Libra : une taskforce des banques centrales sur les stablecoins créée dans le cadre du G7

Le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, a annoncé ce vendredi la mise en place dans le cadre du G7 d’une taskforce qui examinera notamment les exigences anti-blanchiment à l’égard des « stablecoins » ces cryptoactifs adossés à des devises, comme le Libra.
Delphine Cuny
Benoît Cœuré, membre du directoire de la Banque centrale européenne, dirigera cette taskforce sur les cryptoactifs.
Benoît Cœuré, membre du directoire de la Banque centrale européenne, dirigera cette taskforce sur les cryptoactifs. (Crédits : KAI PFAFFENBACH)

Les États et les banques centrales contre-attaquent. Au lendemain de l'annonce du Libra, cette cryptomonnaie développée par Facebook avec 27 partenaires, dont les géants du paiement Visa, Mastercard et PayPal, les autorités veulent montrer qu'elles ne vont pas laisser ces « monnaies » privées se lancer sans réagir. Le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, a annoncé ce vendredi 21 juin la mise en place, dans le cadre du G7, d'une taskforce des banques centrales sur les « stablecoins », ces cryptomonnaies indexées ou adossées à une devise ou un panier de devises, comme le Libra.

« Nous venons, avec Bruno Le Maire [le ministre de l'Economie et des Finances] et au nom de la présidence française du G7, de décider la mise en place d'une task-force sur les projets de "stable coins": le Libra, dont on a beaucoup parlé ces derniers jours, mais pas seulement lui » a déclaré François Villeroy de Galhau, lors d'une allocution à une conférence sur la lutte contre le blanchiment organisée par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR).

Ce groupe de travail sera dirigé par Benoit Cœuré, actuellement membre du directoire de la Banque centrale européenne (BCE) et président du Comité sur les paiements et les infrastructures de marchés, une des instances de coopération internationale hébergées par la Banque des règlements internationaux (la BRI), la banque des banques centrales.

Les « stablecoins » (littéralement « monnaies stables ») sont des crypto-actifs (le nom plus technique des cryptomonnaies) dont la valeur est liée, indexée, à une devise (généralement selon une parité d'un pour un), un actif réel (métal précieux, immobilier par exemple), une autre crypto-monnaie ou un panier d'actifs. Ils sont apparus pour résoudre le problème de la volatilité des cours des crypto-actifs comme le bitcoin qui empêche leur adoption de masse, tout en conservant les avantages d'une monnaie virtuelle (instantanéité, échange pair-à-pair). Un stablecoin est émis par une entité centrale qui doit détenir les actifs réels auxquels il est adossé, par exemple l'équivalent des coins émis en dollars sous séquestre. Les plus connus sont le controversé Tether (3,5 milliards de dollars de capitalisation), USDC (émis par Circle et Coinbase), TrueUSD et Gemini.

Un rapport avant la fin de l'année

Dans un courrier en date du 19 juin adressé à Benoit Cœuré, que la Tribune a pu consulter, le ministre et le gouverneur lui demandent de coordonner le travail de ce groupe qui sera composé « de représentants de haut niveau des banques centrales des pays appartenant au G7 [Allemagne, Canada, Etats-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni], ainsi que de représentants du FMI et de la Présidence française du G7».

Le groupe devra « livrer un rapport d'ici à la fin de la présidence française du G7 » soit d'ici à la fin de l'année, et dresser un premier état des réflexions « oral ou écrit, lors de la réunion du G7 [Finances] à Chantilly à la mi-juillet.»

Il a pour mission d'examiner dans les prochains mois « les défis soulevés l'émergence des stable coins, notamment sur le front réglementaire».

 « La taskforce devra examiner les exigences anti-blanchiment, mais aussi celles de protection des consommateurs, de résilience opérationnelle, ainsi que les éventuelles questions de transmission de la politique monétaire » a précisé le gouverneur.

Les banquiers centraux vont notamment travailler sur les contours de ce nouvel instrument financier sans statut clair.

« Au demeurant, ce terme de " stable" devra être précisé : stable contre quoi (si c'est un panier de devises, quel panier ?); et stable jusqu'à quel point (fixe, ou partiellement flexible ?) » a relevé François Villeroy de Galhau. « Nous voulons allier ouverture sur l'innovation et fermeté sur la régulation: c'est l'intérêt de tous » a-t-il fait valoir.

Guère crypto-enthousiaste, Benoit Cœuré a déjà travaillé sur ces problématiques au sein du Comité sur les paiements et les infrastructures de marchés. Il avait notamment exprimé des réserves à l'égard des monnaies numériques de banque centrale, qui « pourraient rendre plus efficace le règlement des échanges d'action et des changes à l'avenir » mais pourraient aussi avoir des « implications pour la stabilité financière et la politique monétaire. »

Les stablecoins comme le Libra sont en effet une réponse à la lenteur et au coût élevé des transactions en devises et transfrontalières.

Le gouverneur de la Banque de France a d'ailleurs souligné qu'il fallait « améliorer encore l'efficacité des systèmes de paiement existants, en transfrontières », en adoptant une stratégie européenne en la matière.

La Banque d'Angleterre aussi vigilante

Son homologue britannique, le gouverneur de la Banque d'Angleterre, Mark Carney, a également exprimé ses réticences, lors d'une interview à la BBC ce vendredi.

Si le Libra devenait un succès à la hauteur des ambitions de Facebook, « il deviendrait un moyen de paiement d'une telle importance que les grandes banques centrales devraient avoir une supervision directe de l'entité (émettrice) et à ce propos, cette entité ne pourrait pas être détenue par Facebook ou par un groupe d'entreprises technologiques, elle devrait être bien séparée et supervisée par des banques centrales comme la nôtre mais aussi les autorités en charge de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Nous voulons aussi nous assurer que les données sont protégées. Il faut que les gens puissent préserver leur vie privée tout en ayant accès à ce système » a-t-il insisté.

Par ailleurs, dans une tribune parue dans le Figaro, l'économiste Daniel Cohen et le président du Crédit Mutuel demandent aux « Etats et banques centrales de ne pas laisser Facebook battre monnaie ». Ils estiment que « le projet de monnaie Facebook est un test de la crédibilité des gouvernements et des banques centrales ».

Dans une tribune publiée par le Financial Times ce vendredi, un des cofondateurs de Facebook et ancien camarade de Mark Zuckerberg à Harvard, Chris Hughes, enjoint aux autorités d'agir. Il appelait récemment au démantèlement de Facebook.

« Même avec un succès modeste, Libra ferait basculer trop de contrôle sur la politique monétaire des banques centrales à des entreprises privées, y compris Visa, Uber, et Vodafone. Si les autorités de régulation dans le monde n'agissent pas maintenant, il pourrait très rapidement être trop tard », met-il en garde dans le FT. « Inévitablement, ces entreprises mettraient leurs intérêts privés - les profits et l'influence - avant l'intérêt public.»

Lire aussi : PODCAST La Blockchain est-elle l'avenir de la monnaie ?

Delphine Cuny

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Commentaires 4
à écrit le 22/06/2019 à 18:55
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Marx avait raison sur toute la ligne, c’est juste wow.

à écrit le 22/06/2019 à 14:05
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Les états et les banques ont voulu la globalisation, ils l'ont eu. Maintenant ils ne trouvent pas normal que les entreprises/particuliers profite aussi de cette globalisation. Le contrôle de l'argent par les états et les banques: c'est cuit !

à écrit le 22/06/2019 à 9:42
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"les exigences anti-blanchiment" L'UE veut se garder le marché de l'évasion fiscale. Vite un frexit !

à écrit le 21/06/2019 à 21:58
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Bravo pour cet article de qualité, c'est factuel et c'est très clair. Personnellement autant le bitcoin me fait bien marrer, autant une crypto avec un tampon GAFA m'inquiète, cette fois on rentre dans une autre dimension. Imaginons qu'une crypto fin...

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