Gérard Rameix (AMF) : "Sur Euronext, l'histoire repasse les plats"

Alors qu'à l'issue de l'OPA en cours sur Euronext Nyse, Euronext pourrait être remis en Bourse, le nouveau patron de l'AMF observe que les acteurs de la place financière de Paris « peuvent faire émerger une solution autonome » s'ils le souhaitent. Parmi ses principaux autres sujets de préoccupation pour 2013, figure le financement des entreprises. Il souhaite que le projet de Bourse des PME voie rapidement le jour.
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LA TRIBUNE - Quels sont les principaux risques pour 2013 ?
GERARD RAMEIX - Le premier est davantage un risque économique que de marché, mais il nous préoccupe beaucoup, c'est le risque lié à un défaut de financement des entreprises de taille moyenne et intermédiaire, à l'heure où les banques n'ont plus la même capacité à garder les crédits aux entreprises à leur bilan.
Le deuxième est lié au niveau très bas des taux d'intérêt. L'épargne est mal rémunérée et, dans le passé, ce type de période a souvent donné lieu à des comportements excessifs, certains essayant d'offrir des rendements supérieurs aux taux de marché grâce à des produits très complexes et risqués. On n'en est pas encore là car tout le monde est encore marqué par la dernière crise mais il faut être très vigilant.
Enfin, sans parler d'une bulle obligataire qui n'est pas d'actualité, on ne peut ignorer le risque d'une remontée des taux d'intérêt qui générerait des moins-values sur les portefeuilles obligataires. Ces quinze dernières années, les taux n'ont pas cessé de baisser et il n'est pas besoin d'être grand devin pour dire que cette période s'achève. Je crois, dans ce sens, qu'il est moins risqué aujourd'hui de se placer sur des actions que sur des obligations lorsqu'on a un horizon de placement de moyen terme. Au delà, je pense qu'il faut également faire preuve de prudence vis-à-vis de certains produits à ne pas mettre entre toutes les mains, surtout celles qui ne sont pas expertes en matière boursière. Comme les CFD ou le trading sur le Forex, ce marché des devises particulièrement spéculatif.


Que peut faire le régulateur pour encourager le financement des PME et ETI ?
C'est un point clé pour nous. Et si le régulateur n'a pas tous les leviers pour agir dans ce domaine, il en a néanmoins quelques-uns. Les entreprises de taille moyenne et intermédiaire ne peuvent pas s'autofinancer en totalité compte tenu de leurs niveaux de marge et elles doivent trouver des alternatives au crédit bancaire qui, en tendance, ne peut que se réduire. Il faut donc qu'elles puissent avoir accès à un marché financier plus actif, qu'il s'agisse des actions ou des obligations, à la titrisation, qu'il s'agisse de titrisation classique, de fonds de prêts ou de bénéficier d'accords de refinancement passés entre banques et assurances. Je suis favorable aux solutions qui permettent aux banques de rester à l'origine des créances car ce sont elles qui ont l'expertise la meilleure pour évaluer le risque, mais il faut leur offrir des solutions de refinancement.

Comment favoriser la bonne titrisation ?
Je n'ai aucune allergie à la titrisation. En France, on n'a jamais fait de mauvaise titrisation et elle est plus que jamais nécessaire pour prendre le relais du système bancaire. En revanche, il faut considérer la question du coût de ce mode de financement. La titrisation, comme les autres solutions alternatives, n'est peut-être pas aussi compétitive que le crédit bancaire classique. Ceci dit, un financement même un peu plus cher est toujours préférable à une absence de financement. Autre point à surveiller : la transparence de ces opérations. A cet égard, la mise en place de labels va dans le bon sens. En outre, les textes en vigueur dissuadent fortement les banques de diffuser des titrisations de mauvaise qualité car elles sont obligées d'en garder une partie à leur bilan.

On a également vu émerger des accords entre banquiers et assureurs et des fonds de prêt. Qu'en pensez-vous ?
Je suis assez ouvert à ces solutions même si je suis conscient qu'elles comportent des risques. Les événements nous poussent à accepter un système financier un peu plus complexe. C'est à nous de savoir le gérer, le plus gros risque étant d'être trop craintif et de ne pas répondre aux besoins de financement des entreprises, avec toutes les conséquences sur la croissance. Désormais, certains assureurs choisissent d'investir directement dans des prêts bancaires, de la même façon qu'ils le font depuis longtemps dans des obligations. Dans ce cas, il faut absolument qu'ils aient des équipes pour s'assurer que les banques n'exploitent pas une asymétrie d'information. De la même façon, les fonds de prêt doivent être transparents vis-à-vis des investisseurs. Ce produit n'est pas forcément plus risqué qu'un autre. Au moment de la reprise économique, si l'on fait le pronostic que les banques vont plafonner leur offre de crédit, il faudra avoir les moyens de répondre à la demande de financement des entreprises. Certains signes sont encourageants : des sociétés de gestion nous demandent d'ajouter une rubrique à leur programme d'activité pour être capables de gérer des fonds de prêts, ce que nous acceptons dès lors qu'elles nous ont démontré en avoir les compétences. On a également constaté que le marché obligataire s'ouvrait progressivement aux entreprises de taille intermédiaire.

Quid du marché action ? Remplit-il son rôle ?
C'est un sujet d'inquiétude. Je note que le marché action n'apporte pas d'argent en net aux entreprises en ce moment. Certaines recommencent à réfléchir à des levées de fonds mais la tendance n'est pas encore très nette. Déjà, le niveau des prix est un peu plus satisfaisant : les dirigeants devraient avoir moins peur de diluer le capital de l'entreprise à prix trop bas.

Pensez-vous que pour se financer, les PME-PMI vont pouvoir compter dans les prochains mois sur la Bourse de l'Entreprise ?
Depuis le début de ce projet, il faut bien reconnaître que les choses avancent lentement. Et ce, alors que les besoins n'ont pourtant jamais été aussi pressants. Les progrès ne se font toujours pas sentir et les investisseurs susceptibles de s'intéresser aux valeurs moyennes ne sont pas assez nombreux sur la Place de Paris. La Bourse de l'Entreprise va-t-elle être rapidement mise sur pied ? On peut craindre que les grandes manœuvres entamées par l'américain ICE pour prendre le contrôle de Nyse Euronext ne repoussent les délais initialement prévus. La direction de Nyse Euronext affirme le contraire. Je veux bien la croire.

Concernant justement les annonces faites par ICE et sa volonté de remettre en Bourse Euronext, que pensez-vous de ce projet et comment voyez-vous le dossier évoluer ?
L'histoire repasse les plats, on se retrouve en effet dans la même situation que celle de 2005 où Euronext, sous la présidence alors de Jean-François Théodore, venait de racheter le Liffe et se proposait de lancer une OPA sur le LSE. La Place de Paris était alors en pleine effervescence et projetait de créer un champion européen. Aujourd'hui, ce même Euronext est susceptible de revenir jouer un rôle actif dans la concentration des places financières européennes, laissant derrière lui cette expérience américaine. De mon point de vue de régulateur, je n'ai pas d'opinion à donner sur le schéma idéal. Je dois avant tout m'assurer que l'opération lancée par ICE répondra à toutes les exigences en termes de bon fonctionnement des marchés. Nous nous assurerons également que la solution de compensation dont pourra se prévaloir Euronext sera pérenne. Maintenant, les acteurs de la place ont le choix entre leurs mains : ils peuvent faire émerger une solution autonome pour Euronext. A défaut, il sera ensuite trop tard pour le regretter !

Allez-vous placer votre mandat sous le signe de la lutte contre les darkpool, ces plateformes d'échanges non transparentes, et le trading à haute fréquence ?
Nous nous sommes battus à Bruxelles pour privilégier le passage d'un maximum de transactions sur des marchés et plateformes où il existe une transparence pré trade et post trade. La version de la directive MIF 2, adoptée récemment par le Parlement européen, tient un peu plus compte de ces préoccupations même si des divergences demeurent, notamment sur les dérogations à la transparence pré négociation. Un texte européen est toujours le résultat d'un compromis. Au sujet du trading à haute fréquence, il faut bien dire que nous n'avons pas la même appréciation de cette pratique que beaucoup de nos partenaires européens. Ceux-ci estiment que ces transactions accroissent la liquidité et par là même réduisent les écarts de prix lors de la fixation des fourchettes. Ils sont donc très favorables à son essor. De notre côté, nous sommes plus circonspects sur la réalité de ces « avantages » et voyons plutôt l'impact négatif en termes d'intégrité des marchés et, bien sûr, de stabilité après de trop fameux exemples de type flash crash. Nous avons fini par marquer des points dans le projet de directive, avec l'adoption de mesures de régulation techniques qui vont permettre de limiter les excès du trading à haute fréquence.

Que pensez vous de la réforme bancaire à la française ?
Je ne partage pas l'idée d'une banque commerciale vertueuse et d'une banque d'affaire turpide. Mais il est clair qu'il nous faut limiter les risques que des banques pourraient prendre pour compte propre alors qu'elles disposent de dépôts importants de la clientèle. En même temps, nous avons la chance de disposer en France d'acteurs de taille internationale présents sur l'ensemble des métiers bancaires. C'est un atout pour l'économie qu'il faut conserver. C'est pourquoi le choix du gouvernement pour un schéma de filialisation de certaines activités de marché me paraît réaliste.

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