Fracture numérique : l'accord inespéré entre Eutelsat, Orange et Thales

Par Michel Cabirol et Pierre Manière  |   |  1050  mots
Eutelsat va commander le satellite Konnect VHTS (Very High Throughput Satellite) à Thales Alenia Space (TAS), et scelle des accords de distribution avec Orange et Thales.
Eutelsat, Orange et Thales ont signé un accord en vue de connecter par satellite les Français qui vivent dans des zones isolées et difficiles d'accès.

Inespéré, inattendu, miraculeux... Il aura fallu un simple coup de fil de l'Elysée pour faire plier Orange. Car jusqu'ici l'opérateur de télécoms ne voulait pas entendre parler d'une solution satellitaire destinée à réduire la fracture numérique dans les zones isolées et difficiles d'accès en France. C'est pourtant ce qu'a signé jeudi soir Orange avec Eutelsat après des mois de bras de fer entre les deux sociétés. Au final, l'opérateur européen commande le satellite Konnect VHTS (Very High Throughput Satellite) à Thales Alenia Space (TAS) et scelle des accords de distribution avec Orange et Thales.

Cet accord "confirme le rôle incontournable du satellite dans l'essor des services très haut débit a indiqué, le directeur général d'Eutelsat, Rodolphe Belmer. Complément indispensable des réseaux de télécommunications terrestres, le très haut débit par satellite représente, pour Eutelsat, un vecteur de croissance crucial à compter de 2020".

"La mise en orbite de ce satellite permettra de proposer en 2021 une offre d'internet fixe très haut débit pour les habitations les plus isolées de notre territoire", a confirmé la secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Économie et des Finances, Delphine Gény-Stephann. Ainsi, l'Etat va accompagner les Français qui ne disposent d'aucune solution de très haut débit filaire via la création, dès 2019, d'un guichet "cohésion numérique" doté de 100 millions d'euros et destiné notamment à financer les équipements nécessaires à la réception du très haut débit par satellite (paraboles et technologies hertziennes). Ce projet va contribuer à l'atteinte des objectifs définis par Emmanuel Macron : l'accès au très haut débit fixe pour tous les Français en 2022.

Des accords pluriannuels de distribution

"Le projet s'appuiera sur des engagements pluriannuels fermes de distribution, souscrits par deux acteurs majeurs en Europe, Orange et Thales, leaders dans leur domaine d'activité", a expliqué le communiqué commun aux trois sociétés. Un accord commercial a été conclu entre Eutelsat et Orange d'une part, visant le marché du très haut débit fixe dans les pays européens dans lesquels l'opérateur de satellites est présent sur le marché grand public. D'autre part, un partenariat a été signé avec Thales, portant notamment sur la distribution de services de connectivité aux gouvernements.

"Le satellite fait partie de la palette des technologies disponibles pour construire la société numérique inclusive de demain, notamment pour apporter la connectivité dans des zones rurales où il est parfois complexe d'amener les réseaux très haut débit classiques, a expliqué Stéphane Richard. Grâce à cet accord, nous allons renforcer nos offres d'accès à l'Internet très haut débit par satellite pour proposer à l'ensemble de nos clients européens un accès de qualité aux usages numériques".

Cet accord se substitue à un projet conjoint entre Eutelsat et l'opérateur américain ViaSat, qui devait lancer en 2020 le satellite ViaSat 3 en couverture de l'Europe, de l'Afrique et du Moyen-Orient. Selon l'opérateur européen, l'investissement que représente Konnect VHTS est inclus dans l'enveloppe d'investissements de 420 millions d'euros par an, que s'est fixé Eutelsat.

Konnecht VHTS entrera en service en 2021

Le satellite, dont l'entrée en service est prévue en 2021, sera construit par TAS, qui développera à cette occasion une solution satellitaire et de segment sol qui est "la plus compétitive à ce jour sur le marché", a affirmé le communiqué commun des trois sociétés. D'une masse de 6,3 tonnes et doté d'une capacité de 500 Gbps en bande Ka, Konnect VHTS embarquera à son bord "le plus puissant processeur numérique jamais mis en orbite, capable d'allier flexibilité dans l'allocation de capacité, usage optimal du spectre et déploiement progressif du réseau au sol".

"Avec ce partenariat, Thales accompagne la France et l'Europe dans leur grande ambition de déploiement de la connectivité très haut débit sur leurs territoires", a souligné le PDG de Thales Patrice Caine.

In fine, cet accord entre Eutelsat et Orange vient mettre fin à de très dures négociations entre les deux acteurs. Fin février, lors de la publication des résultats annuels du groupe, Stéphane Richard, le PDG de l'opérateur historique avait laissé entendre que les pourparlers étaient au point mort:

"Je ne pense pas qu'on puisse raisonnablement penser qu'Orange, à lui tout seul, puisse constituer la solution commerciale par rapport au lancement d'un nouveau satellite, avait déclaré le patron. On n'est pas tout seul sur le marché français... De plus, vous ne lancez pas un nouveau satellite uniquement pour couvrir un marché national: il y a le reste de l'Europe."

Eutelsat a revu sa proposition à la baisse

Une position que Fabienne Dulac, la patronne d'Orange France, avait confirmé fin mars à La Tribune. Dans nos colonnes, la dirigeante a notamment argué que "le satellite ne permet pas d'avoir une expérience client aussi bonne qu'avec les autres technologies (comme la 4G à usage fixe, la fibre ou la future 5G, Ndlr)". A partir de 2022, "le champ laissé au satellite sera faible, c'est ce que nous expliquons", avait-elle renchéri.

Mais depuis, Eutelsat a revu sa proposition à Orange à la baisse. Selon une source proche du dossier, Orange s'est finalement engagé sur un achat de capacité (différent de l'achat à la ligne auquel il est habitué avec sa filiale de télécoms par satellite Nordnet) à hauteur de 150 millions d'euros pour une période de 7 ans. Soit un montant bien moins important que celui demandé initialement par Eutelsat, qui s'élevait, selon nos informations, à 1,2 milliard d'euros. Point important: Orange aura ainsi la possibilité de revendre de la capacité satellitaire dans les pays européens où il est présent. Sachant qu'outre la France, l'opérateur est présent en Espagne, en Belgique, en Roumanie et au Luxembourg.

Dans le jeu des négociations, Stéphane Richard a, selon nos informations, également pu tirer davantage la couverture vers lui à partir du 20 février, lorsque le conseil d'administration d'Orange a donné son feu vert à son renouvellement à la tête de l'opérateur. "La pression a été divisée par quatre", nous dit-on, sachant que pour rappel, l'Etat est le premier actionnaire d'Orange à hauteur de 23%.