Pourquoi le projet de réforme français de la zone euro va échouer

Par Romaric Godin  |   |  1755  mots
Les projets européens d'Emmanuel Macron ont-ils la moindre chance ? (Crédits : © Stephane Mahe / Reuters)
Emmanuel Macron a proposé une "union de transferts" à l'Allemagne contre des réformes. Une stratégie qui n'a que peu de chances de réussir.

Il est un point sur laquelle la plupart des dirigeants européens sont d'accord : la zone euro telle qu'elle existe aujourd'hui n'est pas viable.  « Si rien ne bouge, il n'y a plus de zone euro dans dix ans », a même affirmé Emmanuel Macron, le ministre français de l'Economie. A Bruxelles, Francfort et dans les grandes capitales européennes, on réfléchit donc beaucoup ces temps-ci sur une nouvelle architecture de l'union monétaire qui permettrait « davantage d'intégration », comme l'a défendu jeudi 1er octobre à New York Mario Draghi, le président de la BCE. Mercredi 7 octobre, dans une mise en scène volontairement solennelle et inédite depuis 25 ans, Angela Merkel et François Hollande viendront défendre cette idée devant le parlement européen.

La proposition française

Tout le monde est donc d'accord sur l'idée. Mais dès lors que l'on entre dans le détail, l'unanimité prend fin. Cette nouvelle phase d'intégration pose, en effet, deux questions centrales : de quelle intégration parle-t-on ? Et comment y parvenir ? Et sur ce point, les divergences sont notables. La France plaide pour une intégration profonde, incluant des transferts financiers importants et un gouvernement économique de la zone euro. Emmanuel Macron, profitant de sa bonne image outre-Rhin, a tenté de convaincre les Allemands de cette réforme dans les colonnes de la Süddeutsche Zeitung. « Si les Etats membres ne sont pas prêts comme jusqu'à aujourd'hui à toute forme de transferts financiers au sein de l'union monétaire, on peut oublier l'euro et la zone euro », a-t-il martelé, non sans raison, avant d'ajouter : « une union monétaire sans péréquation, ça n'existe pas. » Le commissaire à la zone euro que propose Paris sera donc amené à « déclencher des investissements. »

La stratégie de Paris

La position du gouvernement français est assez logique, car, effectivement, les maux principaux de la zone euro sont liés à cette absence de péréquation et de solidarité. L'idée centrale de Paris, c'est de « vendre » cette solidarité à Berlin en échange de « réformes. » La France et l'Italie devraient donc améliorer leur compétitivité et l'Allemagne, voyant les déséquilibres se réduire, accepterait l'idée d'une union de transferts. C'est l'aboutissement de la stratégie française menée depuis octobre 2010 et « la promenade de Deauville » entre la chancelière et Nicolas Sarkozy : la France acceptait le durcissement de la surveillance macroéconomique et budgétaire en espérant la solidarité de l'Allemagne. La nouveauté, c'est que, cette fois, Paris semble prête à prendre ouvertement à rebours un des principaux tabous de la vie politique allemande : l'union des transferts.

Le rejet de l'Allemagne

L'intention est donc louable. Mais Emmanuel Macron réussira-t-il dans sa volonté de « briser les tabous » là où tous les autres ont échoué ? C'est peu probable et Angela Merkel a déjà rejeté cette idée. L'Allemagne voit l'union des transferts comme une trahison du « contrat » qui est l'origine de la création de la zone euro : l'Allemagne réunifiée donnait « son » mark à l'Europe à condition que cela ne lui coûte rien de plus. Un contrat sans doute peu crédible, mais qui est le fondement depuis près de 25 ans de l'attachement du centre-droit allemand à l'euro. Angela Merkel a déjà plusieurs fois fait violence à ce contrat par la mise en place de garanties de l'Etat fédéral pour les plans de « sauvetage » des pays périphériques. Tous ses plans ont été adoptés avec des défections croissantes au sein de la CDU/CSU. Jusqu'ici, ces défections provenaient de l'aile la plus eurosceptique de ce parti. Accepter une union des transferts, ou même le premier pas vers une telle union risque d'élargir cette mauvaise humeur, notamment à son ministre des Finances Wolfgang Schäuble.

La zone euro selon Wolfgang Schäuble

Ce dernier est certes un « Européen convaincu », mais il refuse absolument toute « socialisation des dettes. » Pour lui, le traité de Maastricht renforcé par des mesures budgétaires coercitives est l'horizon de l'union monétaire. Dans la conception de Wolfgang Schäuble, chaque pays a le devoir de « gagner » sa place dans l'UEM par une stricte discipline budgétaire. En 2011, déjà, le ministre des Finances fédéral allemand affirmait que « l'union monétaire n'a jamais été pensée comme un système de redistribution des pays riches vers les pays pauvres. » Pour se convaincre que son opinion sur ce point n'a pas changé, on se souviendra que le locataire de la Wilhelmstrasse, a, cet été, tenté de mettre en pratique avec la Grèce, cette conception : il s'agissait d'exclure le pays de la zone euro « temporairement » afin, affirmait-il de lui permettre de revenir une fois son « économie assainie. » De même, Wolfgang Schäuble s'est opposé à toute garantie sur les dépôts dans le cadre de l'union bancaire pour l'instant. Dans cette conception, l'union des transferts est inutile puisque la zone euro est une union d'économies sans déficits.

L'équation politique difficile d'Angela Merkel

Or, cette vision est beaucoup plus présente au sein de la CDU/CSU que celle des « frondeurs » de ces deux dernières années. En se lançant ouvertement dans une union des transferts, Angela Merkel s'exposerait à un conflit avec son ministre. Or, ce conflit est impossible politiquement. Wolfgang Schäuble est aujourd'hui davantage populaire qu'Angela Merkel qui est confronté à une véritable crise provoquée par sa politique migratoire au sein de la CDU/CSU. La chancelière ne prendra sans doute jamais le risque de l'aggraver pour satisfaire Emmanuel Macron. D'autant que sur sa droite, les Eurosceptiques d'Alternative für Deutschland (AfD) remontent et n'attendent qu'une telle opportunité pour attaquer la politique économique du gouvernement. Autrement dit, Angela Merkel ne peut pas accepter le plan de Paris.

L'Allemagne demandera encore des « efforts »

L'Allemagne va donc rejeter cette ambition française, comme elle le fait depuis 2010, en avançant que le besoin de réformes et le rétablissement des grands équilibres budgétaires doivent précéder tout autre pas. Elle s'appuiera sur le fait que la France apparaît encore en Allemagne comme le « mauvais élève » de la zone euro. « La France elle-même montre malheureusement le mauvais exemple », a indiqué le mois dernier en réponse à Emmanuel Macron le député CDU Eckhardt Rehberg. Bref, avant de passer à toute autre étape, Berlin va réclamer une surveillance encore renforcée des budgets nationaux et des politiques de « réformes » accélérées. Or, face à un refus d'Angela Merkel, ni Emmanuel Macron, ni François Hollande ne peuvent réellement agir. La France refuse toute épreuve de force avec l'Allemagne, même sur des sujets centraux. Elle se voit donc en permanence dépourvue de moyen de pression au sein de la zone euro et contrainte d'accepter les reproches allemands qui sont utilisés comme des moyens d'imposer la logique définie à Berlin.

La forme de l'intégration

Le scénario « l'intégration renforcée de la zone euro » qui se dessine est sans doute donc le suivant : Berlin va accepter formellement une « nouvelle étape », mais va refuser toute avancée vers l'Union des transferts. Cette « nouvelle étape » comportera sans doute une surveillance renforcée des budgets nationaux avec la création d'un « ministre des Finances de la zone euro » ou d'un « commissaire de la zone euro » qui aura pour charge d'imposer un rythme de consolidation aux « mauvais élèves. » La question de savoir si cette charge doit être dans la Commission, comme le voudrait Jean-Claude Juncker, ou en dehors, comme le veux Wolfgang Schäuble, offre finalement à l'Allemagne un levier de négociation : en acceptant de l'intégrer à la Commission, on peut obtenir encore un « durcissement » de sa fonction. Le « Rapport des Cinq Présidents » présenté en juillet prévoit un « semestre européen plus intégré » avec un « rôle renforcé de l'Eurogroupe. » Le président de l'Eurogroupe pourrait donc occuper ce rôle de « ministre des finances de la zone euro. » Or, on le sait, l'Eurogroupe est dominée politiquement et idéologiquement par Wolfgang Schäuble...

La solidarité a minima et plus tard...

Et en échange ? La question risque de se centrer sur la taille et la nature du budget dédié à la zone euro. Emmanuel Macron voulait que ce dernier soit alimenté par des impôts dédiés ou une partie des recettes de certains impôts. Cette option de « mise en commun » des revenus fiscaux semble peu probable compte tenu de l'opposition allemande. S'il peut y avoir un budget de la zone euro, il sera réduit, comme l'a proposé le « rapport des 5 présidents » - qui exclut toute union des transferts - à des interventions en cas de crise. Dans ce cas, ce « budget » pourrait être un Mécanisme de Stabilité européen (MES) élargi. Mais le problème, c'est que le MES est régi par un traité propre qu'il faudra donc amender. Berlin risque d'utiliser ceci pour ralentir la partie « redistributive », même modeste, de la nouvelle zone euro. Là aussi, les propositions Macron risquent donc de faire long feu.

Echec de la stratégie française

Encore une fois, la stratégie française semble peu adaptée à une situation européenne où l'Allemagne est sortie renforcée de la crise grecque et refuse en réalité toute véritable intégration. Elle est aussi peu adaptée à une situation économique qui aurait besoin d'une relance européenne. Certes, Paris ne manquera pas de se cacher derrière le « compromis » qui comportera des « avancées » et laissera la possibilité de transferts massifs pour l'avenir. Mais ce discours ressemble à la flèche de Zénon d'Elée : plus on se rapproche du but, plus on s'en éloigne. Une fois le "rééquilibre atteint", s'il est atteint, l'Allemagne pourra affirmer que la nouvelle étape vers la solidarité est inutile. La réalité est plus crue : l'union des transferts est inimaginable politiquement et économiquement pour l'Allemagne.

Berlin fait donc tout pour l'éviter en feignant d'accepter "plus d'intégration" La zone euro qui se dessine n'est pas celle d'une zone intégrée voulue par Emmanuel Macron, mais celle voulue par Wolfgang Schäuble. On resserrera donc simplement la "cage de fer". Les seules avancées tangibles depuis 2010 sont celles vers une zone euro « répressive » basée sur l'application générale du modèle allemand et la compétition interne. Et donc non viable.