Réglementation ITAR : Etats-Unis, cet ami qui ne veut pas que du bien à la France

Par Michel Cabirol  |   |  1317  mots
"Notre dépendance à l'égard des composants soumis aux règles ITAR est un point critique", avait reconnu en mai 2011 à l'Assemblée nationale le PDG de MBDA, Antoine Bouvier. (Crédits : © Benoit Tessier / Reuters)
Les Etats-Unis ont mis un veto à l'exportation du Scalp en Egypte en raison de la présence de certains composants américains dans le missile de croisière. Emmanuel Macron et Donald Trump vont évoquer ce sujet lors de lors leur rencontre cette semaine, selon des sources concordantes.

Les industriels de l'armement français n'aiment pas ces dossiers. Vraiment pas. C'est également le cas de l'Etat français, touché au cœur de sa souveraineté. Ce sont des dossiers qui au choix les agacent, les irritent et les énervent... ou les trois à la fois surtout quand le dossier devient public. Qu'est-ce qui les met tous dans un tel état ? Quatre lettres: ITAR (International Traffic in Arms Regulations). Pourquoi? Si un système d'armes contient au moins un composant américain sous le régime de la réglementation américaine ITAR, les Etats-Unis ont le pouvoir d'en interdire la vente à l'export à un pays tiers. Or beaucoup de sociétés françaises et européennes intègrent des composants américains notamment électroniques, dans de nombreux matériels, tout particulièrement dans les domaines aéronautique et spatial. "Notre dépendance à l'égard des composants soumis aux règles ITAR est un point critique", avait reconnu en mai 2011 à l'Assemblée nationale le PDG de MBDA, Antoine Bouvier.

"Nous sommes encore soumis à des dépendances technologiques, avait expliqué en octobre 2011 à l'Assemblée nationale l'ex-Délégué général pour l'armement, Laurent Collet-Billlon. Nous veillons cependant avec le plus grand soin au respect du principe de souveraineté nationale posé par le Livre blanc en matière de dissuasion, de cryptographie et de lutte informatique. La plupart de nos aéronefs présentent des adhérences avec le régime américain ITAR, mais nous nous employons à réduire le plus possible ces limitations".

Washington a récemment frappé d'un veto l'industrie d'armement tricolore en interdisant l'exportation du missile de croisière Scalp de MBDA vers l'Egypte, comme La Tribune l'a révélé. Officieusement pour protéger les intérêts d'Israël. "Est-ce une décision de la seule administration américaine ou bien du pouvoir politique?", s'interroge un très bon connaisseur de ces dossiers. En tout cas, cette décision a pour conséquence de freiner la vente de 24 Rafale supplémentaires au Caire. C'est clairement une atteinte à la souveraineté de la France, pourtant l'alliée des Etats-Unis quand il faut aller à la baston sur des théâtres d'opération difficiles (Syrie, Irak) ou échanger des renseignements de première importance dans les affaires de terrorisme.

Les Etats-Unis jouent avec les nerfs des industriels français

Ce n'est pas la première fois que les Etats-Unis jouent avec les nerfs de la France. Ainsi, ils avaient longuement hésité à faire jouer la réglementation ITAR sur un dossier français en Inde, explique-t-on à La Tribune. Ils ne l'ont finalement pas fait. En revanche, ils ont récemment mis un veto sur un dossier export français au Qatar. Aussi, l'explication de la défense des intérêts de l'Etat hébreu dans le cas de l'export du Scalp vers l'Egypte a du mal à tenir face à la multiplication des affaires lancées par les Etats-Unis.

 En 2013, ils avaient déjà refusé une demande de réexportation aux Emirats Arabes Unis de composants "made in USA"  nécessaires à la fabrication de deux satellites espions français (Airbus et Thales). La visite de François Hollande aux États-Unis en février 2014 avait permis de régler positivement ce dossier.

"La question des normes ITAR est très sensible et continue de défrayer la chronique dans le domaine des satellites, avait expliqué en juin 2015 à l'Assemblée nationale le président du CIDEF, Eric Trappier. Les Américains utilisent, en effet, ces règles pour limiter certaines exportations vers des pays pourtant amis, pour des raisons souvent plus politiques que juridiques. Tout dépend, en fait, du degré de sensibilité des produits exportés. Le Rafale, comme tous les matériels militaires français, comprend des composants ITAR, mais dans une proportion assez faible, au point que nous pourrions presque le livrer en nous en passant. Il ne serait donc pas de l'intérêt de l'industrie américaine de se priver de ce genre d'exportations dès lors qu'elles sont réalisées vers un pays qui n'est pas l'ennemi des États-Unis. Nous aurions sans doute plus de difficultés si nous voulions exporter des Rafale vers la Russie..."

Rencontre Macron-Trump

C'est pour cela que les industriels français fondent de grands espoirs sur la visite aux Etats-Unis d'Emmanuel Macron, qui sera outre-Atlantique à partir de ce lundi, pour régler entre autres le dossier Scalp en Egypte. Selon des sources concordantes, il n'a pas été réglé entre les deux pays avant le départ du chef de l'Etat français. C'est donc dans le secret des entretiens entre Emmanuel Macron et Donald Trump que ce dossier sera réglé ou pas, assure-t-on de sources concordantes à La Tribune. "On peut imaginer que le président américain fasse personnellement ce cadeau à Emmanuel Macron lors de sa visite", estime un observateur de ces dossiers sensibles. Mais, à ce jour, il n'y a pas non plus de certitude absolue.

"Il faut tirer les leçons de cette situation très pénalisante dans laquelle la France s'est retrouvée face à ce client potentiel qu'est l'Egypte mais qu'elle pourrait retrouver éventuellement face à d'autres clients", explique-t-on au sein de l'Etat à La Tribune.

Que veut la France?

D'une manière générale, la France tient officiellement depuis plusieurs années un discours d'indépendance nationale. Dans une interview accordée à La Tribune, la ministre des Armées, Florence Parly, "souhaite que l'on puisse progresser vers une moindre dépendance vis-à-vis de ces composants qui relèvent de la législation ITAR". Et d'ajouter sur les dossiers en cours que "la France tient et tiendra ses engagements. Dans les cas où ça s'avérerait nécessaire, nous prendrions les mesures pour honorer les contrats qui ont été passés". Plus facile à dire qu'à faire. Car c'est technologiquement compliqué à faire et ce n'est pas gratuit, rappelle-t-on à La Tribune. La ministre en convient elle-même : "il faut être réaliste, que ce soit ITAR ou d'autres, je ne suis pas sûre que l'on puisse s'immuniser complètement de cette réglementation". Pourquoi? "Il est très difficile de se passer de composants électroniques d'origine américaine", avait expliqué en avril 2011 à l'Assemblée nationale l'ancien patron de Safran, Jean-Paul Herteman.

Pour autant, la France travaille à désITARiser ses matériels. Selon nos informations, des groupes de travail interministériel ont été constitués. "Nous ne sommes pas inertes sur la question", confirme Florence Parly. "Nous y réfléchissons avec un certain nombre d'industriels, affirme-t-elle, et certains ont déjà pris des mesures pour résoudre cette question de dépendance le plus rapidement possible. Mais il faut des investissements en ce sens". Par exemple, dans le domaine spatial, l'Agence Spatiale Européenne a mené depuis longtemps des actions de fond avec des investissements significatifs pour recréer des doubles sources en Europe sur des composants critiques de la liste ITAR ou de la liste EAR (Export Administration Regulations).

Dans le cadre de la préparation de l'avenir, la France sera "extrêmement attentive à ce que nos équipements de demain n'aient pas ou aient une moindre sensibilité aux composants étrangers, notamment pour ITAR", précise la ministre. Par exemple, les futurs missiles air-air MICA-NG, qui seront prêts en 2025, seront développés en prenant en compte ces considérations. Ils seront ITAR Free, assure-t-on à La Tribune. En outre, sur des produits technologiques très complexes, la France préconise de les intégrer dans le projet du Fonds européen de défense. "Il serait intéressant qu'au titre de l'autonomie stratégique on puisse ré-internaliser certaines technologies", a estimé la ministre à La Tribune. Le concept de non dépendance implique donc une maîtrise des technologies et l'existence d'une double source de fabrication, dont l'une au moins située en Europe. La partie est loin d'être gagnée ...