Von der Leyen veut l'Ukraine dans l'UE (« Ils sont des nôtres»), Zelensky répond : oui, tout de suite !

Par Jérôme Cristiani  |   |  2159  mots
(Crédits : Reuters)
Hier soir, après que la Russie a implicitement menacé l'Ukraine de l'arme nucléaire en "mobilisant sa force de dissuasion", la cheffe de l'exécutif européen a exprimé son soutien sans équivoque à l'adhésion de l'Ukraine au bloc. Et aussi: le point sur la situation en ce début de 5e jour de guerre, avec les premiers effets du pilonnage financier des Occidentaux contre le pouvoir russe et notamment la faillite en cours de la première banque russe, Sberbank. L'UE a également annoncé dimanche soir avoir l'intention de fournir des avions de combat aux forces ukrainiennes, ce qui est un risque d'escalade certain face aux menaces russes envers tout pays qui aiderait l'Ukraine.

[Article publié le 28.02.2022 à 8:25, mis à jour à 10:00 avec réponse de Zelensky, et à 11:00 avec précisions sur les avions de combat, à 13:45 avec Charles Michel]

Dimanche, au quatrième jour de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a déclaré qu'elle était favorable à une adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne (UE).

« À long terme, ils sont avec nous en fait. Ils sont des nôtres et nous les voulons avec nous », a déclaré von der Leyen dans une interview à Euronews dimanche, rapporte le service allemand de l'agence Reuters.

Von der Leyen s'est exprimé après que l'UE et ses 27 États membres ont décidé de fournir des armes à l'Ukraine - une première dans l'histoire de la communauté internationale.

Rattachement « immédiat » de l'Ukraine à l'UE: la question de la Clause de défense mutuelle

Et ce matin à 10 heures, l'Ukraine vient de saisir à bras le corps cette perche tendue par la présidente de la Commission européenne, en demandant son rattachement « sans délai » à l'Union européenne, par la voix de son président Volodymyr Zelensky, rapporte l'AFP.

« Je suis sûr que c'est juste. Je suis sûr que c'est possible », a-t-il conclu.

Mais aussi généreuse soit-elle, cette main tendue de l'Union européenne à un pays envahi par son voisin soulève bon nombre de questions quand il s'agit de l'Ukraine. Sur Twitter, nombre de twittos réagissent à vif considérant que, malgré l'urgence, c'est aller un peu vite en besogne car l'Ukraine est loin de remplir tous les critères d'adhésion pour devenir État-membre. Certains arguant qu'on ne transforme pas un pays en démocratie parce qu'il est en guerre contre un autre.

Un autre internaute s'inquiète que cette idée d'intégrer un pays en guerre ait pour conséquence d'entrer en conflit direct avec la Russie, du fait de la Clause de défense mutuelle des pays-membres de l'UE.

Et de fait, cette Clause de défense mutuelle, inscrite à l'article 42 paragraphe 7 du Traité de l'Union européenne (TUE), a été introduite en 2009 avec le traité de Lisbonne. Elle stipule que les pays de l'Union européenne sont obligés d'aider un État-membre si celui-ci est l'objet « d'une agression armée sur son territoire ». Ce soutien doit demeurer conforme aux possibles engagements souscrits au sein de l'OTAN (l'Organisation du traité de l'Atlantique nord), explique le Parlement européen sur son site. (Voir aussi Note de bas de page.)

Pour autant, précise le Parlement européen, « aucune procédure formelle n'a été prévue. L'article ne requiert pas expressément une assistance de nature militaire ».

Mais au final, il y a un gros bémol. Car il faut relire la déclaration d'Ursula von der Leyen: celle-ci a pris soin de préciser que l'adhésion de l'Ukraine à l'UE était un souhait de sa part, à insérer dans un horizon de long terme. Toutefois, l'annonce, même aussi prudemment formulée soit-elle, constitue bel et bien une marque de soutien supplémentaire à l'Ukraine.

En outre, il faudrait trouver une sorte de procédure d'urgence, car le processus d'intégration habituel d'un nouveau pays à l'UE prend habituellement des années. Le président du Conseil européen Charles Michel a souligné qu'il y avait "différentes opinions" sur ce sujet, qui en outre, nécessite l'unanimité.

Une manière de rappeler à la présidente de la Commission européenne que sa proposition n'est pas partagée par tout le monde à l'intérieur des différentes enceintes de l'Union européenne...

La coalition contre la Russie prend corps

Fait notable, l'Allemagne, qui a vu « son égoïsme » fustigé par le président polonais samedi lors de sa visite au chancelier Olaf Scholz, a également changé de cap et a décidé de fournir des armes à l'Ukraine mais aussi donné son accord pour les sanctions sur le bannissement de la Russie du réseau Swift.

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Ce lundi, 5e jour de guerre, la Russie poursuit son offensive sur l'Ukraine, qui résiste avec acharnement, au lendemain de la menace nucléaire brandie implicitement par Vladimir Poutine quand il a déclaré la mobilisation de sa force de dissuasion - c'est cette menace à laquelle les Européens ont répliqué en promettant de fournir des armes à Kiev.

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La Maison Blanche a annoncé de son côté que le président Joe Biden s'entretiendrait lundi au téléphone avec ses alliés, sans préciser leur identité, à 16h15 GMT, pour "coordonner" une "réponse unie" face aux "développements" de l'attaque russe.

Le pilonnage de sanctions financières commence à faire effet en Russie

Les Occidentaux ont déjà décidé de lourdes sanctions financières contre Moscou, et de premiers effets sont apparus lundi: la Banque centrale européenne (BCE) a constaté la « faillite ou faillite probable » de la filiale européenne de la banque russe Sberbank, parmi les plus grandes du pays, et le rouble a chuté de près de 30%. Par ailleurs, le prix du baril de pétrole brut WTI a bondi de plus de 5%.

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L'ONU se réunit, sur fond de graves menaces de la Russie

Ce lundi 28 février, les 193 membres de l'Assemblée générale des Nations unies se réunissent en "session extraordinaire d'urgence" pour se prononcer sur le conflit, qui a tué depuis jeudi, selon Kiev, quelque 200 civils et des dizaines de militaires.

Vladimir Poutine, dont les forces sur le terrain se heurtent à la résistance des Ukrainiens et à la mobilisation des Occidentaux, a ordonné dimanche de « mettre les forces de dissuasion de l'armée russe en régime spécial d'alerte », ce qui concerne les forces nucléaires, invoquant « les déclarations belliqueuses de l'OTAN » et les sanctions « illégitimes » imposées à la Russie.

Les États-Unis ont aussitôt dénoncé une escalade « inacceptable », le secrétaire général de l'OTAN Jens Stoltenberg fustigeant pour sa part une attitude « irresponsable » de Moscou.

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Des armes livrées à l'Ukraine, mais qu'en est-il des avions de combat ?

En réponse, Bruxelles a annoncé débloquer 450 millions d'euros pour financer des livraisons d'armes à l'Ukraine, bannir les médias d'Etat russes RT et Sputnik et fermer son espace aérien à tous les avions russes, une mesure également prise par le Canada.

"Pour la première fois, l'UE va financer l'achat et la livraison d'armements et d'autres équipements à un pays victime d'une guerre. C'est un tournant historique", a souligné la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.

Évolution considérable et source potentielle d'escalade avec Moscou qui a menacé tout pays venant en aide à l'Ukraine, l'UE a annoncé dimanche soir avoir l'intention de fournir des avions de combat aux forces ukrainiennes.

Dimanche également, le patron de la diplomatie européenne, Josep Borrell a déclaré à l'issue d'une réunion avec ses homologues des 27, qu'il avait reçu une demande de ministre des Affaires étrangères ukrainien, Dmytro Kuleba, de fourniture d'avions de combat que les Ukrainiens pourraient piloter, demande que l'UE a décidé d'examiner favorablement:

« Certains États-membres disposent de ce genre d'avions et nous allons les fournir avec d'autres armements nécessaires à une guerre »,a précisé Josep Borrell, cité par Libération.

Pour autant, « Quels peuvent être les avions de combat que l'Union européenne veut livrer à l'Ukraine?», se demande le site spécialisé Opex360 consacré aux questions de défense et aux opérations sur les théâtres extérieurs.

Selon ce site, le choix serait limité à un voire deux types d'appareils. Aucun pays ne disposant des avions équipant les forces aériennes ukrainiennes (des Sukoy SU-27), il faudrait se rabattre sur le MiG-29 « Fulcrum », mis en oeuvre en Pologne, en Bulgarie et en Slovaquie. Après avoir analysé quelques hypothèses supplémentaires, le site Opex360 pense qu'il y a de fortes chances que l'OTAN doivent « combler leur déficit capacitaire... »

Toujours est-il que, ce lundi matin, l'armée russe a revendiqué la « suprématie aérienne » sur toute l'Ukraine après la destruction des systèmes ukrainiens Buk M-1, S-300 et de cinq avions de combat.

Zelensky appelle à la formation de « brigades internationales »

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a salué la formation d'une "coalition anti-guerre" internationale pour soutenir l'Ukraine et appelé les étrangers à venir se battre "contre les criminels de guerre russes" dans une "Légion internationale" en formation.

Sur le terrain, l'armée ukrainienne a affirmé lundi matin que les forces russes avaient tenté "à plusieurs reprises" de prendre d'assaut les abords de Kiev dans la nuit, mais que toutes les attaques ont été repoussées. "La situation dans la capitale de notre patrie est sous contrôle", a assuré l'armée sur Facebook.

Kiev et Kharkiv auraient résisté, Berdiansk serait tombée

La ville, sous couvre-feu jusqu'à lundi 08H00 (06H00 GMT), a également été visée dans la nuit par trois tirs de missiles russes, dont un a été détruit, a précisé Oleksiï Arestovitch, conseiller du président ukrainien.

La ville de Berdiansk (sud, 110.000 habitants), est en revanche désormais "occupée par notre ennemi", a déclaré M. Arestovitch dans une vidéo publiée sur Telegram dans la nuit de dimanche à lundi.

Selon des médias ukrainiens, de fortes explosions se sont produites dans la nuit à Kharkiv (nord-est), deuxième ville du pays, dont les forces ukrainiennes ont déclaré avoir repris le contrôle dimanche après l'entrée de blindés russes dans la nuit.

De son côté, le ministère russe de la Défense a affirmé avoir encerclé la ville de  Kherson (sud, 290.000 habitants).

L'armée russe a pour la première fois dimanche reconnu des pertes humaines, sans les chiffrer.

Pourparlers en vue, mais l'Ukraine "ne capitulera pas"

La présidence de l'Ukraine a indiqué avoir accepté des pourparlers avec la Russie à la frontière avec le Bélarus, près de Tchernobyl. La Russie avait indiqué qu'ils auraient lieu dès ce dimanche.

Le chef de la diplomatie ukrainienne Dmytro Kouleba a cependant averti que son pays ne "capitulera pas". "Je ne crois pas trop à un résultat", mais "il faut qu'on essaie", a déclaré Volodymyr Zelensky.

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368.000 réfugiés ukrainiens ont afflué vers les pays voisins

Le flot de réfugiés fuyant l'Ukraine continue de grossir, alors que Kiev accuse la Russie devant la Cour internationale de justice de planifier un génocide en Ukraine.

Depuis jeudi, quelque 368.000 réfugiés ont fui vers les pays voisins et leur nombre "continue à augmenter", a annoncé le Haut-Commissariat de l'ONU pour les réfugiés. L'UE a dit s'attendre à plus de 7 millions de personnes déplacées.

La France portera lundi devant le Conseil de sécurité de l'ONU une résolution sur l'aide humanitaire à l'Ukraine.

Manifestations et boycotts en Europe en soutien à l'Ukraine

En Europe, des centaines de milliers de personnes aux couleurs jaune et bleu de l'Ukraine ont défilé pour dénoncer l'invasion russe, et en Russie quelques milliers de personnes ont de nouveau bravé l'interdiction de manifester pour dire "Non à la guerre".

Les boycotts de la Russie dans le sport se multiplient.La Fifa a imposé à la Russie de jouer ses matches sous bannière neutre et sans hymne et de disputer ses rencontres à domicile hors de son territoire.

(avec AFP)

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NOTE

« 7. Au cas où un État membre serait l'objet d'une agression armée sur son territoire, les autres États membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir, conformément à l'article 51 de la charte des Nations unies. Cela n'affecte pas le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains États membres. Les engagements et la coopération dans ce domaine demeurent conformes aux engagements souscrits au sein de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord, qui reste, pour les États qui en sont membres, le fondement de leur défense collective et l'instance de sa mise en œuvre. » (via Wikipédia)