Pourquoi ATR peut encore attendre avant de lancer son nouvel avion de 90 places

Par Michel Cabirol  |   |  788  mots
ATR a annoncé jeudi un nouveau record de chiffre d'affaires en 2013 à 1,63 milliards de dollars, en hausse de 13 % par rapport à 2012
En dépit de son impatience à lancer son appareil de 90 places, le constructeur d'avions régionaux turbopropulseurs dispose encore de temps pour concrétiser ce projet. Pour trois raisons : la concurrence n'est pas prête, l'avionneur franco-italien est en pleine forme et le marché de l'aviation régionale va continuer à croître avec ou sans appareil de 90 places.

Le projet d'un nouvel avion de 90 places (NGTP) du constructeur d'avions régionaux turbopropulseurs ATR peut encore attendre... même si ce programme donnerait à la filiale à 50-50 d'Airbus Group et de l'italien Finmeccanica une avance commerciale considérable sur ses concurrents s'il était lancé rapidement. Mais le patron d'Airbus, Fabrice Brégier ne le souhaite pas.

"ATR rencontre un grand succès et continue d'innover, mais je ne crois pas qu'il faille à court et moyen terme tout casser en lançant un nouvel avion. Je ne comprends pas l'empressement de certains", a-t-il asséné la semaine dernière en marge de la présentation des résultats d'Airbus. Une position qu'il réaffirme depuis deux ans avec constance. Toutefois, il n'y a pas pour le moment péril en la demeure pour ATR, qui envisage de réformer sa gouvernance actuelle en 2015 et abandonner son statut de Groupement d'intérêt économique (GIE). Trois raisons pour ATR de prendre son mal en patience.

1/ La concurrence n'est pas prête

La raison principale est que la concurrence n'est pas prête, estime-t-on au sein de l'avionneur. Ni les Chinois, ni les Indiens, ni les Sud-Coréens, et, enfin, ni le rival le plus sérieux d'ATR, Bombardier, ne semblent prêts pour différentes raisons à se lancer dans un tel projet. En difficulté sur son programme prioritaire le CSeries, l'avionneur canadien n'est pas mécontent du veto d'Airbus Group sur un projet de 90 places. En clair, il ne dégainera pas le premier.

Les Sud-Coréens sont toujours à la recherche d'un partenaire qui les fuit désespérément tandis que l'Inde... reste toujours à l'heure indienne. Reste le Chinois Avic et son projet MA700, un appareil de... 70 places concurrent de l'ATR 72, dont le premier exemplaire pourrait sortir en 2014. Bref, une concurrence qui donne des arguments à Airbus.

2/ ATR est en pleine forme

L'avionneur basé à Toulouse a réalisé une très, très belle année 2013. Aussi, le projet NGTP n'est pas vital pour ATR. Le numéro un mondial des avions régionaux à turbopropulseurs a une nouvelle fois conforté l'année dernière son leadership. ATR a annoncé jeudi un nouveau record de chiffre d'affaires en 2013 à 1,63 milliards de dollars, en hausse de 13 % par rapport à 2012. Le constructeur d'avions régionaux a livré 74 appareils en 2013, soit 48 % de parts de marché sur les appareils de 50-90 places, jet compris. Et ce n'est pas fini. "En 2014 nous serons à 1,8 milliard et en 2015, je crois que nous arriverons à 2 milliards", a estimé le directeur général d'ATR, Filippo Bagnato.

Une bonne santé qui a fait dire à Fabrice Brégier que "quand on est leader sur un marché, la montée en cadence constitue la priorité". Un message reçu 5 sur 5 par Filippo Bagnato. L'avionneur a poursuivi la montée de cadence de production, livrant 74 appareils contre 64 un an plus tôt, mais sans atteindre son objectif de 80. Il espère atteindre ou dépasser les 80 en 2014, alors qu'il visait auparavant les 90 livraisons cette année. A fin 2013, le carnet de commandes du groupe, qui a pour principal concurrent le canadien Bombardier, atteint 221 appareils pour un montant évalué à 5,3 milliards de dollars.

"L'accélération de la production industrielle est un défi", a reconnu le directeur général d'ATR, et "plus spécifiquement nous travaillons à améliorer la production des aérostructures". Et de conclure sur ce sujet : "avant de construire le deuxième étage d'une maison (le programme 90 place, ndlr), il faut s'assurer que le premier est solide".

3/ Le marché de l'aviation régionale va continuer à croître

Dans ses prévisions de marché 2013-2032, Bombardier prévoit 5.650 livraisons d'avions de 60-99 sièges, dont 2.700 turbopropulseurs. Actuellement la flotte s'élève à 2.600 appareils dans ce segment. "Les transporteurs régionaux articulent graduellement leurs modèles d'exploitation autour du segment des avions régionaux à large fuselage de 60 à 99 places turbopropulsés et à réaction", explique l'avionneur canadien. En Europe, la taille moyenne des avions régionaux a augmenté, passant de 63 places en 2001 à 72 places en 2009, puis à 78 places en 2012.

ATR, qui a vendu 89 appareils (2,10 milliards de dollars) et 106 options en 2013, dispose d'un carnet de commandes de 221 appareils (5,3 milliards de dollars). En 2014, les prises de commandes devraient être stables. Sur les trois dernières années, ATR a réalisé 35 % de parts de marché (400 appareils), loin devant le Q400 de Bombardier (11 % de parts de marché). Il devance même les jets d'Embraer (31 %). Du coup, l'avionneur franco-italien, en dépit d'une déception légitime de ne pas pouvoir lancer l'appareil de 90 places, garde de bonnes perspectives commerciales... même si le marché réclame de plus en plus ce nouvel appareil, selon ATR. Le constructeur évalue, à l'horizon de 20 ans, à quelques 1.000 appareils. Soit environ un tiers du marché des turbopropulseurs.