et qui récupère une grande partie des déçus du PvdA. Un récent sondage Peil en fait le deuxième parti du pays... Mater Syriza avait aussi une fonction intérieure pour Jeroen Dijsselbloem

Problèmes au démarrage

Pourtant, il faut reconnaître que les débuts du zélé Néerlandais furent chaotiques. Diplômé d'économie agricole, connu aux Pays-Bas pour son goût pour l'agriculture (il élève des porcs), il n'avait en réalité pas d'autres qualités que celui d'être Néerlandais. Un premier couac arrive lorsque la presse néerlandaise découvre que le ministre s'est « attribué » lui-même un diplôme d'une université irlandaise qu'il n'avait fréquenté que quelques semaines. Erreur ensuite rectifiée. Puis, en mars-avril, lors de la crise chypriote, Jeroen Dijsselbloem montre déjà son zèle, mais il en fait trop. En avril, il prévient que le règlement chypriote, une ponction sur les dépôts, est un « modèle » pour d'autres crises. C'est vrai et l'union bancaire le prouvera, mais ses propos affolent les marchés, il doit faire marche arrière. Lors de la crise grecque, il aura appris de ses erreurs, maintenant un subtil équilibre entre une position technique de façade et une dureté politique réelle. C'est ce qui a conduit l'Eurogroupe et Wolfgang Schäuble a le récompenser par un nouveau mandat.