Comment la Roumanie veut faire perdre à tout prix Naval Group au profit de Damen

Par Michel Cabirol  |   |  799  mots
La corvette Gowind de Naval Group va-t-elle accoster en Roumanie?
Pour des raisons obscures, la Roumanie tente désespérément de faire gagner le néerlandais Damen aux dépens de Naval Group... qui a gagné l'appel d'offre. Paris est prêt à monter au créneau pour défendre l'offre du groupe naval.

Naval Group pourrait très certainement perdre un appel d'offres portant sur la vente de quatre corvettes Gowind qu'il a pourtant gagné en Roumanie, selon des sources concordantes. Comment est-ce possible ? Le gouvernement roumain, qui devrait annoncer la sélection d'un fournisseur le 12 janvier prochain, roule depuis longtemps pour Damen, associé au chantier roumain Galati, dont 49% du capital est détenu par le groupe naval néerlandais, aux côtés de l'Etat roumain (51%). C'est notamment le cas d'un des hommes les plus puissants de Roumanie, le président social-démocrate de la Chambre des députés Liviu Dragnea, qui fait et défait les gouvernements.

Mais un très, très gros grain de sable a enrayé le processus tel que l'imaginait Bucarest : Naval Group, en coopération avec le chantier roumain SNC, a présenté à la mauvaise surprise des autorités roumaines début décembre lors de l'ouverture des enveloppes, l'offre la plus performante en terme de prix pour quatre corvettes Gowind fabriquées en Roumanie : 1,2 milliard d'euros, contre 1,25 milliard pour Damen et 1,34 milliard pour Fincantieri. Une vraie douche glaciale pour Bucarest, qui a déjà dû annuler en 2016 un processus d'acquisition de quatre corvettes pour des irrégularités de procédure commises en faveur de Damen.

Trouver une raison pour faire tomber Naval Group

Pour la Roumaine, le résultat de début décembre fait désordre. D'autant que des révélations de la presse roumaine sur la corruption supposée de Damen ont fleuri dans de nombreux articles ces dernières semaines. Pour le gouvernement, toute la question est de trouver une parade pour attribuer de façon légale le contrat à Damen et d'habiller cette décision par des artifices. D'où certaines manœuvres (audit, examen prolongé du dossier...) pour faire tomber Naval Group ou, au mieux, enliser le dossier et donc éviter ainsi une victoire du groupe naval français.

A Paris, cette situation et ces comportements qui ont franchi la ligne blanche, exaspèrent au plus haut niveau. D'ailleurs, il est prévu, selon nos informations, que Florence Parly appelle son nouvel homologue Gabriel Les, nommé le 20 novembre dernier à la place de Mihai Fifor, un opposant de Liviu Dragnea. Une discussion qui arrive au bon moment puisque le nouveau ministre de la Défense roumain a annoncé le 3 décembre, au cours d'une émission politique sur B1TV,  que la décision du gouvernement serait dévoilée le 12 janvier prochain. La ministre des Armées devrait rappeler à Bucarest que la France est très attachée aux règles de droit international. En Roumanie, l'ancien président Traian Băsescu (2004-2014), a accusé le 20 novembre, via son compte Facebook, Liviu Dragnea, de vouloir influer sur l'appel d'offre.

La France est-elle un partenaire pour la Roumanie?

En 2008, la France et la Roumanie ont conclu un partenariat stratégique. Partenariat qui a été réaffirmé à plusieurs reprises, et encore récemment. Lors de la visite du président roumain à Paris le 27 novembre, Klaus Iohannis, les deux pays, dans un contexte d'instabilité croissante de notre environnement stratégique, ont expliqué que "le renforcement de la coopération dans le domaine de la défense continuera de représenter une priorité, sur la base des engagements assumés par les deux pays dans le cadre de l'UE et de l'OTAN et en soutien des objectifs du partenariat stratégique UE-OTAN".  En outre, le président de la République, Emmanuel Macron, est allé en Roumanie les 24 et 25 août 2017.

L'affaire des corvettes rappelle également un autre dossier compliqué, qui s'est éclairci ces dernières semaines : Airbus Helicopters. Bucarest a baladé depuis deux ans le constructeur de Marignane tout en draguant ouvertement en parallèle, l'américain Bell, alors que la Roumanie a noué une coopération de près de 50 ans avec Airbus Helicopters, Les Roumains s'étaient d'ailleurs rendus en mars aux Etats-Unis, qui ont deux bases militaires en Roumanie. Plus précisément, ils étaient allés au siège social de Bell à Fort Worth, au Texas, puis à l'usine du constructeur américain à Amarillo, et, enfin, au camp Pendleton pour discuter avec les Marines du Viper. Selon nos informations, les Roumains auraient fait machine arrière.

Car les données du dossier sont claires : soit Bucarest achète des hélicoptères au constructeur franco-allemand pour faire tourner la chaîne d'assemblage de l'hélicoptère de transport H215 à Ghrimbav inaugurée en août 2016 en présence de François Hollande, soit cette dernière est fermée et transférée dans un autre pays. Avec cette chaîne d'assemblage, la Roumanie pourrait entrer dans le cercle restreint des pays qui maîtrisent la fabrication d'un hélicoptère (France, Etats-Unis, Russie, Chine, Italie, Inde, Grande-Bretagne)...