Corruption : un directeur des achats français sur quatre approchés

Par Michel Cabirol  |   |  811  mots
En France, 16% des professionnels des achats ont été confrontés à des tentatives de corruption durant leur carrière. (Crédits : Reuters)
Selon une étude du cabinet de conseil en achat AgileBuyer, 36% des tentatives de corruption en France proviendrait d'entreprises... françaises, et 19% d'entreprises européennes. Les secteurs de l'immobilier, du bois et du papier sont les plus touchés par la corruption.

Selon une étude du cabinet de conseil en achat AgileBuyer et du groupement Achats et Supply Chain de HEC auprès de 542 professionnels français de la fonction achat dans le privé, 25 % des directeurs des achats avouent sous couvert d'anonymat avoir déjà fait l'objet d'une tentative de corruption. En outre, constate cette étude, 16 % des professionnels des achats ont été confrontés à des tentatives de corruption durant leur carrière.

Interrogé par "La Tribune", le directeur associé d'AgileBuyer, Olivier Wajnsztok, estime qu'une "entreprise tente de corrompre quand elle n'a pas les bons produits et/ou les bons prix afin de biaiser le processus de l'appel d'offre". Comment procèdent les entreprises corruptrices? "Par corruption active et passive", explique-t-il. "Il arrive, fait-il observer, que les fournisseurs proposent aux enfants des responsables des achats des très beaux stages bien payés à l'étranger. Une manière de toucher la corde sensible de ces responsables."

Qui corrompt le plus ? Ce sont les entreprises françaises

Quelles sont les entreprises qui font le plus de tentatives pour corrompre ? Les entreprises françaises (36%), puis européennes (19%), asiatiques (16%), nord-américaines (6 %) et sud-américaines (2%). "L'intention de corrompre pour obtenir un marché est présent dans toutes les zones géographiques, mais il faut noter que les entreprises françaises subissent majoritairement des tentatives de corruption par des entreprises... françaises ! Les fournisseurs français et européens représentent ainsi plus de la moitié de ces tentatives, suivies de près par les entreprises asiatiques", explique l'étude.

Selon le cabinet AgileBuyer, "la France est manifestement considérée comme un pays où on peut tenter de corrompre les donneurs d'ordre". Et d'expliquer que le "Made in France" "ne garantit donc certainement pas contre le fléau de la corruption, et les clichés classiques sur les pays corrompus sont balayés d'un revers de la main par les résultats de l'étude". Ces résultats mettent en lumière des comportements largement présents dans les relations inter-entreprises en France, et font écho aux derniers résultats de Transparency International pointant la France à une médiocre 26e place mondiale, en dégradation depuis deux ans.

Quels secteurs sont les plus touchés ?

Les deux secteurs les plus confrontés à des tentatives de corruption sont les secteurs de l'immobilier (50% de responsables des achats confrontés à des tentatives de corruption) et de l'industrie du bois, du papier et de l'imprimerie (50%). Puis viennent les secteurs de la mécanique et de la métallurgie (32%), de l'ingénierie et de la recherche et développement (29%), des équipements électriques et électroniques (28%), du meuble, du textile et autres entreprises manufacturières (26%), de la distribution générale et spécialisée (24%)...

"Les services des achats du domaine de l'immobilier sont confrontés à cette mauvaise image depuis de longues années, et les chiffres de l'étude renforcent cette idée reçue puisque la moitié des collaborateurs des achats de ce secteur ont déjà subi une tentative de corruption", précise l'étude.

Un tiers des représentants des achats du secteur de la mécanique et de la métallurgie ont déjà fait l'objet d'approches crapuleuses. "Ce chiffre est deux fois supérieur à leur secteur client privilégié que sont l'automobile et autres matériels de transport [14%, Ndlr], explique l'étude d'AgileBuyer. Les efforts de sensibilisation et de formation des personnels des grandes entreprises de l'automobile, de l'aéronautique et du ferroviaire portent leurs fruits. On se souvient de certains scandales dans ces secteurs."

Enfin, l'étude tord le cou à une idée reçue. Selon cette étude, le secteur de la construction n'est pas un secteur trop corrompu (15%). "Une approche professionnalisée des achats et des politiques anti-corruption des grands groupes de construction conduisent manifestement à gérer de mieux en mieux leurs fournisseurs", assure-t-elle.

Près de 75 % des entreprises ont signé la charte anti-corruption

"Personne n'est à l'abri, même si tentative de corruption ne veut pas dire corruption" effective, rappelle la cinquième étude du cabinet de conseil en achat. D'autant que la fonction achat représente aujourd'hui en moyenne entre 40% et 80% du chiffre d'affaires des sociétés, souligne AgileBuyer. Soit plus que la masse salariale des entreprises. Le cabinet de conseil en achat revendique travailler avec plus de 80% des entreprises du CAC 40.

"La Charte anti-corruption a été signée par 74% des professionnels des achats", rappelle l'étude. C'est deux points de plus qu'en 2014. La signature de la Charte anti-corruption est donc toujours une priorité pour les services achats."

"Si elle ne protège pas de tout, la signature de ce type de Charte par les professionnels des achats ne peut que contribuer à l'évolution des mentalités et des préjugés dont la profession fait souvent les frais. (...) Il est entendu que la non-signature de la Charte anti-corruption n'implique pas un comportement déviant."