Frégates FDI : la France va-t-elle enfin faire monter la Grèce à bord ?

Par Michel Cabirol  |   |  1272  mots
En cas de succès en Grèce, la première frégate d'intervention et de défense (FDI) grecque pourrait être livrée en 2024, coincée entre les livraisons des deux premières FTI françaises (2023 pour une entrée en service en 2025, puis la deuxième en 2025). (Crédits : Naval Group)
La ministre des Armées Florence Parly sera à Athènes dimanche et lundi pour une visite importante sur le projet de vente par Naval Group de deux frégates d'intervention et de défense à la marine grecque. Tout parait être en bonne voie mais la France doit lever encore des points bloquants.

La visite de Florence Parly à Athènes (dimanche et lundi) est très importante. Elle n'est pas encore à quitte ou double pour la vente de deux frégates de défense et d'intervention (FDI) par Naval Group à la marine grecque. Mais l'enjeu de la visite de la ministre des Armées, qui va rencontrer le Premier ministre grec Kyriákos Mitsotákis et son homologue, le ministre de la Défense Nikos Panagiotopoulos, sera de faire monter de façon irréversible les grecs à bord de la FDI.

En tout cas, tout est pratiquement en place pour que Naval Group remporte un nouveau beau succès à l'exportation. "C'est une affaire chaude", a estimé vendredi le PDG de Naval Group Hervé Guillou lors de la présentation des résultats 2019. Mais au moindre couac majeur, les Italiens, et plus particulièrement Fincantieri, qui officiellement reste neutre sur ce dossier dans le cadre de la société commune Naviris, sont prêts à sauter sur Athènes pour rafler la mise. Tout comme l'américain Lockheed Martin associés... aux Italiens.

Un climat positif entre Athènes et Paris

Le dossier de Naval Group avance bien en raison d'un climat politique très favorable entre Athènes et Paris, qui soutient la Grèce face à son voisin turc sur plusieurs dossiers jugés stratégiques par les Grecs (Chypre, Libye notamment). Sur fond de tensions en Méditerranée orientale, le gouvernement grec conservateur a, en un seul mois, renforcé sa coopération stratégique avec Paris et relancé un accord militaire avec Washington. Début février, une frégate grecque a participé à la mission du porte-avions français Charles-de-Gaulle dans l'est de la Méditerranée. "La France entend soutenir la Grèce pour l'aider à faire face aux multiples tensions en mer Égée et en Méditerranée, notamment en Méditerranée orientale", a insisté Florence Parly dans une interview accordée dimanche au quotidien grec To Vima et a précisé que les intérêts grecs et français "sont liés".

"Je veux dire ma préoccupation quant aux agissements en ce moment même de la Turquie en contravention explicite avec ce que le président Erdogan s'était engagé à faire lors de la conférence de Berlin, c'est le non-respect de la parole donnée", avait expliqué fin janvier Emmanuel Macron sur le dossier libyen lors d'une déclaration commune au côté du Premier ministre grec en visite à Paris.

Sur le plan technique, les discussions entre Naval Group et la marine grecque portant sur les spécifications des deux FDI sont très avancées et se déroulent normalement, explique-t-on à La Tribune. En outre, les incertitudes industrielles sur le missile de croisière naval (MdCN) ont pu être levées par MBDA.

Le travail de fond de Naval Group en Grèce

Basé depuis 2008 à Athènes, Naval Group a beaucoup travaillé ces derniers mois pour embarquer l'industrie grecque dans son projet et, au-delà construire un partenariat à long terme. Fin 2019, il a sélectionné huit nouveaux fournisseurs qui vont intégrer sa supply chain mondiale (Akmon, Elfon, Hellenic Cables, IDE Intracom, Metka, Mevaco, Miltech Hellas, et Teletel). Cette sélection était la première démonstration concrète de la volonté du groupe naval de construire ce partenariat sur la durée. Ces groupes seront désormais régulièrement consultés pour des projets à partir de cette année. Naval Group avait déjà depuis des années un partenariat avec Sunlight (fabricant de batteries), qui a déjà été impliqué dans des programmes stratégiques tels que le Barracuda.

Enfin, Naval Group a présenté le 13 février son plan de coopération industrielle et académique avec la Grèce : des partenariats avec des entreprises et trois universités (NTUA, l'Université de Patras et l'Université de Crète) dans des domaines variés tels que les matériaux composites, la robotique, Blue ship ou la fabrication additive ainsi que des  projets grecs et européens de surveillance maritime. Sur ce dernier point, Naval Group propose de créer, avec des partenaires grecs, une activité industrielle et commerciale qui s'adresserait au marché européen à partir de la Grèce. En outre, le groupe naval prévoit de créer en Grèce un centre d'ingénierie chargé des études de conception et de développement pour les futures standards des frégates FDI, faisant de la Grèce un centre d'excellence européen pour l'innovation en matière de naval de défense.

"Nous voulons construire un partenariat de long terme avec l'industrie grecque et garantir le succès du programme ainsi que la souveraineté de la Grèce grâce à un important transfert de technologie. L'industrie grecque maîtrisera le savoir-faire nécessaire pour soutenir l'ensemble du cycle de vie de ces frégates", avait précisé le 13 février à l'ambassade de France en Grèce, le directeur général du développement de Naval Group, Alain Guillou

Ce qui pourrait encore bloquer

L'accord intergouvernemental (AIG) est en cours de rédaction au sein de la direction générale de l'armement et ne rencontre, semble-t-il, pas de difficultés majeures. Sur ce point, les Grecs, qui souhaitent un accord d'Etat à Etat de type FMS (Foreign military sales) à la française comme celui signé entre la Belgique et la France pour les blindés, veulent que l'Etat français soit responsable du contrat. Des discussions portent sur ce point majeur (responsabilité de la France ou de Naval Group, qui est un groupe public détenu à plus de 62% par l'Etat ?) pour les Grecs.

Enfin, dernier point bloquant, l'attitude de Bercy, qui pourrait freiner l'opération sur son volet financier. Les services du ministère de l'Economie veulent faire payer une prime d'assurance de 13%. Soit un niveau proche de ceux qui sont appliqués pour les pays émergents. Ce qui fait hurler les Grecs... Pour autant, les Grecs ont le budget pour acheter les deux premières frégates FDI.

Ce qui a été déjà fait

La France et la Grèce avaient signé en septembre dernier une lettre d'intention (LoI) pour la vente de deux frégates FDI (programme Belh@rra) de 4.500 tonnes à la marine grecque et armées de MdCN (Scalp Naval). "J'ai signé avec mon homologue grec une lettre d'intention, portant sur le projet d'acquisition par la Grèce de deux frégates de défense et d'intervention (FDI)", avait alors indiqué dans un tweet Florence Parly à l'issue de la visite de son homologue grec. Nikos Panagiotopoulos avait toutefois estimé pour sa part qu'il restait "un long chemin à parcourir" avant qu'un accord soit trouvé sur les "aspects techniques" des navires. C'est en train d'être réalisé

La première frégate grecque pourrait être livrée en 2024, coincée entre les livraisons des deux premières FTI françaises (2023 pour une entrée en service en 2025, puis la deuxième en 2025). La seconde pourrait être remise à la marine grecque fin 2025 ou en 2026 tandis que la dernière pour la Marine nationale en 2029. En France, le programme FDI vise à acquérir cinq frégates (coût unitaire 750 millions d'euros), en complément des deux frégates de défense aérienne Horizon (FDA) et des huit FREMM, pour atteindre le format des 15 frégates de premier rang défini par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013. La commande du développement et de la réalisation de la première FTI est intervenue en avril  2017 pour un montant d'environ deux milliards d'euros.