Miracle, résurrection des munitions de petit calibre de guerre "Made in France"

Par Michel Cabirol  |   |  982  mots
Le marché français des munitions de petit calibre est estimé à une centaine de millions de munitions par an pour l'ensemble des besoins des ministères de la Défense, de l'Intérieur, de la Justice et des Finances
Le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian relance une filière de munitions de petit calibre de guerre (5,56 mm, 7,62 mm et 9 mm) en France.

Et le miracle s'est accompli... Le ministre de la Défense va un peu par hasard recréer une filière de munitions de petit calibre de guerre (5,56 mm, 7,62 mm et 9 mm) en France. Jean-Yves Le Drian l'a annoncé ce vendredi en Bretagne. Baptisé secrètement par le ministère "Provinces de France", ce dossier improbable à l'arrivée de Jean-Yves Le Drian au ministère en 2012 doit se transformer en une belle histoire industrielle. Ainsi, l'armée et les forces de l'ordre françaises pourraient tirer dès 2020 des munitions estampillée "Made in France".

"Nous venons de poser un acte de souveraineté nationale (...) C'est du made in France dans l'action et pas seulement dans le discours", s'est félicité Jean-Yves Le Drian, très impliqué, avec son équipe, dans la reconstitution de cette filière.

Du "Made in Bretagne"

Ces munitions seront fabriquées en Bretagne dans une nouvelle chaine d'assemblage à Pont-de-Buis-lès-Quimerch (Finistère) par le leader international des munitions de chasse et de tir NobelSport, qui détient 30% du marché mondial, et le groupe électronique Thales, qui équipe en fusils d'assaut et munitions les forces armées australiennes grâce à une production locale. Le groupe d'électronique va apporter la technologie pour la fabrication des étuis et des projectiles de munitions. Pourquoi sur ce site ? NobelSport dispose de terrains immenses pour installer à la fois une chaine d'assemblage et des terrains de tirs.

Les deux industriels ont d'ailleurs signé vendredi un protocole d'accord (MoU) pour lancer officiellement les opérations. Pour sa part, Manurhin en tant que sous-traitant fournira les machines de cartoucherie. Pour autant, "il faut que les industriels travaillent encore sur le modèle économique", explique-t-on dans l'entourage du ministre de la Défense, qui pourrait pour sa part mettre un peu la main à la poche pour payer les machines outils de Manurhin. Cela reste encore à discuter...

Un investissement de moins de 100 millions d'euros

En partenariat avec le ministère de l'Intérieur, l'hôtel de Brienne fait aujourd'hui le pari de rebâtir à moindre frais une filière de souveraineté nationale. "Moins de 100 millions d'euros", précise-t-on. NobelSport et Thales devraient financer cet investissement puis l'amortir sur le prix des munitions (30 à 40 centimes d'euros l'unité) ainsi que sur les volumes commandés par l'État. Le marché français est estimé à une centaine de millions de munitions par an pour l'ensemble des besoins des ministères de la Défense, de l'Intérieur, de la Justice et des Finances. Les industriels visent également le marché export actuellement en pleine croissance. Il pourrait représenter jusqu'à la moitié de la production de la future chaine.

Pour la réussite de l'opération, il y a une condition sine qua non imposée par le ministère, la compétitivité du modèle économique dans la durée. Les industriels devront garantir aux ministères "le prix et la qualité des munitions aux mêmes niveaux que leurs concurrents ainsi que les délais de livraison. Sinon on n'achètera pas". Une telle opération n'était pourtant pas du tout prévue par le ministre de la Défense et les armées, qui avaient volontairement acté l'abandon de cette filière décidé il y a plus de dix ans. Mais finalement le pragmatisme a prévalu.

"La rentabilité serait assurée à partir d'une production annuelle de 60 millions de cartouches sous réserve qu'un niveau de commandes constant soit assuré durant les cinq premières années", ont estimé les députés Nicolas Bays (PS) et Nicolas Dhuicq (Les Républicains), auteurs d'un rapport sur les munitions.

La surprise NobelSport

Tout commence en avril 2016 quand Jean-Yves Le Drian effectue une visite à Pont-de-Buis-lès-Quimerch chez NobelSport. Il y découvre un industriel leader mondial dans le domaine des munitions de chasse et de sport, qui fabrique deux milliards d'amorces, un des quatre éléments d'une munition (amorce, étui, poudres et projectile). Le patron de Nobelsport évoque devant le ministre ses projets de croissance, notamment sa volonté de se diversifier dans le militaire. A ce moment-là, Jean-Yves Le Drian sent un coup qui peut être jouable pour approvisionner l'armée française et rebâtir une filière de souveraineté nationale. Les armées françaises achetaient leurs munitions en Allemagne, Italie et Grande-Bretagne.

Le ministre déclare alors devant la presse locale : "Nous savons fabriquer des Rafale mais nous n'avons pas de fabrication française de poudre militaire pour les petites munitions", avait expliqué en 2016 Jean-Yves Le Drian sur le site de la poudrerie de NobelSport à Pont-de-Buis-lès-Quimerch. "Nous allons travailler autour de cette situation anormale. C'est une question de souveraineté nationale. Nous devons agir rapidement, 2017 au plus tard, pour manifester cette nouvelle dimension de l'activité de l'entreprise Nobelsport", avait-il précisé.

Trois leaders mondiaux dans le projet

Dans la foulée de sa visite, Jean-Yves Le Drian mandate son équipe pour instruire le dossier. Très vite NobelSport démontre qu'il peut produire tous types de munitions (pour le combat urbain, traçantes, entrainement...) au standard OTAN sans pour autant développer une poudre spéciale composée de nitroglycérine destinée aux munitions de guerre. De son côté, Thales, qui produit des munitions de petit calibre en Australie, se dit prêt à transférer des technologies et du savoir-faire vers la France, sur son site de la Ferté-Saint-Aubin de Thales TDA Armements. Dès lors, le groupe d'électronique et NobelSport commencent à discuter d'un projet. Enfin, Manurhin basé à Mulhouse, qui est un des leaders de son marché et implanté dans 60 pays, rejoint les deux partenaires.

Trois lieux (Pont-de-Buis-lès-Quimerch, Ferté-Saint-Aubin et Mulhouse) qui fleurent bon la France profonde. D'où le nom de projet "Provinces de France". Surtout, le ministère sait qu'il dispose de trois industriels, qui "miracle, sont des leaders mondiaux", chacun dans leur spécialité. Et le coup est parti...