Royaume-Uni : Theresa May peut-elle perdre l'imperdable ?

Par Sasha Mitchell  |   |  1181  mots
Theresa May dans le quartier d'affaires de Canary Wharf, le 17 mai dernier.
Alors que la leader des conservateurs compte sur les élections anticipées pour amplifier sa majorité, pour la première fois de la campagne, un sondage réalisé par YouGov prédit une perte de sièges pour son parti à Westminster. En dépit de la remontée aussi inattendue que spectaculaire des travaillistes dans les intentions de vote, Theresa May a tout de même de quoi se rassurer (ou pas) avant le scrutin du 8 juin.

Des sondages à sens unique, une opposition travailliste aux abois et une campagne ultra-courte de six semaines. Au moment de la convocation officielle des élections anticipées, mi-avril, tous les ingrédients semblaient réunis pour une victoire écrasante des Conservateurs, le 8 juin. En brandissant comme prétexte la nécessité d'une majorité renforcée pour négocier avec l'Union européenne l'exit du Royaume-Uni, Theresa May prenait même le soin de verrouiller le débat. De transformer le scrutin en un deuxième référendum: pour un leadership "fort et stable", son mantra répété depuis un mois, ou une coalition bancale Labour-Lib Dem-SNP, emmenée par un Jeremy Corbyn contesté par ses propres députés et sans réel programme pour le Brexit.

Seulement voilà. A sept jours du scrutin et après cinq semaines de campagne, la Première ministre se retrouve en difficulté. Forcée de revoir un point phare de sa réforme de la protection sociale seulement quatre jours après la présentation du programme des conservateurs, Theresa May a vu sa crédibilité s'effriter. Sa stature de femme d'Etat, principal argument auprès des électeurs, remise en question. "C'est le signe d'un leadership faible et instable, ironisait alors le coordinateur de la campagne travailliste Andrew Gwynne. Si les conservateurs ne sont pas capables d'être cohérents sur leur programme, comment vont-ils gérer le Brexit?" Exemple cruel des dégâts causés par cet épisode, les rires moqueurs du public au moment où Theresa May détaillait le financement de son programme sur Sky News et Channel 4, lundi 29 mai.

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Une campagne ratée

Et ses apparitions télévisées, ou plutôt son manque d'apparitions, n'ont pas arrangé l'image de la leader conservatrice. En annonçant dès le début de la campagne son intention de ne participer à aucun débat, Theresa May a pris le risque de paraître trop sûre d'elle. Voire même, de considérer l'élection comme déjà gagnée. Résultat, mercredi soir, les autres leaders de partis réunis par la BBC ont passé une bonne partie de la soirée à critiquer son absence. Alors que des journalistes l'interrogeaient sur les motifs de son refus, mercredi après-midi, May a balayé d'un revers de main toute peur d'affronter Jeremy Corbyn: "Je m'intéresse plutôt aux négociations sur le Brexit, pour que nous obtenions le meilleur deal possible", a-t-elle justifiée. Un signal contradictoire: comme si les élections, dont elle est pourtant à l'origine, l'empêchaient désormais de se concentrer sur le Brexit.

Dans les récents sondages, les limites de sa stratégie consistant à axer la campagne sur la sortie du pays de l'UE se font clairement sentir. La présentation d'un programme de justice social par les travaillistes, dont une bonne partie des mesures est soutenue par les Britanniques, a contribué à une réduction drastique de l'écart entre le Labour et les conservateurs. De 20 points au début du mois, l'avance des Tories est tombée à 3 points, selon le dernier sondage YouGov. Concrètement, les conservateurs sont crédités de 42% des intentions de vote, contre 39% pour les travaillistes, soit leur meilleur score depuis 2014. Pire pour la Première ministre, le même institut prévoit des pertes de sièges à la Chambre des communes pour son parti. Alors que les conservateurs comptent actuellement 330 sièges à Westminster (la majorité est à 326), 20 députés pourraient ne pas revenir, le 8 juin au soir, ce qui conduirait à un parlement minoritaire (Hung Parliament). En cas de très mauvaise performance, les Tories pourraient même tomber en-deçà de 280 sièges, alerte YouGov.

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L'enjeu de la participation des jeunes et des seniors

En dépit de ses signaux quelque peu alarmants, tout n'est pas noir, pour la Première ministre. Cette dernière enquête de YouGov, tout d'abord, se base sur une méthodologie "circonscription-par-circonscription" jamais utilisée dans un sondage officiel auparavant. Si l'institut assure que la démarche a été testée avant le référendum sur le Brexit, et que les résultats officieux donnaient le Leave en tête, difficile d'en évaluer la crédibilité. La marge d'erreur reste d'ailleurs importante, puisque le même sondage estime que, dans la meilleure hypothèse, les conservateurs pourraient amplifier leur majorité de 15 sièges.

Ensuite, le résultat des travaillistes, et a fortiori de l'élection, dépendra en bonne partie de la participation des jeunes. Alors qu'ils plébiscitent Corbyn dans les intentions de vote (69%), les 18-24 ans sont habituellement la tranche d'âge qui vote le moins. A l'autre bout de la pyramide, une grande majorité des plus de 60 ans, et ce malgré l'épisode de la "taxe sur la démence", compte glisser un bulletin conservateur dans l'urne. Contrairement aux plus jeunes les retraités, eux, se déplacent généralement en masse. Il semblerait que les estimations de YouGov soient donc basées en partie sur le pari d'une forte participation des jeunes. D'autres sondages, réalisés par Kantar TNS notamment et dont la méthodologie plus traditionnelle prend en compte les habitudes de vote des élections précédentes, continuent en parallèle d'accorder une avance de 10 à 14 points aux conservateurs.

"Yougov donnait le Labour et les Tories au coude à coude en 2015", rappelle un journaliste sur Twitter. A l'époque, l'échantillon de l'institut comprenait trop de jeunes.

May reste la plus "premier ministrable"

Dans cette jungle d'enquêtes d'opinion contradictoires, d'autres facteurs peuvent également rassurer Theresa May. Parmi eux, le fait que les Britanniques continuent de la considérer comme la plus "premier ministrable" (43%) face à Jeremy Corbyn (30%). Même dans un régime parlementaire, cette donnée a son importance au Royaume-Uni, avant chaque élection générale. Enfin, 67% des personnes interrogées par YouGov s'attendent à une majorité conservatrice, contre 7% seulement pour les travaillistes.

En dépit d'une campagne médiocre de Theresa May et d'un resserrement des intentions de vote relevé avec des degrés d'amplitudes divers par tous les instituts de sondages, de nombreux indicateurs continuent donc de pointer vers une amplification, ou au minimum une confirmation de la majorité des Tories. Un échec, cependant, ne peut désormais plus être considéré comme inconcevable. Le dernier scrutin convoqué par un conservateur et qualifié comme "imperdable" était d'ailleurs un référendum. Celui du 23 juin 2016.