Mistral : 64% des Français favorables à une livraison à la Russie

Par Michel Cabirol  |   |  1226  mots
64% des Français sont favorables à la livraison des deux navires de guerre Mistral
Selon un sondage commandé par La Tribune et réalisé par l'Ifop, les Français sont favorables à une large majorité (64%) à la livraison des deux bateaux de projection et de commandement (BPC) de type Mistral à la Russie.

François Hollande ne pourra pas ignorer que les Français sont largement favorables à la livraison des Mistral à la Russie, qui a été reportée "jusqu'à nouvel ordre" par Paris. C'est l'une des nombreuses surprises d'un sondage commandé par La Tribune et réalisé par l'Ifop entre le 9 et le 12 janvier auprès de 1.001 personnes. Dans un pays considéré souvent comme bien-pensant, les Français font finalement preuve de beaucoup de "realpolitik".

A une majorité très confortable (64%), ils sont favorables à la livraison des bateaux de projection et de commandement (BPC), de type Mistral, à Moscou. La marine russe en a commandé deux exemplaires au groupe naval DCNS pour environ 1,2 milliard d'euros dans le cadre d'un contrat conclu en juin 2011 sous l'ancien président Nicolas Sarkozy. Une majorité qui recrute aussi bien à gauche (66%) qu'à droite (71%).

La semaine dernière, la Russie a officiellement envoyé une demande d'explication écrite à la France concernant son refus de lui livrer les navires de guerre Mistral, selon l'agence publique russe Ria-Novosti, citant une source militaire. Selon l'agence, qui cite une source anonyme au sein du Service fédéral russe de coopération militaire, ce dernier a adressé une demande à la direction générale de l'armement (DGA) "avec l'objectif de recevoir une réponse officielle". "Pour décider de la suite, saisir un tribunal ou donner du temps à la France, la Russie doit disposer d'une explication écrite de la situation", a indiqué cette source.

Une mesure pas efficace pour régler le conflit entre Kiev et Moscou

Les Français sont d'autant plus convaincus de la nécessité de livrer les deux Mistral à la Russie qu'ils considèrent, à une très large majorité (75%), que le refus de la France de remettre ces navires à la marine russe n'est pas efficace pour régler le conflit entre l'Ukraine et  la Russie. "L'opinion française est très déterminée sur ce sujet, notamment chez les plus de 35 ans (80%)", constate le directeur des études politiques à l'Ifop, Damien Philippot. Et de préciser que ce sondage s'écarte du "politiquement correct". Une prise de position, alors même que 66% des sondés estiment que la situation dans le conflit entre l'Ukraine et la Russie n'a pas évolué ces dernières semaines.

Un sondage réalisé avant les nouveaux combats de ces derniers jours dans la zone de l'aéroport Serge Prokofiev de Donetsk, où les séparatistes ont lancé une offensive depuis jeudi. L'Union européenne restera ferme envers la Russie, y compris sur les sanctions, alors que les violences ont regagné en intensité dans l'est de l'Ukraine, ont décidé lundi les ministres européens des Affaires étrangères.

Curieusement, ce sont les Français qui ont voté pour Marine Le Pen à la présidentielle de 2012, qui sont les plus nombreux (39%) à estimer que le refus de livrer est une mesure efficace pour régler le conflit entre l'Ukraine et la Russie. Contrairement aux électeurs de Nicolas Sarkozy (85%) et de François Hollande (76%) qui estiment que le refus de livrer les deux navires de guerre n'est pas efficace pour régler le conflit entre l'Ukraine et la Russie.

Pourquoi les Français souhaitent la livraison des Mistral?

Quelles sont les raisons des Français? Pour 77% des sondés, le refus de livrer les deux BPC aura des conséquences négatives directes pour les chantiers navals en France (notamment DCNS et STX France) et pour l'emploi. Des conséquences qui font "l'objet d'une véritable certitude", note Damien Philippot. Une quasi-unanimité qui se recrute autant chez les jeunes que chez les plus de 35 ans, et autant chez les femmes que les hommes... "C'est une forte prise de conscience majoritaire partout, notamment des impacts sur l'emploi", confirme-t-il.

Mais cette prise de conscience va au-delà des conséquences directes pour les chantiers navals et l'emploi. Ainsi 72% des Français considèrent que le refus de livrer va nuire à l'industrie de défense française en mettant en danger d'autres contrats commerciaux. En Inde, où Dassault Aviation négocie depuis trois ans la vente de 126 Rafale, Russes et Britanniques tentent de torpiller ces négociations en évoquant le refus de la France de livrer les Mistral. "Tous les interlocuteurs russes des Indiens disent de nous que nous ne sommes pas fiables. Les Anglais également", expliquait récemment aux sénateurs un des plus hauts responsables du ministère de la Défense, le délégué général pour l'armement, Laurent Collet-Billon.

C'est d'ailleurs ce que pensent 69% des sondés. Le refus de livrer les navires Mistral va favoriser les autres grands pays concurrents de la France en matière d'industrie de défense (États-Unis, Royaume-Uni, Russie...). Enfin, 56% des sondés estiment que ce refus va dégrader la réputation de la France à l'international.

La Russie, un partenaire économique important pour la France

D'une manière plus générale, les Français, à une large majorité (81%), estiment que la Russie est un grand pays avec lequel la France doit entretenir de bonnes relations. Ils affirment aussi que les relations économiques avec la Russie ont une grande importance pour l'économie française (80%). Une position "très homogène, à rebours de qu'on peut imaginer", note Damien Philippot. D'où, explique-t-il, une "inquiétude des Français sur des conséquences économiques" entre la France et la Russie qui ont "des relations solides".

En 2013, la France était le 3e fournisseur européen de la Russie (derrière l'Allemagne et l'Italie), avec 4,1% de parts de marchés, et la Russie représentait le 3e marché de la France, hors Union Européenne et Suisse. Les échanges bilatéraux se sont élevés à 18,2 milliards d'euros en 2013. La balance commerciale de la France avec la Russie est structurellement déficitaire en raison de la part très importante de la facture énergétique. Après s'être réduit en 2012, ce déficit est resté stable en 2013 (2,9 milliards). Les exportations françaises ont été multipliées par plus de quatre en treize ans (7,7 milliard en 2013 contre 1,8 milliard en 2000).

Enfin, les Français estiment à 63% que le gouvernement français a été suffisamment présent dans les négociations diplomatiques dans la gestion du conflit entre l'Ukraine et la Russie. Mais ils affirment à seulement 49% que la France a été efficace pour tenter de régler le conflit entre les deux pays. "Il y a un doute", sur l'efficacité du gouvernement français à peser sur ce conflit, confirme Damien Philippot. D'autant que les Français (76%) considèrent que les sanctions économiques contre la Russie sont une initiative américaine à laquelle se sont rangés les pays européens, dont la France.

Finmeccanica vend des hélicoptères à la Russie

Enfin, d'une manière générale, les Français estiment que les sanctions économiques infligées à la Russie ne sont pas efficaces (52%) pour régler le conflit entre l'Ukraine et la Russie. "Il existe un doute sur l'efficacité des sanctions occidentales", constate Damien Philippot. D'autant qu'il semble y avoir deux poids, deux mesures.

Ainsi, le constructeur anglo-italien AgustaWestland, filiale de Finmeccanica, a pu en toute quiétude vendre au géant pétrolier russe Rosneft 160 hélicoptères AW189 malgré le contexte de sanctions occidentales entre Moscou et les pays occidentaux. Une annonce révélée... le 31 décembre. Des appareils pourtant équipés de moteurs General Electric et d'une avionique Honeywell.