Cryptomonnaies : Comment Circle joue la carte de la régulation en Europe

Circle, Crypto.com, Binance… Les géants des cryptos ouvrent leur siège en Europe, et notamment à Paris. Un mouvement qui acte une collaboration étroite entre les plateformes d’échanges d’actifs numériques et les régulateurs. Jusqu’à se découvrir des intérêts communs pour un secteur qui cherche encore à sortir de l’effet de mode et à concrétiser une adoption de masse ? Jusqu’où le monde de la crypto va-t-il se rapprocher des autorités financières ?
Jeanne Dussueil
« Je croyais que les mondes de la finance et de la crypto étaient très cloisonnés. Mais ce n'est pas le sens de l'histoire », confie l'un des conseils de Circle en France.
« Je croyais que les mondes de la finance et de la crypto étaient très cloisonnés. Mais ce n'est pas le sens de l'histoire », confie l'un des conseils de Circle en France. (Crédits : Reuters)

Après la guerre froide entre les géants des cryptomonnaies et les régulateurs, l'heure est au dégel en Europe, sinon au réchauffement. Le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, avait même souhaité faire de l'Europe « le camp de base des cryptos et de la finance décentralisée » et de la France « le hub européen de l'écosystème des crypto-actifs ». Et ces derniers mois, trois plateformes d'échange d'envergure internationale, Circle, Crypto.com et Binance) ont décidé d'installer un siège à Paris.

L'adoption, le 20 avril, par le Parlement européen de la réglementation MiCA (Market in Crypto Assets), doit même offrir, en 2024, « un avantage concurrentiel à l'UE », selon le rapporteur Stefan Berger (PPE) à Strasbourg. « C'est un avantage compétitif réel dans un monde peu réglementé », confirme à La Tribune Anne Maréchal, avocate au sein du cabinet De Gaulle Fleurance, qui a accompagné l'américain Circle pour son implantation à Paris.

L'atout du cadre juridique

Ce géant du paiement P2P (peer-to-peer) souhaite devenir un acteur majeur du stablecoin en Europe. Ces cryptos, adossées à une devise, à une écrasante majorité au dollar, sont devenues des rouages essentiels pour l'achat et la vente de cryptomonnaies sur les plateformes d'échange.

Pour l'entreprise américaine qui a également lancé mi-2022 « l'EUROC » ou Euro Coin, un stablecoin adossé cette fois-ci à l'euro, le marché européen est un marché à fort potentiel, avec un cadre juridique plus stable, face à « l'insécurité juridique » qui règne aux Etats-Unis, selon l'expression de l'avocate parisienne. Outre-Atlantique, depuis l'affaire de la faillite de la plateforme FTX, les régulateurs ont lancé une offensive tous azimuts contre les pratiques des acteurs du secteur.

Le climat apparaît donc beaucoup plus serein en Europe. Pour poser ses valises dans l'Hexagone, Circle a obtenu, auprès de l'Autorité des marchés financiers (AMF), un enregistrement PSAN (prestataire de services sur les actifs numériques), pour l'instant une simple, vérification de l'honorabilité des dirigeants et des dispositifs anti-blanchiment, mais qui va être renforcé l'été prochain par de nouvelles contraintes. Il ne s'agit pas d'un agrément, beaucoup plus contraignant à obtenir, mais l'idée est bien de faire basculer à terme tous les acteurs vers un agrément.

Mais pour permettre l'utilisation de ses stablecoin USDC et EUROC à l'échelle européenne, Circle a également déposé une demande de statut  « d'établissement de monnaie électronique », délivré par l'ACPR (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution). « En quelque sorte, c'est un agrément financier proche d'un agrément bancaire », résume Cyril Tour, du cabinet De Gaulle Fleurance. « Il s'agit de fournir des services réglementés sous la supervision et le contrôle de l'ACPR, ce qui implique notamment des reporting réguliers auprès de cette autorité », détaille-t-il. « Ce n'est que le début d'une relation, le début de la supervision des activités en France », abonde encore Anne Maréchal.

Du régulateur au monde de la finance traditionnel

Avec MiCA, c'est aussi la naissance d'une "Travel Rule' (TFR), pour tracer les flux d'argent, déjà existante dans la finance traditionnelle, adaptée ici bientôt aux transferts de crypto-actifs. Elle obligera ainsi les fournisseurs de services de crypto-actifs à transmettre certaines informations sur les clients et transactions à l'institution financière destinataire de ces transactions.

« Je croyais que les mondes de la finance et de la crypto étaient très cloisonnés. Mais ce n'est pas le sens de l'histoire. On va avoir un rapprochement. Les PSAN vont vers la finance traditionnelle et les banques vont vers la blockchain et l'actif numérique. La question c'est dans quel sens ce rapprochement va aller le plus vite », explique Anne Maréchal qui fut également directrice juridique au sein de l'AMF avant de rejoindre le conseil.

Rapprochement avec les banques centrales

Même aux Etats-Unis, Circle s'est déclaré à travailler main dans la main avec la banque centrale (Fed). Il faut dire que les autorités américaines lui ont bien sauvé la mise lors de la faillite de la banque californienne SVB dans laquelle Circle avait imprudemment déposé quelque 3,3 milliards de dollars de liquidités.

Bon, l'argent a été récupéré - grâce aux fonds de garanties des banques (traditionnelles) et sans doute des contribuables américains. Mais depuis, Circle multiplie les signes de bonne volonté pour renforcer l'écosystème des cryptos, jusqu'à proposer de placer des réserves auprès de la Fed ou mettre en place des instruments de liquidités. Autrement dit, avec ce « backing instrument » (outil de soutien), la Fed autoriserait un stablecoin à puiser dans une réserve de dollars en cas de problème.

C'est un virage à 180 degré pour Circle, ancien chantre du Bitcoin. Dans une note publiée en 2022 sur son site, la plateforme se positionnait clairement comme une blockchain centralisée concurrente d'un éventuel projet de monnaie numérique de banque centrale (MNBC, CBDC en anglais) de la Fed aussi centralisée : « Une MNBC américaine, dont la création prendrait des années, ne serait pas supérieure à l'USDC, (qui est) une stablecoin réglementée et entièrement réservée, garantie par des liquidités et des obligations à court terme du gouvernement américain (...) Une MNBC étoufferait l'innovation, exacerberait l'inclusion et l'accès financier, et menacerait le système bancaire existant et l'économie au sens large. »

Aux Etats-Unis, la Réserve fédérale n'a pas encore statué sur le rôle que jouerait sa monnaie numérique auprès des cryptos et des stablecoins. Mais selon une note publiée en janvier 2022, elle cherche bien à lui donner un rôle. Rôle que pourrait alors tenir à terme, - et désormais - un acteur comme Circle.

« Le retard des MNBC joue en faveur du rapprochement », reconnaît Anne Maréchal.

Mariage de raison

Pour l'heure, en Europe, aucun rapprochement de ce type n'a encore été adressé à une banque centrale européenne. Un tel mouvement, entre monnaie numérique de banque centrale et une blockchain privée d'un crypto-actif n'est pas engagé sur le Vieux continent (à l'exception de la Russie qui cherche des moyens de contourner les sanctions liées à son invasion de l'Ukraine).

Ces nouveaux liens sont en tout cas un véritable pavé dans la mare du secteur des cryptomonnaies. Au départ, après la crise financière de 2008, l'idée des cryptos était bien de se découpler du système bancaire et monétaire.

« Cette demande de « protection » de Circle par la Fed qui garantirait l'accès aux réserves est une preuve supplémentaire que les stablecoin 100% adossés à une devise s'apparentent plus au monde financier traditionnel qu'à la crypto. Leur business model est soumis à la contrainte de liquidité parce que même s'ils offrent 100% de couverture, les dépôts sont bien localisés dans des banques et donc exposés à de possible « bank run » et ce d'autant plus que les avoirs en dollars ne sont pas en cash mais des titres », analyse Nathalie Janson, économiste spécialisée sur les cryptomonnaies.

« Les deux mondes vont continuer de se rapprocher, au moins pour les services centralisés. La finance décentralisée, quant à elle, fournit une infrastructure de services financiers entièrement nouvelle qui fonctionne différemment dans la plupart des cas. Il est donc important que nous trouvions des moyens différents de la réglementer », conclut Peter Grosskopf, CTO de Unstoppable Finance, une plateforme de finance décentralisée et ancien de la Bourse de Stuttgart.

L'histoire de la régulation des cryptos-actifs n'a donc pas encore fini de s'écrire.

Jeanne Dussueil

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Commentaires 2
à écrit le 25/04/2023 à 10:02
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Encore et toujours du parasitisme qui se cache sous des oripeaux de l'innovation versus progrès ! ;-)

à écrit le 24/04/2023 à 14:55
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Les régulateurs sont tellement nazes qu'ils légitimisent les cryptos en les régulant. C'est la meilleure de l'année.

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