"Orange recrute des clients chez SFR, mais pas seulement"

Pour Fabienne Dulac, la patronne d'Orange France, qui vient d'être nommée directrice générale adjointe du groupe, l'importante conquête d'abonnés de l'opérateur, l'an dernier, est la conséquence des investissements dans le très haut débit et la qualité de service. Et pas que des difficultés de SFR...
Pierre Manière
Depuis près de trois ans, Fabienne Dulac dirige Orange France, qui compte environ 70.000 salariés.
Depuis près de trois ans, Fabienne Dulac dirige Orange France, qui compte environ 70.000 salariés. (Crédits : Sipa)

LA TRIBUNE - En France, où le marché reste très concurrentiel, votre chiffre d'affaires a progressé l'an dernier (de 0,6%, à 18 milliards d'euros) pour la première fois depuis 2009. Comment l'expliquez-vous ?

FABIENNE DULAC - Ce qui m'importe, c'est que cette croissance repose sur des bases très solides. Cela fait des années que l'on défend une stratégie liée à la qualité de nos réseaux, tout en mettant les bouchées doubles sur le déploiement du très haut débit, qu'il s'agisse de la fibre ou de la 4G. Dans la fibre, on sent une accélération : nous avons gagné 556.000 nouveaux clients en 2017, pour un parc total de 2 millions d'abonnés. Et dans le mobile, nous avons acquis 720.000 clients, ce qui ne nous était pas arrivé depuis 2008. La convergence fixe-mobile [via des offres "quadruple play" mêlant Internet, télévision et téléphonie mobile, ndlr] constitue également un important levier de croissance, car elle nous permet de solidifier nos bases d'abonnés. Aujourd'hui, quand on acquiert un client convergent sur nos offres "quadruple play" Open, celui-ci est dans 85% des cas un nouvel abonné Internet fixe ou mobile. En outre, un client convergent est généralement plus fidèle : il est moins enclin à changer d'opérateur qu'un simple abonné Internet fixe ou mobile. Enfin, nous récoltons les fruits de nos investissements dans la relation client. Nous ne l'avons pas abandonnée ces dernières années, malgré la guerre des prix.

Pensez-vous, toutefois, que vous auriez gagné autant de clients si SFR, en difficulté, n'en avait pas perdu plus de 2,5 millions en trois ans ?

Oui. Pour preuve, nous recrutons des clients chez tous nos concurrents, et pas uniquement chez SFR. Il est vrai que la faiblesse de SFR a soutenu la croissance de tous les autres opérateurs, Orange compris. Mais c'est d'abord notre stratégie qui explique notre conquête d'abonnés.

Lire aussi : Altice : les limites d'une machine à "deals"

Les difficultés de SFR ont relancé, une énième fois, les interrogations sur la viabilité d'un marché français à quatre opérateurs. Pensez-vous qu'une consolidation est nécessaire?

Je constate qu'un marché à quatre ne permet pas à tous les acteurs d'être en bonne santé. Maintenant, a-t-on besoin d'une consolidation ? Orange n'en a pas besoin, mais la question peut se poser. Et ce, compte tenu du fait que SFR connaisse quelques difficultés, mais également des énormes efforts d'investissements qui sont demandés aux opérateurs.

Des discussions, même informelles, concernant une éventuelle consolidation ont-elles repris ?

Il n'y a pas de négociation en cours. Je pense qu'aucun des acteurs n'a aujourd'hui le souhait ou l'envie de discuter de consolidation.

En France, la guerre des prix n'est pas terminée. En témoignent les nombreuses promotions qui surviennent régulièrement. Sur ce front, Orange semble moins réactif aux dégriffes de ses concurrents. Estimez-vous en avoir moins besoin ?

On a toujours eu cette politique-là. Depuis deux ans, nous avons choisi de faire des promotions avec Sosh [la marque low cost d'Orange] ou sur nos offres de fibre. Mais nous ne les lançons que de manière modérée. Pourquoi ? Parce que notre parc de clients est moins sensible aux promotions grâce, encore une fois, à la convergence et à la qualité de nos offres. J'ai le sentiment que, généralement, les Français courent moins les promotions. Lorsque vous voyez le niveau des rabais pratiqués par certains de nos compétiteurs l'an dernier, je suis presque étonnée qu'ils n'aient pas gagné plus de clients... Si le prix reste important au moment de souscrire à un abonnement, la qualité de la connexion devient de plus en plus importante. C'est ce que nous constatons chez nos clients. Être connecté, aujourd'hui, est devenu quelque chose d'essentiel. Vous ne supportez plus de ne pas avoir de réseau, d'être coupé, de ne pas pouvoir voir votre match de football le samedi ou le dimanche soir.

Dans l'Internet fixe, l'Arcep, le régulateur des télécoms, doute de votre capacité à tenir vos engagements à couvrir l'Hexagone en très haut débit ces prochaines années...

Nous tiendrons tous les engagements que nous nous sommes fixés, y compris dans les zones moyennement denses, puisque c'est de ça dont on parle (1). Comme les grandes villes et les zones très denses seront quasiment entièrement couvertes cette année, toutes nos ressources vont se concentrer sur les zones moyennement denses [censées disposer de la fibre à horizon 2020]. Nous respecterons nos objectifs. Quant aux inquiétudes de l'Arcep, le régulateur est dans son rôle. Il est normal qu'il s'interroge sur la capacité des acteurs à tenir le calendrier. De notre côté, notre outil industriel est en place : sa productivité augmente de 30% chaque année.

Vous discutez en ce moment avec Eutelsat pour fournir de l'Internet par satellite aux foyers qui vivent dans des zones difficiles d'accès. Les négociations sont dans l'impasse depuis des semaines. Où en êtes-vous ?

Il faut comprendre que pour déployer le très haut débit en France, nous avons fait des choix technologiques : le FTTH [fibre jusqu'à l'abonné], la montée en débit [l'amélioration des débits sur le réseau cuivré], la 4G à usage fixe, et la 5G qui arrivera à partir de 2022. À ce jour, nous avons, via notre filiale Nordnet, environ 40.000 abonnés à des offres satellite. Ce n'est pas énorme. Et nous n'avons pas fait le choix du satellite dans nos projections futures. Pourquoi ? D'abord, parce que le satellite ne permet pas d'avoir une expérience client aussi bonne qu'avec les autres technologies. Avec lui, vous n'avez, par exemple, pas accès à autant de programmes de télévision. Dans ce contexte, Eutelsat nous a fait une proposition pour distribuer de l'Internet par satellite entre 2022 et 2027. Mais à ce moment-là, une grande partie de la France sera équipée en fibre, en 4G fixe, et on commencera à avoir de la 5G. Ainsi, le champ laissé au satellite sera faible. C'est ce que nous expliquons. Certes, il existera encore quelques milliers de foyers qui pourraient être intéressés par le satellite parce que certaines zones seront encore inaccessibles. Nous avons donc fait une proposition à Eutelsat qui tient compte de ces besoins. C'est très rationnel.

Lire aussi : Internet par satellite: grosses fritures sur la ligne entre Orange et Eutelsat

Au début de l'année, vous avez signé un deal avec le gouvernement et les autres grands opérateurs nationaux pour en finir avec les zones blanches et accélérer le déploiement de la 4G. En êtes-vous satisfait ?

Cet accord est une bonne chose pour les consommateurs. Au-delà de la fibre, qui est très attendue, leur première attente reste le mobile. C'est l'outil de communication qui a supplanté, il ne faut pas se leurrer, le réseau à domicile. Nous devons donc accélérer le déploiement de la 4G dans les zones rurales. L'intérêt de cet accord, c'est qu'Orange et les autres opérateurs vont unir leurs forces pour doper leur couverture. Cela va nous rendre plus rapide, plus efficace, étant donné que les zones ciblées sont difficiles d'accès. L'autre volet important, c'est que les collectivités locales et les pouvoirs publics vont aussi se mobiliser pour nous permettre d'aller plus vite. Ils doivent notamment nous aider à simplifier le déploiement d'une antenne mobile. On en parle peu, mais je veux rappeler qu'en France, en moyenne, cela prend dix-huit mois, contre quatre mois en Allemagne ou en Angleterre...

Selon nos informations, le deal passé avec l'État ouvre grandement la voie à un accord de mutualisation des infrastructures entre Orange et Free dans les zones rurales. Allez-vous faire une offre à l'opérateur de Xavier Niel?

Il est trop tôt pour évoquer ce sujet. En l'état actuel des choses, je ne peux pas vous répondre. Nous n'avons aucune obligation de faire une offre de partage systématique des infrastructures à qui que ce soit. Est-ce que nous en ferons une à Free ? On leur en fera éventuellement une si Free formule des demandes en ce sens. Nous ne sommes pas opposés à faire des propositions si elles répondent à des demandes raisonnables, que ce soit à Free ou à d'autres.

Lire aussi : Mobile : vers un accord de mutualisation entre Orange et Free?

Après un long bras de fer, vous venez de trouver un terrain d'entente avec TF1 concernant la distribution de leurs chaînes en clair...

Nous sommes finalement arrivés à un accord qui est équitable pour les deux partis. L'enjeu était de valoriser des services à valeur ajoutée liés aux nouveaux modes de consommation de la télévision. Et notamment pour nos clients fibre en leur permettant d'accéder à des programmes en ultra-haute définition avec la Coupe du monde de football ou de rugby... Sur le fond, les chaînes de télévision et les opérateurs ont un intérêt commun: celui de créer et d'imaginer la télévision de demain grâce aux nouvelles technologies. C'est là-dessus qu'on doit se battre. Et certainement pas sur la rémunération d'un signal gratuit, ou de chaînes qui sont déjà rémunérées par un modèle publicitaire. Notre enjeu, c'est d'offrir des services qui vont permettre aux chaînes de télévision traditionnelles de garder leurs clients. Alors que, en face, elles sont confrontées à la concurrence d'acteurs comme Netflix, qui les cannibalisent avec des expériences de très grande qualité.

Orange est depuis longtemps confronté à des baisses d'effectifs liées au vieillissement de ses salariés. Entre 2018 et 2020, 6.000 employés, en moyenne, vont partir à la retraite chaque année, et beaucoup ne seront pas remplacés. Y a-t-il un risque, comme le redoutent certains syndicats, d'une dégradation des conditions de travail ?

Cette évolution démographique du groupe, nous l'avons déjà anticipée. En premier lieu, nous avons recruté des jeunes, à hauteur de 2.500 par an ces deux dernières années. En parallèle, nous avons lancé deux grands chantiers. Le premier, c'est l'accélération de la digitalisation de l'entreprise. C'est une nécessité, notamment pour répondre à nos clients, dont le comportement s'est lui-même largement digitalisé ces dernières années. Le second chantier, c'est l'évolution de l'organisation du travail, qui doit nous permettre d'être plus efficace. Par exemple, nous avons déployé ce que nous appelons le "mode agile" sur environ 10% de nos projets. Cela consiste à créer des équipes pluridisciplinaires, comprenant un responsable marketing, un développeur, des ingénieurs et des testeurs, qui travaillent ensemble sur des projets pendant des cycles courts de quinze jours. Cela remet en cause le management et nos processus de production, dans la mesure où l'on demande à différents métiers de travailler directement ensemble.

Reste que dans bien des entreprises, cette nouvelle manière de travailler, proche de celle des startups, crée parfois des tensions et peut dégrader les conditions de travail...

Nous n'avons pas été confrontés à cela, parce que nous avons décidé d'y aller progressivement. Au début, nous avons choisi de circonscrire ce "mode agile" à quelques projets. Nous les avons surveillés, et nous avons ensuite discuté avec les équipes pour savoir ce qui allait, ce qui n'allait pas, et mettre en place les accompagnements nécessaires. Ce changement de l'organisation du travail, nous y sommes très attentifs. J'ajoute que s'il y a bien une entreprise qui connaît les conséquences d'un changement trop brusque en la matière, c'est bien Orange (2)...

Y a-t-il beaucoup d'inégalités entre les hommes et les femmes chez Orange ?

Il y en a moins. Auparavant, à poste et responsabilité identiques, une femme était par exemple, en moyenne, rémunérée 20% de moins qu'un homme, comme malheureusement dans la majorité des entreprises. Nous avons lancé des mesures correctives. Afin de rattraper ces écarts de salaires, nous avons mis en place des enveloppes pour les femmes. Aujourd'hui, nous faisons attention à ce que, à tous les niveaux, les hommes et les femmes soient traités le plus équitablement possible vis-à-vis des augmentations, des promotions, mais aussi des formations. Il y a cinq ans, nous avons notamment créé un cursus spécifique pour amener des téléconseillères ou des techniciennes à des postes de management. Au plus haut niveau, plusieurs postes clés sont tenus par des femmes : chez Orange France, ce sont des femmes qui sont à la tête des directions du commerce et de la relation client, ainsi que du déploiement de la fibre. Outre les inégalités entre les hommes et les femmes, notre enjeu est plus globalement celui de la diversité. L'égalité en fonction des profils, des origines ethniques ou des orientations sexuelles est tout aussi importante.

(1) En octobre dernier, l'Arcep a jugé qu'Orange et SFR n'allaient pas assez vite concernant leurs déploiements de fibre optique des villes moyennes et des périphéries des grandes agglomérations. Ce qui pourrait, selon le régulateur, engendrer des retards.

(2) Entre 2008 et 2009, Orange a connu une vague de suicides après la mise en place par la direction d'un plan de réorganisation.

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Fabienne Dulac, un profil atypique dans un monde d'ingénieurs

Elle est le pacha d'Orange France. À 50 ans, Fabienne Dulac, qui vient d'être nommée directrice générale adjointe du groupe présidé par Stéphane Richard [lui-même reconduit à la tête de l'opérateur historique], dirige un paquebot de 70.000 salariés. Un vaisseau qui n'est autre que le navire amiral du géant français des télécoms. Si Orange est présent dans de nombreux pays européens (Espagne, Pologne, Belgique ou Roumanie) et en Afrique, la France demeure son principal marché. Il pèse 18 milliards d'euros, soit environ 40% du chiffre d'affaires global du groupe. Cela fait près de trois ans, maintenant, que Fabienne Dulac dirige les opérations d'Orange dans l'Hexagone. Un poste aussi difficile qu'exposé dans un marché français des télécoms ultra concurrentiel, où personne ne se fait de cadeau.

Sa nomination n'avait rien d'évident. À la différence du gros des cadres des télécoms, Fabienne Dulac, titulaire d'un DEA de sociologie politique à Sciences Po, n'est pas ingénieure. Au contraire, par exemple, de Delphine Ernotte, centralienne, qu'elle a remplacée à la tête d'Orange France. Reste que, depuis le début de sa carrière chez l'ex-France Télécom, il y a plus de vingt ans, elle s'est retrouvée aux premières loges de l'explosion d'Internet et du numérique, qui a profondément bouleversé le business model et la manière de travailler de l'opérateur historique.

Après un passage express au ministère de l'Intérieur, elle rejoint en 1993 VTCOM, une société spécialisée dans les services multimédias. Quatre ans plus tard, elle prend la tête de la nouvelle division multimédia du leader français des télécoms. "Ses responsabilités dans le domaine du marketing et de la communication s'étendent à l'ensemble des activités multimédias de France Télécom au sein de diverses filiales comme Wanadoo, Voila, Mappy", précise sa biographie sur le site d'Orange. Un poste clé à un moment charnière : l'opérateur historique doit alors élargir ses offres dans le numérique. Lui qui n'était, auparavant, qu'un opérateur de téléphonie fixe.

Onze ans plus tard, Fabienne Dulac devient directrice des ventes et de la relation client en ligne en France. Avant, en 2011, de prendre les rênes d'Orange Nord de France, où elle est responsable de 5 500 salariés. Enfin, en 2013, elle prend la direction de la communication d'Orange France. De quoi se forger, petit à petit, une stature de dirigeante des télécoms dans un monde plutôt dominé par les polytechniciens et autres ex-Télécom ParisTech.

Pierre Manière

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Commentaires 8
à écrit le 16/03/2018 à 17:55
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"valoriser des services à valeur ajoutée liés aux nouveaux modes de consommation de la télévision." Je tombe de ma chaise, comme si TF1 "offrait" des services à valeur ajoutée...

à écrit le 10/03/2018 à 19:03
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L'Etat a commis une énorme erreur en ne se chargeant pas des infrastructures réseau communes. Affaire Stratégique d'Intéret Souverain, pour les louer aux opérateurs. E.D.F : concurrence utilisant le meme Réseau national ENEDIS. Pas trop tard ( VOLO...

à écrit le 09/03/2018 à 23:06
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Pendant l’auto satisfaction arrogante de madame ce sont les salariés orange qui trinquent comme d’habitude ils viennent d’apprendre le montant de leur participation aux résultats mirobolants de l’année écoulée de la bouche même des dirigeants : en ba...

à écrit le 09/03/2018 à 16:06
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Exactement Aussi ARROGANTE que Mr Stéphane Richard ARROGANT.

à écrit le 09/03/2018 à 13:26
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Avec la 4 G et bientôt la 5 G , on peut se passer de la boxe des opérateurs. Il suffit de régler la wi-fi de son portable sur celle de son ordinateur et on a internet . Ensuite , avec internet , on peut avoir les programmes que l'on souhaite. Avec c...

à écrit le 09/03/2018 à 12:03
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Dans l ADSL pas étonnant qu il prennent des clients a SFR ou Bouygues. Quant il fibre une rue, mise a part Free aucun autre opérateur ne peut proposer la fibre, allez comprendre ?? Et vu leur tarif avec la bande passante qu il propose, c est a pleure...

le 09/03/2018 à 19:39
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Quand Orange fibre une rue, un immeuble etc... comme chaque opérateur, ils déclarent cela au régulateur des télécoms, qui à son tour prévient la concurrence. Ils ont alors un délai de 3 mois en zone dense et de 1 mois en zone non dense afin d'ann...

à écrit le 09/03/2018 à 9:42
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J'ai une petite cabane en montagne a 900 metres d'altitude pres de Seoraksan au fin fond d'une vallee paumee. Bien entendu pas d'equipement ni electrique/telephonique. Du solaire & batteries + une simple parabole permet de recevoir internet en 4G et...

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