Aviation de combat du futur (SCAF) : une clarification s'impose entre la France et Airbus

Par Michel Cabirol  |   |  811  mots
Le patron d'Airbus Defence & Space, Dirk Hoke, considère aujourd'hui que les programmes de système de systèmes seront demain des programmes générant beaucoup d'activité. (Crédits : DR)
Le ministère des Armées souhaite rester le maître des horloges et du contenu du programme SCAF, le système de combat aérien du futur. Ce que conteste Airbus sur le volet système de systèmes.

C'est clair et net. Dans l'interview que le patron d'Airbus Defence & Space a accordé à La Tribune, Dirk Hoke revendique "le leadership du SCAF" (Système de combat aérien du futur), ou en tout cas d'une partie de ce programme, avec l'assentiment de Dassault Aviation, qui développera et concevra quant à lui la plateforme de combat. En résumé, les deux industriels majeurs de ce projet très ambitieux se sont partagés le programme : à Dassault Aviation le leadership sur le futur avion de combat, à Airbus le leadership sur le système de systèmes, qui connectera toutes les plateformes aériennes de SCAF. Sauf qu'au ministère des Armées et à la direction générale de l'armement, on grimpe au rideau, selon des sources concordantes. "C'est grossièrement faux, assure-t-on à Paris, et ce partage n'engage que les industriels".

Cette "vision binaire" du programme dans laquelle les industriels veulent entraîner Paris, irrite en premier lieu le ministère. "La réalité du programme SCAF est bien plus complexe que ce partage des industriels", affirme-t-on à La Tribune. "Le leadership sur la totalité du périmètre SCAF a été donné à la France et pas à Dassault Aviation", affirme-t-on par ailleurs. A cet égard, la ministre de la Défense allemande Ursula Von der Leyen avait précisé en avril dernier lors du salon aéronautique de Berlin (ILA) que Paris prenait le pilotage du SCAF. "Quand il y a coopération (industrielle), les nations doivent décider, il y a toujours une nation leader (...) pour le SCAF ce sera la France", avait-elle confirmé. Les Allemands prenaient quant à eux le pilotage du futur char de combat et du drone Male européen... à deux moteurs.

Airbus sort du bois

Ces différences d'appréciation méritent certainement une explication claire de la ministre des Armées, Florence Parly. Car déjà à Berlin, lors du salon aéronautique, elle aurait interdit aux deux industriels de communiquer sur leur accord, selon nos informations. Ce qui avait alors provoqué une mini-crise, aujourd'hui effacée, entre la ministre et Dassault Aviation, qui s'était fait taper sur les doigts sur le thème : "vous n'avez pas à donner quoi que ce soit à Airbus sans notre autorisation". D'où l'impression d'une communication très curieuse à Berlin. Aujourd'hui, tous les industriels, qui sont susceptibles de participer au programme SCAF, attendaient donc le feu vert de la France pour communiquer sur leurs accords. Airbus est sorti du bois. Ce qui a une nouvelle fois irrité en France. Jusqu'à l'Elysée ? Pas sûr, souffle-t-on à La Tribune.

"Tant que Paris ne communique pas officiellement sur le projet en précisant quelle est l'équipe de France, quels sont les différents packages du SCAF, le sindustriels français attendent l'arme au pied", assure-t-on de source proche du dossier. Certains estiment que la situation pourrait se clarifier d'ici à la fin de l'année. "Il ne faut pas s'exciter car on parle d'un sujet qui verra le jour en 2035/2040", note un observateur. Mais Airbus, qui s'appuie sur l'accord de haut niveau (HL Coord) signé en avril à Berlin, a décidé de sortir du bois en mettant les pieds dans le plat.. et en mettant la pression sur Thales, qui se verrait bien lui aussi maître d'oeuvre du système de systèmes, explique-t-on à La Tribune.

Airbus plaide pour un équilibre

Pour Airbus, et donc pour l'Allemagne, il est logique qu'il y ait un juste partage entre les industriels français et allemands. "Dans une coopération, il y a la notion de partage", rappelle-t-on au sein du groupe européen. Cette réciprocité doit être également le cas dans les programmes pilotés par les Allemands (char de combat). Très clairement, tous les industriels concernés par le SCAF revendiquent la place où ils aimeraient être. Mais, à la fin des fins, ils devront s'intégrer tant que bien mal dans une vaste coopération où tout le monde aura sa place, a rappelé le patron d'Airbus DS. En outre, au sein du groupe européen, on plaide énergiquement pour un pilotage vertical afin d'éviter les mêmes erreurs que dans le passé (A400M notamment).

Faute de quoi, a averti Dirk Hoke, le projet va droit dans le mur. "Si dans un an ou deux ans, Paris arrive avec une proposition franco-française pour le projet SCAF, qui va atteindre la somme de 100 milliards d'euros, voire peut-être plus, l'Allemagne, qui va mettre beaucoup d'argent, ne l'acceptera pas", a-t-il expliqué lors de l'interview accordée à La Tribune. Dès lors, une clarification et une négociation s'imposent. Une clarification entre le ministère des Armées et Airbus, une négociation entre Thales et Airbus. Cela explique peut être cette sortie du patron d'Airbus DS... D'autant qu'on assure au sein du groupe européen, on ne pourra pas faire sans Thales.