Comment Bucarest s'emploie à couler Naval Group en Roumanie

Par Michel Cabirol  |   |  801  mots
Le secrétaire d'Etat en charge de l'Armement Andrei Ignat, chargé de la procédure de l'appel d'offres pour l’acquisition de quatre corvettes, a suspendu la procédure en invoquant notamment des soupçons d'illégalités raisonnables. (Crédits : Naval Group)
C'est un peu la chronique d'une trahison de la Roumanie annoncée. Un air de déjà vu en Pologne. Bucarest a suspendu l'appel d'offres qui avait été pourtant gagné par Naval Group.

Et ce qui devait arriver, arriva. La Roumanie ne voulait pas que Naval Group gagne un appel d'offres pour la fabrication de quatre corvettes que le groupe naval français avait pourtant gagné. Car ce dernier a présenté la meilleure offre financière pour la fabrication de quatre Gowind fabriquées en Roumanie : 1,2 milliard d'euros, contre 1,25 milliard au néerlandais Damen et 1,34 milliard à l'italien Fincantieri, l'allié de Naval Group. Ce qui a beaucoup embarrassé Bucarest, notamment l'homme fort et trouble de la Roumanie, le président social-démocrate de la Chambre des députés Liviu Dragnea, qui a cherché tous les moyens pour disqualifier le groupe français ou casser l'appel d'offres. Damen est le favori des Roumains.

Après la Pologne et l'affaire des hélicoptères d'Airbus, la Roumanie, qui avait pourtant assuré que le résultat serait publié le 12 janvier, franchit à son tour une ligne jaune sur le plan diplomatique avec la France. Qui plus est au moment où la Roumanie a pris pour six mois la présidence de l'Union européenne (UE).

Des soupçons raisonnables d'illégalités

Comme par hasard, Bucarest a donc suspendu vendredi l'appel d'offres. C'est donc la chronique d'une trahison de la Roumanie qui s'annonce... La suspension de l'appel d'offres est le premier pas de cette volonté roumaine d'écarter Naval Group. C'est le secrétaire d'Etat en charge de l'Armement Andrei Ignat, chargé de la procédure de l'appel d'offres, qui a suspendu la procédure en invoquant notamment des soupçons d'illégalités. Il a présenté un rapport au ministère de la Défense et a informé que le département de l'Armement avait saisi le bureau du procureur militaire en raison des "soupçons raisonnables liés à de possibles illégalités perpétrées pendant la procédure d'attribution qui auraient pu compromettre les intérêts de sécurité nationale", explique-t-on à La Tribune.

Selon le ministère, le chantier naval SNC basé à Constanta (est), le partenaire de Naval Group, a, de son côté, demandé "l'annulation" de la décision du gouvernement en vertu de laquelle cet appel d'offres avait été lancé début 2018. La procédure de passation a donc été suspendue jusqu'à la clarification de ces deux procédures.

Que va faire la France?

En visite à Bucarest jeudi, la ministre aux Affaires européennes, Nathalie Loiseau, avait souligné "l'intérêt de la France pour la finalisation de l'appel d'offres dans le domaine de la défense navale", a indiqué le gouvernement roumain dans un communiqué.  Elle avait également rappelé les projets que la France promeut dans les domaines de la défense antiaérienne, de la construction des hélicoptères et du nucléaire civil. A Paris, cette situation et ces comportements exaspèrent au plus haut niveau. La France semble déterminée à faire valoir le droit et semble prête à engager des actions judiciaires qui s'imposeraient. On rappelle d'ailleurs que la responsabilité pénale des responsables politiques est engagée sur cette affaire. Enfin, le signal envoyé par la Roumanie serait désastreux au tout début de la présidence roumaine de l'UE.

Lors de la visite du président roumain à Paris le 27 novembre, Klaus Iohannis, les deux pays, dans un contexte d'instabilité croissante de notre environnement stratégique, avaient expliqué que "le renforcement de la coopération dans le domaine de la défense continuera de représenter une priorité, sur la base des engagements assumés par les deux pays dans le cadre de l'UE et de l'OTAN et en soutien des objectifs du partenariat stratégique UE-OTAN".  En outre, le président de la République, Emmanuel Macron, est allé en Roumanie les 24 et 25 août 2017.

Lutte contre la corruption

Le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker a déclaré vendredi que la Roumanie, qui a pris pour six mois la présidence de l'UE, ne devait accepter aucun compromis dans la lutte contre la corruption car cela marquerait un recul de l'Etat de droit. Le président du Parti social démocrate (PSD) au pouvoir, Liviu Dragnea, condamné en juin dernier à trois ans et demi de prison pour abus de pouvoir mais qui a fait appel, plaide auprès du président Klaus Iohannis en faveur d'une réforme judiciaire qui prévoit notamment une amnistie dans certains cas de corruption. En 2017, le PSD a proposé d'amender la législation anti-corruption en dépénalisant un certain nombre de délits, notamment ceux qui concernent certains abus de pouvoir.

"S'il y a une amnistie, comme certains l'envisagent dans ce pays, ce serait un retour en arrière pour l'Etat de droit", a souligné Jean-Claude Juncker lors d'une conférence de presse avec le président Iohannis à Bucarest.