Lehman un an après - 15 septembre 2008, la planète finance disjoncte

Les plus grandes banques du monde pensaient avoir découvert le secret pour transformer le plomb en or, sous l'œil complaisant des agences de notation et des régulateurs. Jusqu'au moment où la vérité a éclaté, il y a un an. Avec la chute de Lehman Brothers, la crise financière a pris les dimensions d'un cataclysme.
(Crédits : <small>Reuters</small>)

Lieu : le bas de Manhattan. Date : la deuxième semaine de septembre. 2008, comme un écho déformé de 2001. New York, sept ans après les attentats du World Trade Center, une nouvelle fois à l'épicentre d'un cataclysme mondial, non plus terroriste, mais financier. C'était il y a douze mois. Un enchaînement de causes économiques profondes et de décisions humaines contingentes arrivait à son dénouement : Lehman Brothers, la quatrième banque de Wall Street, était au bord de la faillite.

Tout était parti de la bulle immobilière, nourrie par la politique de la Réserve fédérale (la Fed) dans la première moitié de la décennie : taux d'intérêt bas, liquidités abondantes, régulation minimale. La grande différence avec les bulles immobilières classiques, c'est que les crédits accordés aux particuliers étaient devenus une matière première qui se revendait avec profit. Les prêts, "repackagés" à Wall Street, devenaient des produits financiers recherchés et très rémunérateurs pour les banques. Leurs taux d'intérêt étaient élevés, ce qui signifiait qu'ils étaient risqués ("subprime credit" veut dire prêt de qualité inférieure), mais tout le monde semblait l'avoir oublié. Les agences de notation accordaient la confiance maximale, "AAA", à ces obligations composites émises en quantités croissantes. Les premiers craquements avaient été ressentis dès 2006, parce que la Fed avait relevé ses taux d'intérêt et que les prix de l'immobilier commençaient à baisser. La "crise des subprimes" allait mettre un an et demi à exploser. Lehman Brothers avait titrisé du crédit immobilier à grande échelle, mais guère plus que Merrill Lynch ou UBS. Si Henry Paulson, le secrétaire au Trésor de George Bush, et Ben Bernanke, l'actuel président de la Fed, ont décidé de la contraindre à la faillite, c'était surtout pour faire un exemple.

Effets incommensurables
On sait aujourd'hui, et on l'a su très vite, que cette faillite aurait des effets incommensurables : une destruction de valeur gigantesque, la disparition d'institutions vénérables (Lehman elle-même avait 158 ans), le bouleversement du paysage bancaire. Et dans un deuxième temps, en très léger différé, l'arrêt de la croissance, la plongée dans la récession, la montée en flèche du chômage et la paupérisation de pans entiers de la population dans des dizaines de pays. Un an après, on doit aussi constater que les transformations rapides qui ont suivi la chute de Lehman Brothers n'ont pas entraîné d'effondrement général, politique ou financier.

Beaucoup de choses ont changé, pourtant. Au niveau individuel d'abord, qu'il s'agisse des perspectives professionnelles, de la valeur des patrimoines ou de l'assise des retraites. Au niveau des États, ensuite, les budgets se sont massivement dégradés et la dette pèsera longtemps sur les décisions économiques ; mais en même temps la légitimité de l'action publique a été reconnue comme elle ne l'avait plus été depuis trente ans. La régulation n'est plus un gros mot. Ce qui aura bougé dans les couches plus profondes des sociétés, les idées politiques, le rapport au monde, les valeurs morales, les institutions, on le découvrira progressivement. En revanche, la mutation des relations internationales est déjà engagée. Le groupe des sept pays les plus industrialisés (G7 ou G8 avec la Russie) ne peut plus passer pour un directoire mondial : c'est désormais dans le cadre du G20, qui représente 85 % de la richesse et les deux tiers de la population du globe, que se décideront les grands compromis économiques. Certains parlent déjà de G2, un duopole entre la Chine et les États-Unis qui concentrerait les enjeux de demain.

A posteriori, il apparaît clairement que les jours qui ont précédé le 15 septembre 2008, date où Lehman Brothers s'est mis sous la protection du chapitre XI de la loi américaine sur les faillites, ont été de ces moments décisifs qui changent la face du monde. C'est pourquoi "La Tribune" a décidé de refaire le récit de la semaine fatidique, avec tous les détails qui n'avaient pas été publiés à l'époque (pages 28 et 29). Notre correspondant à New York, éric Chalmet, a également réalisé l'interview exclusive de Lawrence McDonald, l'auteur du seul livre écrit sur la chute de Lehman, "A Colossal Failure of Common Sense" (Crown). C'est une vision de l'intérieur, car lui-même a été un cadre dirigeant de la banque, et il s'appuie sur des dizaines de témoignages recueillis dans les équipes.

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