Pour les “crypto-députés”, les banques françaises doivent créer leur propre monnaie digitale

Par Juliette Raynal  |   |  773  mots
La députée Laure de La Raudière (Agir - Eure-et-Loire) est connue pour ses travaux menés sur la blockchain.
La députée Laure de La Raudière et le député Pierre Person rencontrent, ce jeudi 13 février, Bruno Le Maire. Ils attendent du ministre des Finances qu'il pousse les banques commerciales à expérimenter une monnaie digitale à destination du grand public, essentielle à leurs yeux pour le développement de l'écosystème blockchain et anticiper l'arrivée d'acteurs étrangers sur ce terrain.

Alors que la Banque de France va lancer à la fin du mois de mars un appel à projets sur une monnaie digitale de "gros", c'est-à-dire dédiée aux échanges entre institutions financières, certains députés estiment que les banques commerciales doivent également se pencher sur la question pour proposer un e-euro au grand public.

"Ce sont les banques commerciales qui doivent se saisir de la question des monnaies digitales, mais il doit y avoir également une impulsion de la Banque centrale européenne", a indiqué la député Laure de La Raudière (Agir - Eure-et-Loire), connue pour ses travaux autour de la blockchain, à l'occasion d'un point presse co-organisé, ce jeudi 13 février, avec Pierre Person (LREM -  6ème circonscription de Paris), auteur d'un rapport parlementaire sur les cryptoactifs et dont certaines recommandations ont été intégrées à la loi Pacte.

Un e-euro, essentiel au développement de l'écosystème blockchain

Ces deux "crypto-députés" estiment que le développement d'un stablecoin (un cryptoactif adossé à une devise, dans ce cas à l'euro) émis par les banques commerciales est essentiel au développement de l'écosystème français de la blockchain. Ils se félicitent du cadre législatif attractif mis en place par la loi Pacte, permettant d'encadrer de manière souple les levées de fonds en cryptomonnaies et les plateformes d'échanges, mais considèrent qu'il faut aller encore plus loin.

"Les entrepreneurs français que nous rencontrons nous disent qu'ils veulent un stablecoin euro, que cela n'aurait pas de sens pour eux d'être installés en France si toutes leurs transactions s'effectuaient avec un stablecoin adossé au dollar", rapporte Laure de La Raudière.

Les deux députés n'ont fait qu'entamer leur tournée auprès des banques, mais leur première impression laisse à penser que ces dernières sont peu enclines à investir dans un tel projet. "Ce n'est pas leur priorité. La création d'un stablecoin ne nécessiterait pas d'investissements colossaux mais cela nécessite de sortir du modèle existant, qui fonctionne très bien", relève Pierre Person en faisant référence au bénéfice record de BNP Paribas en 2019"Les banques commerciales associent ce projet à des coûts supplémentaires alors que la blockchain peut éliminer de nombreuses frictions, notamment pour le respect de la conformité", ajoute Laure de La Raudière.

Un enjeu de souveraineté

Selon les deux "crypto-députés", il y a pourtant bien un risque pour les banques d'ignorer ce sujet : celui que des acteurs étrangers développent "des applications intéressantes" autour d'un stablecoin pour le grand public. "Est-ce que la réglementation est une barrière suffisamment solide pour se protéger de la concurrence étrangère ? Nous pensons que non. À chaque fois, c'est l'usage qui prend le dessus", insiste la députée d'Eure-et-Loire.

Pour convaincre les banques commerciales d'agir et leur donner un élan, les deux députés misent sur une volonté politique plus forte. Dans le cadre d'un rendez-vous prévu ce jour avec Bruno Le Maire, ils attendent du ministre de l'Économie et des Finances qu'il pousse les grandes banques françaises à tester les stablecoins commerciaux.

Un fonds de plusieurs dizaines de millions d'euros dédié à la blockchain

Mais les échanges ne devraient pas s'arrêter là. L'autre grande demande concerne la création d'un fonds de capital-risque dédié à la blockchain par Bpifrance. "Il faudrait qu'il fasse au moins plusieurs dizaines de millions d'euros", précise Pierre Person, qui regrette que la France soit trop dispersée dans ses investissements. "Aujourd'hui, il n'existe aucun grand fonds français spécialisé sur la blockchain. Aux États-Unis, ces fonds dédiés représentent 15 milliards de dollars. En Chine, une poche d'un milliard de dollars est disponible et cela ne va faire qu'augmenter", alerte Laure de La Raudière.

Un dernier point doit être abordé lors de ce rendez-vous : celui du contrôle que mène actuellement le Groupe d'action financière (Gafi), un organisme international chargé de vérifier que les réglementations nationales sont suffisantes au regard de la lutte contre le blanchiment d'argent et le terrorisme. La France est le premier pays à être contrôlé à l'aune des nouvelles règles concernant les cryptoactifs. Or, le caractère facultatif de l'agrément encadrant les plateformes d'échanges de cryptoactifs contre de la monnaie fiat pourrait poser problème. Les deux députés craignent qu'un basculement vers un agrément obligatoire constitue un frein "non marginal" à l'attractivité du territoire. La décision de Bruno Le Maire sur le sujet est attendue courant mars.