Naval Group/Fincantieri : pourquoi ça fait pshittttt

Par Michel Cabirol  |   |  1274  mots
Trois principales raisons ont eu la peau du projet de rapprochement entre Naval Group et Fincantieri (Crédits : Alessandro Bianchi)
Trois principales raisons ont eu la peau du projet de rapprochement entre Naval Group et Fincantieri : les relations polaires entre la France et l'Italie, la guerre entre Fincantieri et Leonardo, et la volonté de l'Etat français de préserver Thales.

Entre la France et l'Italie, les relations diplomatiques polaires depuis le début de l'été, ont eu principalement raison du projet Poséidon. La crise des migrants a généré des passes d'arme d'une violence inédite dans les relations entre Emmanuel Macron et le ministre de l'Intérieur italien, Matteo Salvini. Puis, les accusations de l'Italie sur le présumé rôle joué par la France dans la crise en Libye début septembre ont rajouté de l'huile sur le feu entre les deux pays. Résultat, le rapprochement entre Naval Group et Fincantieri est essentiellement tombé à l'eau en raison du froid entre les deux pays. Et ce en dépit de la volonté d'Hervé Guillou et de Giuseppe Bono, respectivement patrons de Naval Group et de Fincantieri, de poursuivre coûte que coûte cette opération. Aujourd'hui Hervé Guillou semble également résigné.

De mauvaises raisons, qui n'ont aucun lien avec le contenu du projet, ont donc joué un rôle crucial sur l'abandon du projet initial, torpillé par le changement de majorité à Rome, puis la dégradation des relations entre les deux pays. En outre, la stratégie de Fincantieri a pu interpeller en France. Début septembre, des responsables de Fincantieri ont évoqué la création d'un consortium, en association avec Autostrade per l'Italia (Aspi), pour la reconstruction du pont Morandi de Gênes, dont une partie s'est écroulé en août. Alors que l'Etat français a poussé Naval Group à se désengager des énergies renouvelables (hydroliennes), Fincantieri se lance quant à lui dans la construction de ponts... Cela fait désordre.

1/ Des relations polaires entre la France et l'Italie

Début juillet, le ministre de l'Intérieur et chef de l'extrême droite Matteo Salvini conseillait à Emmanuel Macron de "se laver la bouche parce que l'Italie à fait beaucoup plus que les Français qui continuent de repousser des personnes à Vintimille", à la frontière franco-italienne. Il répondait ainsi à la France qui accusait l'Italie "d'irresponsabilité" sur la crise des migrants. Matteo Salvini estimait également que l'Italie n'avait pas de leçons à recevoir de la part d'un pays qui, selon lui, n'a pas tenu ses engagements en matière d'accueil.

Puis, la ministre italienne de la Défense, Elisabetta Trenta, avait estimé que la France avait une part de responsabilité dans la crise libyenne de début septembre. La ministre évoquait sur sa page Facebook l'intervention militaire de la France et d'autres pays en Libye en 2011 contre le régime du colonel Kadhafi. "Evidemment, il est indéniable qu'aujourd'hui ce pays se retrouve dans cette situation parce que quelqu'un, en 2011, a privilégié ses intérêts à ceux des Libyens et de l'Europe elle-même", avait écrit la ministre. Dans la foulée, Elisabetta Trenta a annulé deux rendez-vous avec Florence Parly. Finalement, les deux ministres se sont croisées au sommet de l'OTAN.

Difficile dans ces conditions diplomatiques très tendues pour l'Elysée d'annoncer un rapprochement stratégique entre la France et l'Italie dans le domaine aussi sensible que la défense et d'organiser un événement grandiose pour le célébrer. La France et l'Italie voudront-elles néanmoins sauver la face lors du salon Euronaval (23-26 octobre) pendant lequel ce rapprochement aurait dû être célébré en grande pompe? Voudront-elles annoncer un projet a minima avec la création d'une société commune regroupant quelques actifs dans les bâtiments de surface et faisant des propositions communes franco-italienne à l'export? Ce serait la tendance. A suivre. Mais l'Etat français serait carrément schizophrène...

2/ Leonardo gagne la guerre en Italie

Depuis le lancement de Poséidon, ce projet a provoqué une guerre violente entre les deux principaux industriels italiens, Ficantieri et Leonardo, opposé à ce dossier pour des raisons industrielles. Le groupe d'électronique italien avait émis des craintes d'être mis au bord de la route cette alliance, compte tenu que Thales détient 35% de Naval Group. Leonardo a finalement gagné deux batailles, dont l'une cruciale. Alors que Giuseppe Bono avait expliqué aux Français qu'il allait récupérer les activités très stratégiques des systèmes de gestion de combat (CMS) de Leonardo, le patron de Fincantieri a in fine perdu cette bataille. Le groupe d'électronique de défense italien va garder cette activité après s'être battu et être monté au créneau pour se défendre.

Giuseppe Bono a pris une deuxième claque en se faisant souffler Vitrociset, une grosse PME qui opère dans les systèmes électroniques et informatiques dans les domaines civil et militaire par Leonardo. Fincantieri souhaitait s'emparer de ce spécialiste des systèmes de défense, de contrôle de trafic aérien, de technologies de satellites... Sauf qu'il n'avait pas anticipé que Leonardo détenait moins de 2% du capital de Vitrociset... avec un droit de préemption. Et le patron de Leonardo a bien sur exercé son droit de préemption.

Enfin, les Italiens sont arrivés à la conclusion que l'équation proposée par le projet de rapprochement n'avait pas de solutions idéales pour Leonardo. Car aussi bien du côté italien que du côté français, les deux filières navales militaires sont organisées en chaîne nationale. Le rapprochement entre les deux groupes navals implique un risque pour Leonardo et Thales... sauf à fusionner toute la filière (Leonardo, Thales, Fincantieri et Naval Group). C'est finalement ce qu'a compris Rome au bout d'un certain temps à l'issue d'une analyse très approfondie. L'Italie n'a pas voulu choisir entre ses deux champions... tout comme d'ailleurs Paris.

En tout cas, l'Italie a souhaité créer un champion européen en demandant à Leonardo et Fincantieri de renforcer leur coopération dans le secteur naval. Ce n'est ni plus ni moins le vieux plan Capricorn qui a resurgi. Pour ce faire, ils ont convenu de réorganiser leur société commune Orizzonte Sistemi Navali afin de présenter des solutions communes sur un marché naval de plus en plus concurrentiel et exigeant. "La réorganisation d'Orizzonte Sistemi Navali est la meilleure façon d'encourager le développement de l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement nationale qui contribue à la création de navires militaires, a expliqué le directeur général de Leonardo, Alessandro Profumo. Grâce à l' offre conjointe de produits et de services, nous allons augmenter la compétitivité de l'industrie italienne sur le marché international".

3/ La France incapable de choisir vraiment

Pour la France, le projet Poséidon présentait autant de problèmes que de perspectives. La Direction générale de l'armement (DGA) et l'Agence des participations de l'Etat (APE) ont toujours soutenu Thales tout en étant partisan du projet Poséidon sur le thème "rien ne peut se faire contre les intérêts du groupe d'électronique portant sur les équipements, les radars, les sonars..." Pour preuve, selon nos informations, l'Etat n'est jamais venu demander à Thales de quitter le capital de Naval Group. Ce qui suggère qu'il n'a jamais voulu un départ du groupe d'électronique de Naval Group.

Aujourd'hui, Hervé Guillou a compris que le vent avait définitivement tourné. Son regard se porterait sur TKMS (ThyssenKrupp Marine Systems) que la maison mère pourrait céder. Un vieux rêve français de 20 ans qui risque une nouvelle fois de se fracasser sur la francophobie des dirigeants allemands. Du côté de l'Etat français, "l'exécutif veut voir s'il peut organiser une alliance sur des sujets délimités, plutôt que sur la totalité des activités des deux entités", explique-t-on à La Tribune.