Brexit : la place de Paris affûte ses arguments d’attractivité

Par Delphine Cuny  |   |  1321  mots
Nuages sombres au-dessus du quartier de Canary Wharf, à Londres. De nombreuses banques, dont Citi, Morgan Stanley et HSBC y sont présentes, et pourraient bientôt déménager. La place financière de Paris, la première en Europe continentale, est l'un des premiers atouts de la capitale française pour attirer ces banques, en recherche d'une solution de repli continentale.
De Michel Sapin à Christian Noyer, de grands noms de la finance défendent les atouts de la capitale comme centre de repli pour les relocalisations des banques. Mais le droit du travail et la fiscalité restent des points rebutants pour les Anglo-saxons, met en garde le patron de la Société Générale.

Depuis le référendum du 23 juin sur la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, le monde de la finance se gratte la tête : les banques implantées de l'autre côté de la Manche vont-elles garder leur « passeport européen », ce sésame, qui, par un mécanisme de reconnaissance mutuelle d'agrément, leur permet d'exercer leur activité dans toute l'UE avec la seule autorisation du régulateur britannique ? Ou bien devoir rapatrier leurs équipes sur le continent ? Aucune grande institution n'a encore annoncé de retentissante délocalisation, mais les premières rumeurs font surface.

Deux géants américains seraient prêts à bouger une partie de leurs troupes : Goldman Sachs envisagerait sérieusement de s'installer à Francfort, selon l'agence Reuters, le transfert pouvant concerner 2.000 personnes selon une information d'octobre; de son côté, Citi aurait déjà commencé à prospecter les disponibilités de bureau à Dublin pour y installer 900 personnes, selon le Sunday Times. Le gestionnaire d'actifs M&G, filiale du britannique Prudential, s'oriente vers le Luxembourg. A Paris, rien. Pour l'instant.

Pourtant, les pouvoir publics, de Manuel Valls à Axelle Lemaire, la secrétaire d'Etat au Numérique, et les acteurs de la place sont mobilisés. Le ministre de l'Economie et des Finances, Michel Sapin, a de nouveau mis en avant les atouts de la capitale, lundi soir, à un événement organisé par l'Autorité des marchés financiers (AMF) sur l'impact du Brexit (revoir la vidéo). Il a fait valoir que :

« Le discours des acteurs financiers a beaucoup évolué depuis cet été : la question n'est plus de savoir si des relocalisations d'activités vont se produire, mais quand et comment ».

 Et où et combien.

Une place de premier rang

S'il a appelé, fort diplomatiquement, à une « logique de partenariat entre places financières », le ministre a vanté les points forts de la France :

« Le premier atout français du point de vue financier, c'est la place de Paris elle-même, une place de premier rang, au service d'une base de clients très solide, (avec) de grands groupes industriels parmi les plus importants émetteurs de titres financiers dans le monde.

Nous sommes également le deuxième acteur de l'assurance européen. La France dispose de quatre banques et d'un assureur systémiques mondiaux, ainsi qu'un des premiers réassureurs au monde. Euronext est la deuxième place de cotation européenne. »

Avec des spécialités reconnues, sur le marché des dérivés et des obligations. Il n'est pas le seul à le dire. Frédéric Oudéa, le patron de la Société Générale, présent lundi soir, a souligné que :

« Paris est la la plus grande place financière d'Europe continentale. »

Si l'on interroge un avocat comme Marc Perrone, directeur du département réglementation bancaire et financière du cabinet Linklaters, assailli cet été de questions de banques préparant leurs options stratégiques, il confirme :

« Les points forts de la France, ce sont sa place financière sophistiquée, son microcosme financier compétent, avec par exemple les meilleurs actuaires au monde, et un système de réglementation robuste et efficace. »

Les bons résultats des banques françaises aux stress tests en attestent. Et les décisions de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) sont souvent suivies à la BCE. L'ACPR et l'AMF ont par ailleurs mis en place un forum fintech pour attirer les startups de la finance, en particulier venues de Londres.

Quant au système éducatif et à la qualité de la formation des grandes écoles françaises, le nombre de traders français et de "quants" dans les salles de marché étrangères parle de lui-même.

Une grande ville bien connectée à Londres

La capitale dispose d'autres arguments, pas seulement financiers, comme l'a mis en évidence le gouverneur honoraire de la Banque de France, Christian Noyer, qui s'exprimait lui aussi aux entretiens de l'AMF :

« Paris est la seule grande ville comparable à Londres, c'est l'écosystème le plus développé et l'endroit le plus naturel [pour rapatrier des équipes dans l'Union européenne], et qui présente l'avantage d'une très bonne connexion avec Londres. »

Merci l'Eurostar et ses 2h15 ! Bruxelles aussi, ceci dit, et Francfort est à moins de 2 heures d'avion, mais la première n'a pas la même stature financière et la seconde, qui bénéficie de l'implantation de la Banque centrale européenne, est une ville plus petite (trois fois moins d'habitants qu'à Paris) et moins internationale.

La députée européenne socialiste Pervenche Bérès a d'ailleurs remarqué lors de ce colloque : « Je connais plein de gens ici (dans la finance) qui ont un pied à Londres et un pied à Paris et qui veulent rester ainsi ! » Un certain nombre d'établissements vont simplement rééquilibrer leurs équipes. Frédéric Oudéa a décrit le cas de la Société Générale :

« Nous avons 3.500 personnes à Londres, dont 1.500 personnes dans la banque privée qui vont rester. Nous avons toutes les licences qu'il faut. La question qui se pose concerne 200 à 300 personnes, et est assez simple. La Société Générale est la banque avec le meilleur équilibre entre Paris et Londres. »

On pourrait aussi citer le cas de HSBC. Il lui faudra peut-être bouger des équipes mais elle est déjà une banque de plein exercice en France, du fait de son rachat du CCF en 2000. La thèse d'une répartition des équipes dans plusieurs capitales, spécialisées par pôles de compétences, sans "Brexodus" massif vers le continent, semble faire de plus en plus consensus. Christian Noyer :

« Londres restera la plus grande place financière d'Europe. La finance s'est peu à peu concentrée là-bas, c'est une anomalie dangereuse. Ce rééquilibrage est bon pour la sécurité [du système]. »

Gérard Rameix, le président de l'Autorité des marchés financiers, a rappelé que

« Les marchés de Londres représentent entre un tiers et deux tiers de l'activité financière européenne, selon les indicateurs. Le Royaume-Uni n'est pas un 28e membre (de l'Union) c'est un acteur considérable. »

Droit et coût du travail, fiscalité, of course

La France continue de souffrir d'une mauvaise réputation dans deux domaines principaux bien connus : droit et coût du travail, fiscalité, of course ! Et sans parler de l'élargissement de la taxe sur les transactions financières, récemment adopté par les députés, qui agace au plus haut point les acteurs de la place qui la perçoivent comme une balle dans le pied.

Christian Noyer a reconnu « des craintes sur les rigidités du marché du travail et la volatilité de la fiscalité. » Pour Frédéric Oudéa :

« Ce sont deux handicaps. A Londres, ces employeurs (de la finance) sont attachés à une grande flexibilité, je sais à quel point. Deuxièmement, le coût du travail et la fiscalité, ce sont deux éléments majeurs cités par les grandes banques dans leurs choix stratégiques. »

Michel Sapin a déroulé sa liste d'arguments pour battre en brèche ses critiques. La France aurait désormais "le meilleur régime d'Europe" pour les impatriés, dont le dispositif a été allongé de 5 à 8 ans et doté d'une exonération de taxe sur la prime d'impatriation. Il a aussi défendu que la France avait mené des réformes structurelles :

«  L'OCDE calcule un indicateur qui révèle que la flexibilité du marché du travail en France est plus grande qu'en Allemagne, qu'aux Pays-Bas ou qu'en Belgique et à peine moindre qu'au Luxembourg. »

Christian Noyer a souligné de son côté que « une baisse programmée du taux d'impôt sur les sociétés est exactement le genre de signal à envoyer. »

Des signaux suffisamment puissants et pas trop tardifs pour attirer les Morgan Stanley, Citi et autres Goldman Sachs ? Verdict dans quelques mois.