Déduction fiscale, sortie en capital : Le Maire veut révolutionner l'épargne retraite

Par Delphine Cuny  |   |  1079  mots
Aux Assises de l'épargne et de la fiscalité organisées ce jeudi par l'association Afer au Théâtre Mogador, le ministre a dévoilé les grandes lignes de la réforme prévue dans ce projet de loi Pacte. (Crédits : DR)
Bruno Le Maire a dévoilé les mesures phares du projet de loi Pacte sur l'épargne retraite : chaque euro de versement volontaire sera déductible du revenu fiscal de référence et l'épargnant pourra sortir de façon anticipée ou à sa retraite en capital et pas seulement en rente. Un projet qui fait grincer des dents les assureurs. L'assurance vie évoluera peu, sauf les fonds eurocroissance.

[Article mis à jour à 18h]

"Simplicité et liberté", ce sont les deux principes martelés par Bruno Le Maire pour justifier l'orientation de sa réforme de l'épargne retraite, un des piliers de son projet de loi Pacte. Le ministre de l'Economie et des Finances a dévoilé les grandes lignes de cette réforme aux Assises de l'épargne et de la fiscalité, organisées ce jeudi à Paris par l'Association française d'épargne et de retraite (Afer), qui revendique 730.000 adhérents.

S'il a répété qu'il s'était "refusé au grand soir de l'assurance vie" que certains réclamaient, il a affirmé son ambition que "l'épargne retraite devienne une référence pour les Français, une habitude, un réflexe naturel", ce qui passera par un sérieux big-bang, à la fois sur le plan fiscal et pour l'ensemble des produits d'épargne.

Premier point : le ministre souhaite simplifier les dispositifs, aujourd'hui très complexes, et assurer la portabilité totale de tous les produits d'épargne retraite. Les parcours professionnels étant moins linéaires, pour éviter le risque d'émiettement de l'épargne, il sera possible de garder un seul produit tout au long de sa carrière.

L'éventuelle fusion des régimes spéciaux de l'épargne retraite, les Perp, les Perco, contrats dits "article 83" et autres Madelin, a été finalement "écartée : il était compliqué d'avoir un produit unique" explique-t-on à Bercy. Les frais de transfert seront plafonnés à 3% en dessous de cinq ans de détention et seront gratuits au-delà ou en cas de changement d'activité professionnelle. Les frais de gestion ne devraient pas être plafonnés, Bercy estimant que la portabilité favorisera la concurrence et la modération tarifaire.

Incitation fiscale "massive"

Deuxième point : le gouvernement va proposer "un avantage fiscal très important" sur les versements volontaires des épargnants, quels que soient les produits d'épargne retraite concernés.

"Chaque euro versé de façon volontaire sera déductible du revenu fiscal de référence. C'est une mesure massive, un geste majeur de l'Etat " a déclaré le ministre devant 1.500 adhérents réunis au Théâtre Mogador.

Cette déductibilité de l'assiette de l'impôt sur le revenu s'entend sous les plafonds existants. Très applaudi par l'assemblée des adhérents de l'Afer, le ministre n'a pas chiffré l'éventuel manque à gagner fiscal.

Il s'est désolé du "montant dérisoire" des encours de cette épargne retraite, "à peine plus de 200 milliards d'euros au total, c'est 2 fois moins que l'épargne accumulée sur les livrets réglementés, 8 fois moins que dans l'assurance vie !"

"D'ici à la fin du quinquennat, nous espérons que l'épargne retraite passe de 200 milliards d'euros à 300 milliards d'euros et deviendra enfin le placement de référence des Français" a prédit le ministre.

"Liberté totale de l'épargnant"

Autre annonce fortement applaudie par les épargnants, l'assouplissement des modalités d'emploi et conditions de sortie des contrats d'épargne retraite, en particulier une mesure contre laquelle tous les assureurs sont vent debout : la possibilité de sortie en capital plutôt qu'en rente.

Le ministre a promis "la liberté totale de choix entre une sortie en capital et une sortie en rente, intégralement ou partiellement. Chacun est libre de choisir."

Les sorties en capital seront assujetties à l'impôt sur le revenu, celles en rente bénéficieront d'un abattement fiscal de 10%. Ce qui fait dire au cabinet du ministre que "l"impact de cette réforme sur les finances publiques sera minime : la déduction à l'entrée et la baisse du forfait social seront équilibrées par la taxation des sorties en capital". Tous les contrats seront-ils concernés, y compris ceux en cours ? Ce point est encore en discussions: il ne s'agit pas de remettre en cause la situation fiscale de certains comme le Perco dont la sortie en capital est exonérée d'impôt sur le revenu par exemple.

Cette liberté d'emploi sera limitée aux sommes épargnées par versements volontaires et à celles issues de l'intéressement et de la participation (les versements obligatoires des entreprises en sont exclus).

Les motifs de retrait anticipé seront harmonisés et assouplis : l'épargnant pourra disposer de son épargne retraite "dans certains cas exceptionnels avant son départ en retraite", notamment pour acquérir sa résidence principale (c'est déjà possible avec le Perp).

"Après tout, c'est votre argent !" a lancé le ministre.

Ne pas confondre épargne et retraite

Ces annonces vont conforter les assureurs dans leur vision critique d'une réforme qui tend à confondre épargne classique et retraite.

En mars dernier, le président d'Allianz France, Jacques Richier, avait confié son incompréhension à l'égard des projets de Bercy, allant selon lui à l'encontre du bon sens.

"La retraite c'est une sortie en rente. Si c'est en capital, c'est de l'épargne, pas de la retraite !"

Un spécialiste du secteur relève que "dans l'immense majorité des pays européens, à part au Royaume-Uni, la sortie se fait en rente, pas à 100% en capital. In fine, ce ne sera pas de l'épargne longue, ce sera encore moins long que l'assurance vie avec la clause de sortie anticipée."

Un des grands spécialistes de la prévoyance partage ces préoccupations : "en termes de gestion du risque, ce n'est pas la même chose. La retraite comprend un aléa viager. Vouloir transformer un produit d'épargne en retraite est une erreur fondamentale et cela va pénaliser la retraite" prédit-il. Les organismes de protection sociale et assureurs soulignent l'effet stabilisateur de la mutualisation des encours de retraite, au rendement vulnérable à la hausse des taux, avec ceux d'épargne, vulnérables à la baisse des taux. Ils sont hostiles au projet de cantonnement des actifs de retraite envisagé par le gouvernement.

Le ministre a balayé les critiques :

"C'est une vraie révolution que nous proposons. Un des arguments que l'on m'a asséné a été que les gens sont totalement irresponsables et vont tout dépenser tout de suite. Je crois que les épargnants sont lucides" a-t-il estimé.

Bruno Le Maire a par ailleurs "garanti la stabilité fiscale pour l'assurance vie". Seul changement en vue, la modernisation déjà annoncée des fonds Eurocroissance (mi-fonds euro mi-unités de compte), qui pourront être bonifiés en contre-partie d'un engagement plus long, avec l'objectif de multiplier par 10 les encours, de 2 milliards d'euros actuellement à 20 milliards d'euros, en deux ans.