Monsanto condamné, et maintenant ?

Par Dominique Pialot  |   |  1076  mots
Un verdict historique condamne Monsanto à 289 millins de dollars d'amende. L'entreprise fait appel. (Crédits : Benoit Tessier)
Le verdict rendu par la justice californienne, assorti d’une amende de 289 millions de dollars, est un coup dur pour Bayer, propriétaire depuis juin du fabricant de Roundup. Cette décision historique fera-t-elle évoluer une réglementation qui, en Europe comme en France, ne menace guère son composant clé, le glyphosate ?

C'est une première. Vendredi 10 août, après huit semaines de procès et trois jours de délibération, la justice californienne a condamné le géant de la chimie Monsanto (propriété depuis juin dernier l'allemand Bayer) à verser 289 millions de dollars (253 millions d'euros) à Dewayne Johnson. Les jurés ont en effet jugé que Monsanto avait agi avec "malveillance" et que son herbicide RoundUp, ainsi que sa version professionnelle RangerPro, avaient "considérablement" contribué à la maladie du plaignant. Dewayne Johnson, un jardinier américain âgé de 46 ans atteint d'un cancer qui, selon ses médecins, réduit son espérance de vie à deux ans, avait attaqué le fabricant du RoundUp en 2016. Son cas est le premier à bénéficier d'un procès, en vertu d'une loi californienne qui oblige les tribunaux à organiser la procédure avant le décès du plaignant. Bien que les premiers soupçons quant au caractère potentiellement cancérigène de l'herbicide au glyphosate remontent à 1984, c'est la première fois que la firme américaine est condamnée sur ce sujet précis. Utilisé sous différentes marques depuis que le brevet est tombé dans le domaine public en 2000, le glyphosate figure également sur la liste des perturbateurs endocriniens, est soupçonné de nuire à l'environnement et notamment de contribuer à la disparition des abeilles.

« Probablement cancérigène pour les humains » selon l'ONU

Pourtant, de nombreuses études (800 d'après le PDG de Bayer, Werner Baumann) ont conclu à son absence de nocivité. L'Agence américaine pour l'environnement (EPA) elle-même affirme que l'herbicide est inoffensif s'il est utilisé avec précaution. Mais, comme l'ont révélé en mars 2017 les Monsanto papers, des documents confidentiels du groupe déclassifiés et décryptés par les journalistes de plusieurs media dont le Monde, les conditions de leur rédaction et la sincérité de leurs conclusions sont sujettes à caution. Le CIRC (centre international de recherche sur le cancer), un organisme dépendant de l'ONU, avec son étude qualifiant en 2015 le glyphosate de « probablement cancérigène pour les humains », avait jeté un pavé dans la marre.

Cette première condamnation fera-t-elle boule de neige ? Il est trop tôt pour le dire. Monsanto a annoncé immédiatement après le verdict son intention de faire appel. Mais de 4 à 5.000 procédures similaires seraient actuellement en cours aux Etats-Unis.

Bayer fait disparaître la marque Monsanto mais pas les poursuites

Quoi qu'il en soit, le coup est rude pour Bayer, qui a déboursé en juin dernier pas moins de 63 milliards de dollars pour mettre la main sur Monsanto et ainsi faire poids face au mastodonte issu de la fusion entre DuPont et Dow. Consciente du risque réputationnel attaché à une marque fréquemment rebaptisée Monsatan ou Mutanto, le géant allemand avait immédiatement annoncé vouloir la faire disparaître. Surtout, ni le rachat, ni la disparition de la marque n'éteignent les poursuites antérieures intentées, auxquelles Bayer doit aujourd'hui répondre. Voilà la croix du logo, synonyme pour son PDG Werner Baumann de « confiance, compétence et qualité », sérieusement écornée. Une plus grande transparence avait été promise au moment de l'acquisition.

« Sur la base de preuves scientifiques, d'évaluations réglementaires à l'échelle mondiale et de décennies d'expérience pratique d'utilisation, Bayer estime que le glyphosate est sûr et non cancérogène », a pourtant déclaré, samedi, un porte-parole du géant allemand.

A la mi-journée, le cours dégringolait de  plus de 12% à la Bourse de Francfort, à 81,79 euros, et Bayer voyait plus de 11 milliards d'euros de sa capitalisation partir en fumée. Les analystes anticipent un coût de 5 à 10 milliards de dollars pour purger la totalité des actions en cours.

Deux plaintes en cours en France

Et en France, quelles pourraient être les conséquences de ce jugement historique ? Deux affaires sont actuellement instruites. Paul François, un agriculteur céréalier charentais,  a porté plainte en 2007 contre Monsanto, convaincu que sa maladie est liée à sa manipulation du Lasso, un puissant herbicide. En 2015, la cour d'appel de Lyon a donné raison à l'agriculteur, mais la décision a été cassée par la Cour de cassation, et est en attente d'un nouveau jugement.

Par ailleurs, une mère de famille qui avait utilisé du désherbant pendant sa grossesse accuse le glyphosate d'être responsable des malformations chez son fils, Théo qui, à 7 ans seulement, avait déjà subi une cinquantaine d'opérations.

Le glyphosate fait polémique en France depuis plusieurs années. La journaliste Marie-Monique Robin, auteur du documentaire « Le RoundUp face à ses juges » diffusé à l'automne dernier, est la figure de proue des « anti- glyphosate. » Le débat s'est récemment intensifié à la fois autour des délibérations à Bruxelles en novembre dernier et dans le cadre de la loi française agriculture et alimentation. A cette occasion, les écologistes ont beaucoup reproché à Nicolas Hulot d'avoir reculé devant la FNSEA et le ministère de l'agriculture.

L'indifférence des politiques pointée par Hulot

Interrogé par Libération suite au verdict américain de vendredi, le ministre de la transition écologique et solidaire s'est félicité d'une « décision providentielle », dont il espère qu'elle « mettra fin à l'indifférence des politiques sur la dangerosité des pesticides. » Il évoque aussi la « stratégie ignoble » de Monsanto, qui est de « mettre en coupe réglée les ressources alimentaires de la planète. »

Mais cela ne semble pas devoir changer quoi que ce soit aux décisions récemment entérinées à Bruxelles ou à Paris. En Europe, le glyphosate vient d'être à nouveau autorisé pour une durée renouvelable de 5 ans, une décision qui ne satisfait personne, ni les écologistes qui estiment que les lobbies ont triomphé ou la ville de Bruxelles qui attaque l'Union européenne, ni Monsanto qui demandait 10 ou 15 ans. En France, Emmanuel Macron lui-même a promis une interdiction « pour ses principaux usages » d'ici à 2021, et « pour tous les usages » d'ici cinq ans. Mais il évoque également la possibilité de dérogations, et le gouvernement s'est refusé à inscrire cette interdiction dans le projet de loi agriculture et alimentation. Enfin, le Sénat vient de rejeter un amendement de cette même loi visant à séparer la vente de pesticides du conseil aux agriculteurs.

A moins d'autres verdicts similaires à celui rendu le 10 août par la justice californienne, pas sûr que les choses évoluent de sitôt ...