Comment Emmanuel Chiva prépare la DGA à relever le défi de l'économie de guerre

À L'AFFICHE- Ni révolution, ni solution miracle. Avec des mesures de bon sens, Emmanuel Chiva souhaite transformer la Direction générale de l'armement (DGA) en une organisation plus agile, plus réactive et plus efficace de façon à ce qu'elle soit prête à tourner à plein régime en cas de conflit. Sous étroite surveillance, l'industrie de défense est également priée de marcher droit et de baisser ses prix.
Michel Cabirol
L'objectif est de faire évoluer la DGA d'un modèle pensé pour fonctionner en temps de paix à un modèle, qui doit remettre en tension les hommes et l'organisation pour faire face à un spectre de conflits plus ou moins durs.
L'objectif est de faire évoluer la DGA d'un modèle pensé pour fonctionner en temps de paix à un modèle, qui doit remettre en tension les hommes et l'organisation pour faire face à un spectre de conflits plus ou moins durs. (Crédits : DR)

Emmanuel Chiva, l'homme qui venait d'ailleurs (normalien), va-t-il gagner son pari de s'imposer naturellement à la tête de la Direction générale de l'armement (DGA), qui le regardait jusqu'ici comme un OVNI ? Il a présenté sa feuille de route à la demande du chef de l'État et des armées Emmanuel Macron pour transformer la DGA pour qu'elle devienne plus réactive pour gérer d'éventuelles crises et conflits à venir d'une nature plus intense et plus dure. Un scénario redevenu crédible au regard d'un contexte géopolitique aujourd'hui extrêmement incertain. « Il ne s'agit pas seulement de s'adapter à l'environnement d'aujourd'hui mais bien de développer une capacité permanente d'adaptation », a estimé mercredi le Délégué général pour l'armement lors de la présentation de ses vœux.

« Le niveau de l'effort demandé à la Nation nous oblige. Il nous oblige à la transformation globale, dans la durée. Le président de la République le mentionnait vendredi en parlant d'une « économie de guerre qui n'est pas une urgence permanente ». Il s'agit d'une transformation durable de notre modèle. Elle concerne la DGA mais aussi notre industrie, à qui il est donné avec cette LPM (loi de programmation militaire, ndlr) une visibilité unique depuis 10 ans, sur les budgets et les programmes », a-t-il indiqué.

Que veut exactement le président de la République ? Lors de son discours de Mont-de-Marsan, Emmanuel Macron a souhaité que la DGA et les armées s'organisent pour « raccourcir les cycles d'acquisition, accélérer l'expression du besoin, réduire drastiquement les contraintes normatives, développer l'innovation d'usage, celle des vrais utilisateurs » (...), « comme nos amis ukrainiens d'ailleurs nous donnent un si bel exemple. Nous pouvons faire beaucoup plus vite, beaucoup mieux, parfois à moindre coût, si nous savons ensemble rapprocher celles et ceux qui utilisent et qui innovent ». A la différence que l'Ukraine est dans l'urgence absolue, la France ne l'est pas. Mais il est vrai qu'il était temps de réfléchir à la simplification de la gestion des programmes d'armements soumis à beaucoup trop de contraintes (normes, spécification, rapidité d'acquisition...)

Transformer sans casser

Emmanuel Chiva n'a pas sorti de sa manche ni de solution miracle ni de révolution pour transformer la DGA, cet outil très précieux pour la France, qui a fait ses preuves et dont l'expertise technique et de gestion de grands programmes complexes est enviée à l'étranger. « Transformer sans casser ce qui fonctionne », a d'ailleurs rassuré mercredi le Délégué général pour l'armement lors de la présentation de ses vœux. Une cérémonie qui avait débuté par un hommage à l'ingénieur général de l'armement René Audran, mort assassiné par Action Directe le 25 janvier 1985 en raison de sa fonction de directeur du développement international (exportations d'armes).

Pour autant, il était indispensable voire essentiel d'adapter la DGA et donc son organisation (plus de 10.000 personnels civils et militaires) pour qu'elle soit à la fois plus réactive et agile pour affronter ce nouveau monde, où les conflits se multiplient (Ukraine, Haut-Karabagh...) et où bonds technologiques (IA, quantique, armes à effets dirigés...) sont extrêmement rapides. Les adaptations souhaitées par le Délégué général pour l'armement semblent être frappées au coin du bon sens. On jugera naturellement cette adaptation de la DGA à ses résultats. Car ce sont avant tout les hommes qui font gagner une équipe, et pas forcément une nouvelle organisation, qui peut aider à atteindre des objectifs à la seule condition de l'adhésion des ressources humaines. Et comme toute organisation, la DGA a naturellement des marges de manœuvre pour être « plus simple et efficiente ».

Un resserrement des responsabilités

Très clairement, l'objectif est de faire évoluer la DGA d'un modèle pensé pour fonctionner en temps de paix à un modèle, qui doit remettre en tension les hommes et l'organisation pour faire face à un spectre de conflits plus ou moins durs. Pour autant, la France n'est pas en guerre, et donc l'industrie française est loin, très loin d'être dans une organisation de type économie de guerre. D'ailleurs, les grands groupes de défense n'ont reçu l'année dernière aucune nouvelle commande supplémentaire autre que celles prévues par la LPM 2019-2025 - ou vraiment à la marge (quelques missiles Mistral) - pour recompléter les stocks de munitions pourtant au plus bas dans les trois armées. La future LPM devra donc mettre en musique l'ambition de retrouver des stocks à la hauteur des enjeux opérationnels (entraînements et opérations) des armées françaises.

Mais gouverner, c'est aussi anticiper. « Il s'agit de nous projeter, de façon proactive, vers l'avenir. La DGA a un rôle clé à jouer dans ce projet », a estimé le DGA. Ce n'est pas faux. Elle doit donc à la fois poursuivre l'existant (environ 300 milliards d'euros de programmes lancés) et anticiper les besoins nouveaux en les adaptant impérativement aux nouvelles technologies disruptives comme le quantique, la mère de toutes les batailles technologiques. Elle devra en outre s'ouvrir - ce qu'elle fait déjà - « vers ses partenaires étatiques et industriels ». Dans ce cadre, la direction des opérations devient la direction des opérations, du MCO (Maintien en condition opérationnelle) et du numérique.

Au sein de cette direction, le DGA veut créer une force d'acquisition rapide. « Elle participera à poursuivre l'objectif fixé par le chef de l'État de réduire la durée des cycles d'acquisition, et de procéder rapidement à des achats sur étagère quand cela est pertinent », a-t-il expliqué. Cette évolution, qui existe déjà possible dans le cadre des achats en urgence opérationnelle, notamment pour les forces spéciales, ne sera possible « qu'avec l'acceptation d'un certain niveau de risque ». C'est le cas déjà des programmes Colibri et Larinae (munitions téléopérées ou rôdeuses) lancés par l'Agence de l'innovation de défense (AID) qu'Emmanuel Chiva a dirigé avant de prendre la tête de la DGA. « Avec les forces nous travaillerons pour mieux porter ensemble ce risque, partagé entre autorité technique et autorité d'emploi. A cette fin, entre autres, la direction technique devient la Direction de l'ingénierie et de l'expertise pour fédérer l'ensemble de nos expertises », a-t-il précisé.

Anticiper

Au-delà de sa principale mission de fournir les armées, la DGA dirigée par Emmanuel Chiva doit exécuter quatre autres missions jugées prioritaires. Elle doit fournir une capacité d'anticipation stratégique technologique et industrielle à la France. « Il revient à la DGA d'éclairer le ministère des Armées, par le prisme technologique et scientifique, sur les ruptures éventuelles et les moyens d'y répondre », a expliqué le patron de la DGA. Y compris dans le domaine de l'influence, qui illustre le concept d'hybridité des conflits. Elle doit notamment parvenir à « un cycle innovations-expérimentations-passage à l'échelle rapide, capable de suivre l'accélération du rythme des évolutions
technologiques
»
. La DGA s'appuiera sur le Centre d'analyse technico-opérationnel de défense (CATOD) pour développer ses activités et en faire un centre référent en matière de simulation et de wargaming.

Troisième mission, la DGA doit promouvoir une approche « pragmatique de la coopération » et soutenir les exportations. Cinq ans après, le bilan de la coopération franco-allemande est décevant avec des programmes abandonnés par les Allemands (modernisation du Tigre, développement d'un nouveau missile, avion de patrouille maritime) et des programmes qui patinent (SCAF et MGCS). Sans parler des accords déchirés par les Allemands dans le spatial (Accord de Schwering). Il est temps pour la France de trouver d'autres partenaires comme par exemple les pays cités par le président lors des voeux aux armées : l'Inde, les Émirats arabes unis ainsi que la Grèce, l'Italie et l'Espagne avec qui la coopération s'est très mal finie dans le domaine des sous-marins (Naval Group/Navantia). Enfin, l'accord d'Etat à Etat entre la Belgique et la France dans le cadre du contrat CAMO a montré « tout son intérêt et doit être une inspiration pour d'autres opportunités partenariales ». Ce type d'accord n'a jamais été réutilisé.

Une BITD sous surveillance

Emmanuel Chiva connaît très bien la BITD. Il en vient (Agueris) après avoir créé de nombreuses startup. Il ne va pas la lâcher mais le combat sera dur pour faire bouger cette industrie de défense puissante et façonnée par des années de pénurie et de politiques d'échantillonnages. « Outre son rôle d'accompagnement et de soutien, la DGA peut avoir une mission de surveillance de notre BITD. De même que les banques réalisent des stress tests, nous allons aussi procéder à des tests de montée en cadence, afin de vérifier que l'ensemble de la chaîne de production est capable de répondre aux accélérations qui pourraient être nécessaires », avait-il déjà expliqué fin novembre à l'Assemblée nationale.

Mercredi, la BITD a appris comment la DGA souhaitait lui serrer la vis. Emmanuel Chiva veut de la nouvelle direction de l'Industrie de défense qui réunit le Service de l'intelligence économique et des affaires industrielles et le service de la qualités, « une analyse approfondie » des coûts de structure de la BITD « afin d'identifier des pistes de réduction pérenne des coûts d'acquisition et de soutien ». Cela promet une belle empoignade. Car les prix unitaires des matériels devront « refléter l'augmentation des quantités commandées », permise par les crédits consacrés à la nouvelle LPM. Pour l'heure, les industriels attendent encore les commandes supplémentaires. Cette nouvelle direction assurera l'orientation stratégique de la BITD, dont le maintien et le développement des filières existantes, et en devenir.

Par ailleurs, les efforts financiers du ministère en faveur du MCO ne produisent pas suffisamment de résultats sur la disponibilité des matériels, estime le ministère des Armées. Florence Parly l'avait elle aussi constaté tout comme ses prédécesseurs. Mais elle avait pris ce problème à bras-le-corps en lançant une réforme importante qui commence à porter ses premiers fruits. Sébastien Lecornu souhaite poursuivre cet effort en serrant un peu plus la vis aux industriels, qui en profitent pour gonfler leurs marges grâce au MCO. « Cela se fait en cohérence avec le mandat que m'a confié hier (mardi) le ministre des Armées pour, conjointement, avec l'EMA (État-major des armées) et les services de soutien, engager des négociations avec les industriels dans le champ du MCO pour permettre d'en améliorer l'efficience et la maîtrise du coût global », a expliqué Emmanuel Chiva. Rien de bien nouveau...

Dissuasion et cyber

Dernière mission assignée à la DGA : maintenir la dissuasion nucléaire à un niveau robuste et développer la capacité cyber du ministère des armées au profit de la France. Dans cet esprit, Emmanuel Chiva crée un poste d'adjoint Dissuasion qui lui sera directement rattaché. Au sein de la direction des opérations, du MCO et du numérique, une unité d'opérations Dissuasion est créée, qui réunit toutes les activités liées à la dissuasion. Dans le domaine cyber, la DGA, qui constitue, avec l'ANSSI, l'un des plus importants pôles de compétences techniques au sein de l'Etat, devra contribuer à développer la filière cyber française.

Michel Cabirol

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Commentaires 11
à écrit le 28/01/2023 à 21:34
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Economie de guerre ? arrêtons de nous gargariser avec ça. On a déjà un Etat Français surendetté pour nous faire vivre au-dessus de nos moyens depuis bien longtemps (1981 ?).

à écrit le 28/01/2023 à 19:15
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Déjà développer le MAMBA avec ce que ça a dû couter pour en produire 8+4 , il a du boulot.

à écrit le 28/01/2023 à 17:18
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qui a sabré l armée ? les différents présidents qui ont jugés qu il n y avait plus besoin d armée résultat on a ponctionner l argent ai titre des finances conclusion on est des pitres au niveau matériel .bon a des sous marins mais a part ça on est e...

à écrit le 28/01/2023 à 16:49
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A le regarder il ne me semble pas être à "l'économie" ce gars. Il a l'air de bien manger.

le 28/01/2023 à 19:50
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Quand l'appétit va tout va !!!!

le 30/01/2023 à 8:17
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C'est au moins un pote de repas de Larcher.

à écrit le 28/01/2023 à 12:39
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tant que les ponctionnaires sont aux commandes on est totalement sûr de leur incompétence. L'armée , la vraie n'existe plus depuis longtemps : aujourd'hui, nous n'avons donc plus qu'une armée de rentiers qui ne regarde que ses budgets. Je n'ai aucu...

le 28/01/2023 à 16:27
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"n'existe plus ... " a-t-elle jamais existé à part dans les rêves de quelques-uns ? Pour rappel lors de la première et deuxième guerre mondial les armées alliées ont contribué en grande partie à la victoire finale !!! Plus près de nous le dernie...

à écrit le 28/01/2023 à 9:52
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C'est pas en "dissolvant" le Patriotisme de nos concitoyens et leur préparation que l'armement sera bien utiliser ! Vous refaite une "ligne Maginot" ! ;-)

à écrit le 28/01/2023 à 9:46
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Bonjours , ils faut bien voir que le situation en europe n'est pas simple , car chaque jours nous nous rapprochons d'un risques de confrontations directe avec la russie... Donc ils faut faire évolution les industries de la défense.. Produire plus v...

le 28/01/2023 à 11:16
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Il vaut mieux un plan complet par rapport à des hypothèses sérieuses que des chiffres donnés au doigt mouillé…….

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