Défense : les cinq paris de la loi de programmation militaire

Par Michel Cabirol  |   |  2325  mots
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Le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, présente ce vendredi en Conseil des ministres le projet de loi de programmation militaire, qui fixe le cadre budgétaire des armées jusqu'en 2019. Une loi qui s'efforce de concilier les ambitions de la France dans la défense et l'obligation de redresser les comptes publics.

Après des mois d'un combat âpre, le ministère de la Défense a finalement remporté son duel face à Bercy. Peu avant le 14 juillet, Bercy appuyé par le Premier ministre Jean-Marc Ayrault, favorable à un bugdet de la Défense minimaliste, était revenu à la charge en demandant 750 millions d'économies supplémentaires aux armées. C'est le président de la République lui même, dans son rôle d'arbitre, qui a sifflé la fin de la partie. Lors du 14 juillet, François Hollande a "sanctuarisé" le budget de la défense à 31,4 milliards d'euros. La veille, il avait assuré devant la communauté militaire réunie à l'Hôtel de Brienne que la loi de programmation militaire (LPM) 2014-2019  "reposera sur un principe, le maintien de l'effort financier important de la Nation avec la reconduction du budget de la défense à hauteur de 31,4 milliards d'euros, c'est-à-dire au niveau où il se situe cette année". 

Avec 190 milliards d'euros courants (179,2 milliards en euros constant), dont 6,1 milliards de recettes extra-budgétaires, engagés entre 2014 et 2019, "la France se donne les moyens de mettre en oeuvre un modèle d'armées adapté aux évolutions de notre environnement stratégique (à l'image de la cyberdéfense, ndlr) des quinze prochaines années, autour des trois missions fondamentales que sont la protection de la France et des Français, la dissuasion nucléaire et l'intervention extérieure", assure le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian. Un somme qui correspond à 11,3 % environ du budget de l'Etat pour les trois premières années avec une légère évolution à la hausse au-delà. S'élevant à 29,6 milliards d'euros courants en 2014, la ressource budgétaire sera stabilisée en valeur entre 2014 et 2015 puis en volume dès 2016. À partir de 2018, elle suivra une progression de 1 % en volume.

Près de 34.000 suppressions d'emplois, le pari des économies

En dépit d'un budget relativement préservé, ce projet de loi demande encore un nouvel effort aux armées. La LPM prévoit 23.500 nouvelles suppressions de postes dans les armées, déjà secouées par de multiples réformes depuis 2008. "On ne veut pas faire de suppressions de poste aveugle, elles doivent être fondées sur une analyse fonctionnelle", explique-t-on au sein du ministère. Mais d'ores et déjà, la diminution sur le périmètre d'ensemble du ministère sera de l'ordre de 5.800 postes d'officiers.

En outre, un tiers de la nouvelle compression d'effectifs (8.000 postes) portera sur les forces de combat et les deux tiers restant porteront sur le soutien, les structures organiques, les états-majors, l'environnement et l'administration du ministère. En 2014, 7.880 soldats devront quitter les rangs des armées, puis 7.500 en 2015, 7.400 en 2016 et en 2017 et enfin 3.500 en 2018. Six régiments seront supprimés. Le ministère annoncera fin septembre quels seront les régiments sacrifiés. "C'est un effort considérable, estime-t-on dans l'entourage du ministre de la Défense. Mais nous avons réussi à limiter le mouvement" des dernières années. Car ces nouvelles suppressions de postes s'ajoutent aux 54.000 déjà décidées en 2009 par la majorité précédente (dont 10.175 restent encore à réaliser).

Les 34.000 départs programmés permettront d'économiser 4,4 milliards d'euros sur la masse salariale qui pèse actuellement entre 10,5 et 11 milliards d'euros par an. Mais les économies de masse salariale n'ont pas été au rendez-vous lors des suppressions de postes déjà réalisées sous la majorité précédente. Le ministère de la Défense attendait de la réduction de 23.000 emplois une économie de 1,1 milliard d'euros sur la période 2009-2011... mais la masse salariale a finalement augmenté de 1 milliard. Dans l'entourage de Jean-Yves Le Drian, on précise que "nous aurions dépensé 4,4 milliards d'euros de plus sur la période 2014-2019 si nous n'avions pas procédé à ces suppressions de postes". En 11 ans et deux LPM (2008-2019), les armées auront perdu 82.000 personnels civils et militaires. En 2019, le ministère vise "une cible de 240.279 personnels civils et militaires". Jamais les effectifs d'un ministère n'auront subi un tel dégraissage.

26 Rafale seulement livrés entre 2014-2019, le pari de l'export

Le vrai pari pour Jean-Yves Le Drian : l'exportation du Rafale. Non pas qu'un contrat soit inaccessible. Mais quand sera-t-il signé pour libérer des marges de manoeuvre pour le budget de la défense ? Bien sûr tout le monde pense à l'Inde, qui pourrait achever les négociations avec Dassault Aviation à la fin de l'année. L' Inde a choisi le Rafale en janvier 2012 après un appel d'offres portant sur 126 appareils et une option de 63 avions supplémentaires. Pourquoi pas aussi le Qatar...

Bref, le projet de la LPM fait un sacré pari en inscrivant la livraison de seulement 26 Rafale sur la période de six ans. Le ministère peut-il réduire le nombre de livraisons de l'avion de combat fixé à 11 appareils par an, soit autour de 1 milliard par an ? A priori, non sauf à s'exposer à des pénalités très lourdes. "Le contrat stipule la livraison annuelle de onze Rafale, avait rappelé l'automne dernier le Délégué général pour l'armement, Laurent Collet-Billon. C'est la cadence minimale fixée au regard de la continuité industrielle et de la capacité des fournisseurs de Dassault à produire les équipements nécessaires".

A priori, la LPM assure la livraison de 11 Rafale en 2014 et 2015. Après, c'est le pari de l'export qu'avait déjà fait la précédente majorité. Avec le succès que l'on sait. "On a besoin de ces exportations, c'est une ardente obligation, explique-t-on au sein du ministère. Une fois le contrat indien signé, les cartes seront rebattues". Mais pas tout de suite. Car le PDG de Dassault Aviation, Eric Trappier, a récemment estimé que les premiers Rafale pourraient être livrés à l'Inde trois ans après la signature du contrat. Soit fin 2016, début 2017 si le contrat est signé fin 2013. Il a toutefois souligné que ces Rafale ne pourraient pas être prélevés directement sur les chaînes françaises car les appareils doivent être adaptés aux conditions indiennes dès la première unité. « Il y a quelques demandes indiennes différentes », a-t-il expliqué. Enfin, si ces prévisions n'étaient pas au rendez-vous, le ministère prévoit fin 2015 un rendez-vous pour la réactualiser si nécessaire.

À la fin de la LPM, tous les avions permettront le tir du missile nucléaire ASMPA, d'armements air-air (canon, missiles Mica EM et IR, missile air-air longue distance METEOR), d'armements air-sol (missile de croisière SCALP, bombes de précision AASM et GBU, et canon), d'armements air-mer (missile EXOCET), et l'emport de la nacelle de reconnaissance de nouvelle génération (RECO NG) et d'un pod de désignation laser de nouvelle génération (PDL NG).

6,1 milliards d'euros de ressources exceptionnelles, le pari des "REX"

6,1 milliards en euros courants ou 5,9 milliards en euros constants de recettes exceptionnelles, les fameuses REX. C'est ce que le ministère doit trouver sur la période 2014-2019 pour compléter son budget (31,4 milliards d'euros) : 1,77 milliard en 2013 et en 2014, 1,25 milliard en 2016, 910 millions en 2017, 280 millions en 2018 et 150 millions en 2019. Un pari largement dans les cordes de Jean-Yves Le Drian, qui s'est battu pour les avoir. Et surtout, les REX seront au rendez-vous de 2014, via le programme d'investissement pour l'avenir (PIA), qui complètera le budget à hauteur de 1,5 milliard d'euros, grâce à des cessions de participations dans des groupes détenus tout ou partie par l'Etat. C'est un peu plus compliqué en revanche pour 2015.

Pour réussir son pari, le ministère dispose donc de cinq pistes solides : les cessions immobilières du ministère qui sont entièrement reversées à la défense (estimation de 600 millions d'euros) ; le programme d'investissement pour l'avenir (PIA), qui viendra à la rescousse du budget 2014 pour un montant de 1,5 milliard d'euros via la vente de participations de l'Etat ; la vente de nouvelles fréquences de 790 Megahertz dont 100 % du produit de la vente sera reversé au ministère ; les redevances annuelles versées par les opérateurs au titre des fréquences déjà vendues (environ 200 millions) ; et enfin des cessions additionnelles de participations de l'Etat "si les quatre autres pistes ne réussissent pas à boucler les objectifs des REX", assure-t-on dans l'entourage du ministre.

Enfin, d'autres ressources exceptionnelles pourront être mobilisées si le produit ou le séquencement des ressources exceptionnelles prévues est insuffisant. "Il y a un engagement politique", assure-t-on dans l'entourage du ministre. Mais pour l'heure, on ne souhaite pas dévoiler quelles pourraient être ces nouvelles REX. Par ailleurs, Jean-Yves Le Drian pourra bénéficier jusqu'à 900 millions d'euros supplémentaires si le produit des ressources exceptionnelles est supérieur aux prévisions. "Cela nous permettrait de nous protéger contre les aléas de la LPM", précise-t-on au sein du ministère. 

102,7 milliards pour les programmes d'armement, le pari de la préservation de l'industrie de défense

C'était l'un de paris du Livre blanc de la défense, un pari peu évident au début de la réflexion stratégique mais il s'est révélé au fur et à mesure de la prise de conscience de l'importance de cette industrie, "une composante essentielle de l'autonomie stratégique" de la France, rappelle-t-on au sein du ministère. Il est aujourd'hui mis en musique par une première LPM. Dans ce cadre, assure-t-on au ministère, "le maintien de l'industrie de défense française aux premiers rangs mondiaux sera assuré par un effort financier important, s'élevant à 102,7 milliards deuros courants sur la période 2014-2019, soit une dotation annuelle moyenne de plus de 17 milliards d'euros courants", dont 5,4 milliards environ pour les grands programmes.

En 2014, le montant s'élevera à 16,4 milliards, pour atteindre à la fin de la LPM 18,2 milliards. Ce niveau de dépense annuelle permettra notamment d'assurer la poursuite des programmes en cours même si les livraisons des matériels seront un peu plus étalées. "Tous les contrats signés en 2009 sont rediscutés, explique-t-on au sein du ministère. Ils sont 30 % à 40 % au-dessus de nos possibilités budgétaires actuelles".  

Mais, assure-t-on au sein du ministère, "tous les principaux secteurs de compétences de notre industrie de défense seront donc préservés : aéronautique/drones de combat ; missiles ; aéronautique de transport ; hélicoptères ; sous-marins ; navires armés de surface ; armement terrestre ; renseignement/surveillance ; communications/réseaux.Outre les 26 Rafale livrés sur la période 2014-2019, Airbus a pour objectif de livrer deux avions tanker MRTT sur une cible de 12, 13 avions de transport militaire A400M (soit 15 au total avec les deux livrés en 2013), 16 hélicoptères d'attaque Tigre au standard HAD, 42 hélicoptères de transport NH90 (29 TTH à l'armée de terre et 13 NFH à la Marine.

Le missilier MBDA de son côté, devra livrer 450 exemplaires du nouveau programme MMP (+ 175 postes de tir), le successeur du best-seller Milan. L'industrie d'armements terrestre devra quant à elle assurer la livraison du successeur du VAB avec le nouveau programme véhicules blindés multi-rôles VBMR (92 exemplaires sur une cible de 2.080 véhicules). Enfin, DCNS livrera un sous-marin nucléaire d'attaque Barracuda et cinq frégates multmissions FREMM. Enfin, la France recevra 12 drones de surveillance MALE MQ-9 Reaper sur la LPM et 14 drones tactiques Watchkeeper livrés par Thales. 

Enfin, le ministère consacrera une somme pour les études amont (Recherche & technologies) de 730 millions d'euros par an en moyenne à la entre 2014-2019. "Le maintien d'un effort substantiel de recherche et technologie constitue un objectif majeur de la LPM", estime le ministère. Les crédits destinés aux études amonts sont en hausse par rapport à la période précédente.

Le pari de la crédibilité de la France à l'international

Les nouveaux efforts exigés mettent-ils en péril la cohérence de l'outil militaire de la France ? En d'autres termes, est-ce un déclassement stratégique ? Ce sujet est sensible au ministère de la Défense, qui est très susceptible sur les commentaires sur un possible déclassement. Clairement, le ministère affirme que ce n'est pas le cas. Il est en tout cas quesûr si les armées doivent faire de nouveaux efforts à l'avenir, le modèle pour lequel s'est battu Jean-Yves Le Drian explosera. "La France est allée aussi loin qu'elle le pouvait en matière de réductions de moyens tout en conservant son modèle", estime un observateur. Mais clairement cette LPM ne peut pas subir de nouvelles ponctions budgétaires, ce que Bercy ne manquera pas d'essayer.

Avec 31,4 milliards d'euros par an, la direction générale pour l'armement (DGA) sait donner de la charge à l'ensemble des industriels et préserver l'avenir. En-dessous de 30 milliards, ce n'est plus le cas. Pour l'Hotel de Brienne, la LPM préserve "un modèle équilibré". "Devant des menaces qui ne faiblissent pas, notre autonomie stratégique est ainsi confortée", assure Jean-Yves Le Drian.

"Dans un contexte marqué par une crise financière aigüe, un environnement stratégique incertain et la nécessité de la modernisation de nos équipements, la France a fait le choix de maintenir, grâce aux ressources ainsi définies, un niveau d'ambition élevé sur la scène internationale, tout en garantissant la protection de sa population, explique le projet de loi. La programmation militaire permettra à la France - qui demeurera ainsi l'un des rares pays à pouvoir le faire - d'assumer simultanément les trois missions fondamentales que sont la protection du territoire et de la population, la dissuasion nucléaire, appuyée sur deux composantes distinctes et complémentaires, et l'intervention sur des théâtres extérieurs, soit en mission de gestion de crise, soit en mission de guerre. Les armées françaises disposeront de la capacité d'entrer en premier sur ces théâtres, dans les trois milieux terrestre, naval et aérien, et de prévoir, planifier et conduire de tels engagements".