"Les banques sont accros aux frais"

Par Delphine Cuny  |   |  822  mots
Le modèle de coûts des agences bancaires est vulnérable aux assauts des startups de la Fintech, a souligné le fondateur de BankMobile, banque qui a conquis 1,8 million d'étudiants aux Etats-Unis depuis son lancement il y a trois ans.
Quand le fondateur de BankMobile, une banque sans agence qui cartonne auprès des étudiants américains, échange avec le patron de la Société Générale, lors d'un entretien croisé au Paris Fintech Forum, le résultat est décoiffant. Extraits.

Les nouveaux entrants de la finance ne font généralement pas de cadeaux aux acteurs traditionnels du secteur et prétendent "faire de la banque autrement", mieux et moins cher. C'est le cas de Jay Sidhu, un banquier américain chevronné et atypique, avec 45 ans d'expérience du métier, notamment à la Sovereign Bank, qui fut rachetée par Santander. Il a cofondé avec sa fille Luvleen une banque d'un nouveau genre, entièrement mobile, sans agence et sans frais, BankMobile, qui cartonne auprès des Millenials et étudiants américains (1,8 million d'utilisateurs conquis en trois ans). Co-auteur d'un ouvrage intitulé "Pourquoi les banques ne peuvent-elles être aussi simples que Uber ?", il était invité ce mardi au Paris Fintech Forum qui se tient pendant deux jours au Palais Brongniart, où il a livré à quelques réflexions piquantes lors d'un entretien croisé avec Frédéric Oudéa, le patron de la Société Générale.

"La fréquentation des agences des banques aux Etats-Unis baisse de 10% à 15% par an et dans cinq ans elle sera à peine 10% de ce qu'elle est aujourd'hui. Si les banques ne réduisent pas de 90% leurs coûts, elles vont se retrouver face à de sacrées inefficacités opérationnelles !

Aujourd'hui, les gens y vont pour ouvrir un compte ou retirer de l'argent au distributeur. Quant au conseil, c'est totalement fallacieux, on ne leur donne aucun conseil. On trouve de meilleurs conseils en allant sur Google ou en demandant à Siri [l'assistant vocal de l'iPhone] ou Alexa [celui d'Amazon Echo] et ce sera exponentiellement meilleur dans cinq ans !" a-t-il lancé.

[Frédéric Oudéa et Jay Sidhu au Paris Fintech Forum. Crédits DR]

"Le secteur le moins efficace du monde"

Frédéric Oudéa, qui s'est fixé l'objectif de faire de Société Générale "une banque totalement digitale", a argué que les Français restaient attachés à la relation humaine en agence pour les événements importants de la vie, que la clientèle d'entreprises, les questions de gestion de patrimoine, de fiscalité et de succession nécessitaient encore des agences. Mais pour les autres opérations, "on n'a pas besoin d'agence." La Société Générale, qui pousse sa banque en ligne Boursorama, a prévu de fermer 100 agences par an, ramenant son réseau à 1.700 fin 2020.

Le problème des banques, selon Jay Sidhu, est leur modèle et leur structure de coûts.

"Les banques sont accros aux commissions, aux frais, c'est comme une drogue ! Or ces frais vont être attaqués par les nouveaux entrants. Si on enlève les commissions, les agences ne seront plus rentables" analyse-t-il.

En contrat avec 800 campus américains, sa BankMobile se targue d'être "sans frais" : elle se rémunère sur les prêts et surtout les commissions d'interchange payées par les commerçants lors des paiements par carte. Une règle (l'amendement Durbin) sur les niveaux de commissions en fonction du bilan de la banque l'oblige d'ailleurs à se scinder de sa maison-mère Customers Bank (une banque locale de la côte Est) pour retrouver les niveaux de revenus nécessaires à sa rentabilité.

"Les services bancaires ne doivent pas être gratuits" a insisté Frédéric Oudéa, qui avait déjà déroulé cet argumentaire après le lancement d'Orange Bank. "La sécurité des dépôts par essence coûte de l'argent."

Le banquier américain a acquiescé, à sa manière :

"La banque ne doit pas être gratuite, mais pas parce que c'est le secteur le moins efficace du monde ! Un client nous coûte 10 dollars en coût d'acquisition, contre 500 dollars en moyenne chez les autres banques. Quand c'est un étudiant, nous préférons avoir un bon client qui devienne un client pour la vie !" a argumenté Jay Sidhu.

Anticiper les besoins des clients

S'il a reconnu que les banques et Uber avaient des activités bien différentes, il a estimé qu'elles devraient être capables de prédire les comportements et d'anticiper les besoins des clients, comme l'appli de VTC.

"Pourquoi les banques ne sont pas capables d'être centrées sur les clients, ni d'être totalement digitales ? Une ouverture de compte prend 30 minutes à une heure en agence. L'expérience client est nulle. Cela ne devrait pas prendre plus de 4 clics" a poursuivi Jay Sidhu.

[Carte spécial étudiant de BankMobile]

Dépôt de chèque par scan, virement avec le seul numéro de mobile ou email du bénéficiaire, paiement de facture en la photographiant, BankMobile joue à fond sur les possibilités du smartphone. Son patron a raillé Bank of America qui teste des agences sans employés avec salle de visioconférence, parce qu'elle ne peut "plus se permettre" le coût des agences classiques :

"Pourquoi voudrait-on parler à un écran vidéo alors qu'on a tout dans sa poche ? C'est une plaisanterie, il faut qu'ils se réveillent !"