Armement : les filouteries de l'Allemagne dans les coopérations avec la France (3/3)

Par Michel Cabirol  |   |  1054  mots
Derrière l'entente cordiale entre la France et l'Allemagne, que d'arrière-pensées? (Crédits : FRANCOIS LENOIR)
Ces dernières années, l'Allemagne n'a pas toujours été très "fair" avec la France. En 2018, Berlin a fait faux bond à Paris dans un programme de missile tandis qu'en 2017 elle a déchiré un accord bilatéral pour fabriquer des satellites d'observation optique.

Entre la France et l'Allemagne, la méfiance des industriels, des administrations et des politiques grandit de plus en plus dans le domaine des coopérations de défense. Berlin n'a pas toujours été "fair" ces dernières années avec Paris et a souvent dicté sa loi. Mais, au final, les deux pays sont condamnés à s'entendre pour continuer à exister dans le domaine de l'armement au niveau mondial. Peut-être faut-il envisager une thérapie de couple pour Berlin et Paris ?

Camouflet allemand à la coopération avec la France

"La France et l'Allemagne conviennent de mettre en place un cadre de coopération pour le prochain standard de l'hélicoptère Tigre, ainsi que pour un programme commun de missiles tactiques air-sol", ont convenu les deux pays le 13 juillet 2017 lors du sommet franco-allemand. Mais l'Allemagne a finalement claqué la porte à la France sur la coopération portant sur le missile air-sol terrestre futur (MAST-F) destiné à armer l'hélicoptère de combat Tigre (Standard 3). Un missile qui sera développé par le missilier européen MBDA. Les Allemands préfèrent s'orienter vers le missile israélien Spike. Selon le PDG de MBDA Antoine Bouvier, cité dans le rapport du député LREM Jean-Charles Larsonneur, sur l'Equipement des forces et de la dissuasion, le nouveau Spike LR2 n'est qu'au début de son développement et comporte donc des risques technologiques. "D'ailleurs, le Spike en question n'est pas le même que celui intégré sur le Tigre espagnol", a écrit le député du Finistère.

Le choix des Allemands pour une société commune entre l'industriel israélien Rafael, fabricant du Spike, et Rheinmettall, "dont le rôle dans ce programme ne paraît d'ailleurs pas être dominant ‒ ne s'explique donc pas principalement par des considérations techniques", a-t-il expliqué. Ainsi, alors même que les besoins opérationnels sont identiques, et que le MAST-F était le seul lancement de développement possible en 2019 dans la coopération franco-allemande, les Allemands ont préféré écarter l'option d'une telle coopération.

Berlin déchire le "Yalta" de l'observation spatiale

Novembre 2017, l'Allemagne déchire symboliquement les accords de Schwerin signés avec la France en 2002. Pourquoi ? Berlin a passé une commande de 400 millions d'euros au constructeur de satellites allemand OHB System pour la réalisation de deux satellites d'observation optique. "Pour l'administration française, c'est un coup de canif aux accords de Schwerin dans la défense", explique-t-on à l'époque à La Tribune. Ces accords ont instauré entre Paris et Berlin un échange d'images optiques Helios et radars SAR-Lupe. Un "Yalta de l'observation spatiale" en quelque sorte, l'optique pour la France et le radar pour l'Allemagne. Même si elle s'en défend, Berlin a bel et bien rompu ces accords. L'Allemagne justifie cette décision en expliquant que ces deux satellites seront utilisés par les services secrets allemands (BND) placés sous l'autorité de la chancellerie et non du ministère de la Défense allemand lié par les accords de Schwerin. Mais la ficelle est grosse...

Main basse de l'Allemagne sur Galileo

Pour l'Allemagne, Galileo est un enjeu industriel majeur. Pourtant, cela n'a pas toujours été le cas. Avec la complicité de l'Agence spatiale européenne (ESA), l'industrie allemande a raflé fin 2016 (Spaceopal) puis mi-2017 (OHB) deux contrats importants aux dépens d'offres françaises notamment. OHB-System va fournir les 30 premiers satellites de Galileo en configuration opérationnelle (FOC, Full operational capability). L'Allemagne spatiale a donc consolidé ses positions dans Galileo, un programme qui doit pourtant beaucoup à la France au moment de sa création. Ce qui est la traduction concrète du livre blanc allemand de 2011, qui résumait ainsi les ambitions de Berlin : "l'Allemagne occupe le deuxième rang européen en matière de spatial ; se satisfaire du deuxième rang ne suffit pas, il faut considérer ce classement comme une source de motivation".

L'exportation, un levier pour Berlin pour contrarier Paris?

En dépit de l'accord Debré-Schmidt, signé les 7 décembre 1971 et 7 février 1972 par les ministres de la Défense d'alors, Helmut Schmidt et Michel Debré, l'Allemagne bloque de temps en temps la livraison de matériels fabriqués dans le cadre d'un programme en coopération et vendus par la France. Que dit cet accord ? L'article 2 stipule qu'"aucun des deux gouvernements n'empêchera l'autre gouvernement d'exporter ou de laisser exporter dans des pays tiers des matériels d'armement issus de développement ou de production menés en coopération".

En 2014, par exemple, l'Allemagne, qui a une politique de plus en plus restrictive en matière d'exportation que la France, a bloqué un certain temps un contrat de MBDA en cours d'exécution (des missiles antichars Milan ER vers un pays du Golfe) et la finalisation d'une commande de Renault Trucks Defense, devenu Arquus, avec un pays du Proche Orient pour une commande de VAB Mark3En 2012, Berlin avait déjà refusé, à Mercedes le droit de vendre des châssis à Nexter et à Lohr, qui avaient signé des contrats avec la Garde nationale saoudienne : 264 Aravis fabriqués par Nexter, auxquels s'ajoutent 15 ambulances et 68 véhicules MPCV à roues de défense antiaérienne de Lohr. Fin 2014, Berlin avait également bloqué la livraison d'hélicoptères fabriqués par Airbus Helicopters à l'Ouzbékistan (10 Fennec et 6 Cougar).

Le "trucage" des commandes de l'A400M

Certains en France appellent cela un "trucage". De quoi parle-t-on exactement ? Des commandes lors de la signature d'un contrat en coopération. Par exemple, pour l'A400M, l'Allemagne a commandé 73 appareils lors de la signature du contrat en 2001, sachant que la répartition de la charge de travail entre les nations doit se faire en tenant compte du nombre de commandes effectuées. Dans ce cadre, elle obtient le fuselage principal (Brême) et les équipements militaires (Ulm). Fidèle à son habitude, Berlin a surestimé son besoin capacitaire comme elle l'avait déjà fait pour le Transall (de 110 à 60). En 2003, elle réduit sa commande à 60 A400M, puis à 53 en 2011. Le parlement allemand a toutefois décidé de ne conserver que 40 appareils, treize exemplaires devant être revendus à l'exportation. C'est la double peine pour les autres pays membres. Non seulement ils ont perdu de la charge de travail, mais en plus ils vont perdre les redevances liées à l'exportation des A400M vendus par Berlin...