Arkéa : les Bretons demandent à Bercy son aide pour divorcer du Crédit Mutuel

Par Delphine Cuny  |   |  962  mots
Le cortège des salariés de Crédit Mutuel Arkéa parti, jeudi après-midi, de la Place de la Bastille jusqu'à Bercy. (Crédits : DR)
Entre 4.000 et 6.000 salariés du groupe bancaire régional sont venus défiler à Paris. Une délégation d’élus de la région, de chefs d’entreprise et d’administrateurs d’Arkéa a été reçue à Bercy. Le ministère campe sur sa position, refusant de modifier le Code monétaire et financier.

« Bercy, Bercy, entends-nous ! Bercy aide-nous, à divorcer ! La liberté, pour Arkéa. C'est ça qui sauvera nos emplois ! » Sous un soleil radieux, plusieurs milliers de salariés du groupe breton Crédit Mutuel Arkéa ont entonné ces slogans en battant le pavé parisien dans l'après-midi du jeudi 17 mai, depuis la place de la Bastille jusqu'au ministère de l'Économie et des Finances. Environ 4.000 personnes selon la préfecture de police, près de 6.000 personnes, dont 5.500 salariés, selon les organisateurs, pour un groupe en employant près de 10.000, filiales comprises, dont 60% en Bretagne, sont venus donner de la voix et montrer leur soutien au vote des administrateurs des caisses locales en faveur d'un projet d'indépendance, de sortie de l'ensemble Crédit Mutuel, passant par un abandon de la marque.

« Nous voulons une sortie par le haut. Nous avons besoin d'un coup de pouce de l'État pour faire venir la Confédération [nationale du Crédit Mutuel, l'organe central de la banque mutualiste, ndlr] autour de la table, que celle-ci reconnaisse le vote des caisses locales et que l'on mette en place rapidement notre indépendance », a expliqué à la presse Anne-Katell Quendric, porte-parole du collectif de salariés Indépendance pour Arkéa.

La Confédération avait déclaré ce vote invalide avant même les résultats, ressortis en faveur de l'indépendance à 94,4%. En tout, 307 caisses locales de Bretagne, du Sud-Ouest et du Massif Central sur 331 avaient participé à cette consultation, 17 ont voté contre la sortie du Crédit Mutuel.

Centre de décision en Bretagne

Le cabinet de Bruno Le Maire, le ministre de l'Économie et des Finances, a reçu en fin d'après-midi une délégation d'administrateurs d'Arkéa, d'élus de la région (dont le député (LReM) du Finistère Didier le Gac, le maire divers droite de Plougastel Dominique Cap, le maire de Brest PS François Cuillandre), et de chefs d'entreprise (Christian Guillemot, fondateur d'Ubisoft, Céline Lazorthes de la cagnotte en ligne Leetchi, rachetée par Arkéa). Marc Le Fur, député LR des Côtes d'Armor et vice-président de l'Assemblée nationale, en faisait également partie :

« Ce groupe est singulier dans le paysage bancaire, c'est le seul de sa taille où les décisions ne sont pas prises à Paris. En tant qu'élu breton, je suis attaché à ce que l'on garde un centre de décision bancaire dans la région. Nous en avons déjà perdu, avec la Banque de Bretagne par exemple [rachetée en 1989 par BNP Paribas]. Le ministère ne souhaitait pas cette évolution initialement, il doit respecter ce vote. Il faut qu'il intervienne », est-il monté au créneau lors d'un point presse.

Les intervenants ont souligné l'ancrage de la banque dans sa région. Le collectif de salariés et les personnalités invitées mettent en avant les menaces pour l'emploi chez Arkéa avec les pouvoirs renforcés de l'organe central. « Il y a 1.000 informaticiens et 2.000 personnes aux services centraux à Brest. S'il y a une fusion au sein du Crédit Mutuel, il y a peu de chances que le siège de Fortuneo [la banque en ligne d'Arkéa], avec 400 personnes, ou celui de Suravenir [filiale d'assurance-vie], 400 personnes aussi, reste à Brest » fait valoir Anne-Katell Quentric.

Le député LReM du Morbihan Erwan Balanant a confié qu'il avait « un compte chez CMB-Arkéa depuis [sa] naissance, [sa] mère était présidente de la caisse de Lorient Centre. Arkéa est un exemple de banque connectée à son territoire, aux entreprises et aux particuliers. Ce conflit s'il perdure, va nuire aux deux entités [Arkéa et le reste du Crédit Mutuel, ndlr] », a-t-il mis en garde.

« En tant qu'administrateur [du Crédit Mutuel Arkéa], je ne voudrais pas qu'on nous vole ce vote. Beaucoup d'administrateurs sont présents [dans le cortège]. Nous demandons aux pouvoirs publics de faire en sorte que les deux parties se mettent autour d'une table pour préparer une séparation bien ordonnée », a plaidé Auguste Jacq, administrateur d'Arkéa et vice-président la Fédération du Crédit Mutuel de Bretagne.

Bercy fermé à toute modification de la loi

Pourtant, à Bercy, la position reste imperturbablement la même. Le ministère martèle qu'il ne veut pas prendre parti, ni encourager, ni décourager, qu'il a avant tout le souci de la stabilité financière et de la sécurité des dépôts des épargnants et des sociétaires. À ce stade, il n'est pas envisagé de modification législative. Or le statut des groupes mutualistes est régi par le Code monétaire et financier qu'il faudrait amender pour agréer un nouveau groupe bancaire. Une solution non législative serait toutefois possible selon certains schémas, dont discute actuellement Arkéa avec les régulateurs, la Banque centrale européenne (BCE) et l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR, adossée à la Banque de France). Le gouvernement rêve d'une sortie par le haut, d'un apaisement, d'une retour au calme entre les deux camps, dont on semble bien éloigné.

À l'annonce de ce rassemblement de salariés, la Confédération nationale du Crédit Mutuel (CNCM) avait procédé le 30 mars dernier à un signalement pour abus de biens sociaux auprès du procureur de Brest au sujet du soutien financier d'Arkéa à la manifestation (frais de déplacement et de repas pris en charge, participation considérée comme une journée travaillée), à la demande de présidents de caisses affiliées à Arkéa, assure la CNCM. L'organe central se réjouit d'ailleurs de constater « un essoufflement du mouvement par rapport à la manifestation de janvier 2016 à Brest » qui avait rassemblé 15.000 personnes.