"Nous ne sommes pas en train de fabriquer des robots tueurs" (Florence Parly)

Loi de programmation militaire, exportation, réglementation ITAR, innovation, militarisation de l'espace, intelligence artificielle, coopérations industrielles européennes, Airbus... La ministre des Armées, Florence Parly, se confie dans une interview exclusive accordée à La Tribune.
Michel Cabirol
Sur le chiffre global des exportations françaises en 2017, il est normal qu'il soit plus bas que les années précédentes, car il s'agit d'une année d'élection présidentielle.
"Sur le chiffre global des exportations françaises en 2017, il est normal qu'il soit plus bas que les années précédentes, car il s'agit d'une année d'élection présidentielle". (Crédits : POOL)

Il est indéniable que la prochaine loi de programmation militaire (LPM) acte une remontée en puissance des crédits pour les armées mais l'une des critiques récurrentes porte sur la marche budgétaire très haute à atteindre en fin de programmation (3 milliards par an sur la période 2023-2025). Que répondez-vous aux critiques qui estiment que le gros des efforts devra être fait en fin de LPM?
Face à des procès d'intention, il faut d'abord répondre par des faits. Quels sont-ils ? Depuis quinze ans les moyens de ce ministère ont été sans cesse rognés. D'abord, les moyens en termes de crédit budgétaires. Ensuite les engagements pris sur des programmes dont certains ont été différés, puis encore différés et, enfin, annulés - ce qui a conduit à des surcoûts considérables in fine pour l'État -. Enfin, les effectifs - je rappelle qu'il y a eu 60.000 suppressions de postes depuis 2008. Cette tendance s'est par ailleurs inscrite à un moment où le ministère des Armées était engagé de façon croissante dans un certain nombre d'opérations notamment extérieures.
Face à cet effet de ciseau, qu'avons-nous fait depuis quelques mois ? Le premier acte a consisté à assurer qu'à la fin de l'année 2017, le budget soit pleinement exécuté malgré l'annulation de 850 millions d'euros qui a tant défrayé la chronique l'été dernier. Le deuxième acte, c'est un budget 2018 en progression de 1,8 milliard d'euros. C'est la première fois depuis très longtemps que le budget du ministère des Armées augmente de façon aussi marquée. Par ailleurs, ces actes s'inscrivent dans l'engagement du candidat à la présidence de la République, Emmanuel Macron, devenu depuis président, de porter progressivement l'effort de défense à 2% du PIB en 2025. La LPM respecte donc cet engagement. Je me soumettrai année par année au contrôle du Parlement, qui vérifiera si les engagements de la LPM sont bien tenus.

Ce qui est un atout pour vous face à ceux qui seraient tentés de rogner dans l'indifférence les crédits de la mission Défense...
... Tout à fait, c'est la Constitution. C'est le contrôle normal que le Parlement exerce dans le cadre de l'un de ses actes majeurs chaque année.  Dans cette loi de programmation, nous avons distingué deux périodes. La première est celle déjà couverte par la loi de programmation des finances publiques, qui a été votée à l'automne 2017 (2018-2022). Elle décrit la trajectoire budgétaire de tous les ministères. La LPM reprend naturellement les arbitrages pris dans le cadre de la loi de programmation des finances publiques. S'est alors posée la question de savoir ce que nous pourrions faire au-delà de 2022. Nous avons fait le choix pour l'année 2023, qui est encore une année sous notre responsabilité en termes de préparation, d'indiquer que la progression devrait se poursuivre.
Mais pour les deux dernières années de la LPM, nous avons une incertitude lorsqu'il s'agit de déterminer en valeur absolue quel sera le point d'arrivée pour satisfaire l'objectif de 2% du PIB. Aujourd'hui bien malin serait celui qui pourrait dire quel sera le PIB de 2025. C'est donc pour cela que nous avons fixé un rendez-vous en 2021, pour examiner deux sujets majeurs : premièrement, dans quelles conditions les premières années de la LPM auront été exécutées et, deuxièmement, sur la base de données macroéconomiques plus fiables, d'écrire le chemin qui restera à parcourir pour terminer la LPM. Aujourd'hui nous estimons que le montant du budget de la mission défense en 2025 hors pensions devrait être de 50 milliards d'euros. Mais en 2021 ?

Il n'en demeure pas moins que le gros des efforts sera fait en fin de programmation.
En pourcentage la marche n'est pas haute ! Lors des premières années de la LPM, les crédits progressent de l'ordre de 5,5% avec une augmentation de 1,7 milliard d'euros par an. Puis, par rapport au niveau atteint en 2022, une hausse de 3 milliards d'euros par an en fin de programmation représente une croissance des crédits de 7%. Ce n'est pas du tout le mur budgétaire que l'on nous annonce. Nous sommes très responsables dans nos approches et très réalistes. Je donne rendez-vous tous les ans aux parlementaires pour que l'on discute de façon sérieuse.

Mais pour légitimer la LPM, ne valait-il pas mieux la faire coïncider à la durée du quinquennat ?
Une armée qui ne programme pas ses efforts, ne peut pas préparer l'avenir, car nous parlons par exemple de programmes d'équipement qui dépassent largement un horizon de cinq ans. Anticiper n'est pas optionnel au ministère des Armées, c'est vital. Nous avons travaillé en nous projetant sur un horizon qui dépasse même celui de la LPM. On s'est projeté en 2030 et on s'est interrogé, après la revue stratégique, sur les capacités, les caractéristiques, les fonctionnalités que devraient avoir nos armées à l'horizon 2030. Mais nous avons estimé qu'une LPM couvrant une période jusqu'à 2030 était un peu longue. Aussi, nous avons cherché une durée pertinente pour tenir le mieux possible nos engagements, notamment vis-à-vis des industriels. Leur donner une visibilité à horizon de sept ans, c'est certainement un compromis raisonnable entre une ambition déterminée à horizon 2030 et l'horizon du quinquennat.

Qui paiera le surcoût des opérations extérieures (OPEX) au-delà de la provision de 650 millions d'euros ?
Je m'en tiens à ce qui est écrit dans l'actuelle LPM qui dit que, en cas de dépassement du niveau de la provision, le principe du financement interministériel doit prévaloir. Mais il faudra forcément s'attendre à des discussions entre Bercy et le ministère des Armées. Ce qui est normal dès qu'on parle de couvrir des surcoûts qui arrivent en cours de gestion. Je m'attends donc à ce qu'il y ait une discussion entre tous les ministères sur ce sujet. Dans la LPM 2019-2025, nous avons été plus précis encore que ce qui figure dans l'actuelle. D'une part, le niveau de la provision va continuer à monter pour réduire l'écart prévisible entre la provision et le coût probable des opérations extérieures et des missions intérieures. Rappelons que cette provision du ministère des Armées s'est élevée à 450 millions en 2017 et à 650 millions en 2018, et qu'elle sera de 850 millions en 2019, puis de 1,1 milliard chaque année à partir de 2020. D'autre part, la LPM prévoit le cas où la provision s'avère supérieure au coût définitif des opérations extérieures. La LPM indique que le bénéfice serait conservé par le ministère. C'est une précision importante. C'est logique mais ça n'avait jamais été écrit, ni prévu ! Il y a des décisions qu'il vaut mieux écrire noir sur blanc.

Quelle est l'évaluation du surcoût des OPEX pour 2018 ?
Le montant des opérations devrait se réduire en 2018. Avec une provision initiale de 650 millions, il resterait néanmoins un écart, c'est certain. De quel montant ? On ne peut pas encore le dire.

Mais j'imagine que vous avez une évaluation ? Sera-t-elle au même niveau qu'en 2017 ?
Nous espérons que les surcoûts seront plus faibles mais cela va dépendre de l'évolution du contexte international, de la manière dont la situation évolue au Sahel et au Levant. Je ne m'aventurerais pas à un pronostic. Je dis simplement qu'il est assez probable qu'en 2018 il y aura encore un écart à résorber et qu'il faudra donc mobiliser du financement interministériel additionnel et, pour le reste, je ne préjuge pas du résultat d'une discussion qui n'a pas encore eu lieu. Par définition, on connait le coût des opérations extérieures et intérieures en fin d'année. Je tiens à préciser, à travers ces questions financières, que je ne considère pas nos militaires sur le terrain comme une variable budgétaire.

Sur le Service militaire universel (SMU), vous avez assuré que ce sera un financement ad hoc. Mais pourquoi ne pas l'avoir précisé noir sur blanc dans la LPM ?
Dans la LPM, nous décrivons ce qu'il y a dans ce projet et non ce qu'il n'y a pas.

Même s'il s'agit d'une menace sur la trajectoire financière de la LPM ?
Je vous rappelle que le président de la République a été extrêmement net lors de ses vœux aux armées. Tout cela pour dire que l'engagement est ferme et que maintenant nous sommes dans une phase de travail sur la configuration et la définition de ce que pourrait être ce service national universel. Il reste beaucoup de travail encore, notamment la question du financement mais nous savons que ce financement sera ad hoc. Le rapport du groupe de travail dédié au SNU et mené par le général Menaouine sera rendu fin avril. Nous travaillons de façon très active. Le président nous a demandé d'être dans une démarche dynamique car il souhaite que ce service national universel se mette en place très rapidement.

Une mission parlementaire avait estimé le coût entre 20 et 30 milliards...
... Mais tout dépend de ce que l'on veut faire. Il est certain que selon les modalités, les coûts peuvent varier profondément. Les modalités ne sont pas arrêtées donc il est impossible à ce stade de préfigurer les coûts liés à ce dispositif.

A vous écouter, la LPM 2019-2025 semble vraiment blindée. Est-ce le cas ?
Elle donne une excellente visibilité à l'ensemble des acteurs de la communauté de défense et comme toute loi de programmation elle devra s'évaluer à l'aune des engagements qui seront confirmés loi de finance après loi de finance.

Comment jugez-vous l'année 2017 qui apparaît comme décevante s'agissant des exportations ?
Nous n'avons pas encore d'éléments définitifs sur les chiffres des importations réalisées en 2017, où il y a eu un certain nombre de décisions sur des futurs contrats à l'exportation. Je suis par exemple allée signer en Belgique le contrat sur le système CAMO (proche de Scorpion), qui ne devrait pas être décompté en 2017, mais il s'agit d'un contrat extrêmement structurant. Parmi les autres engagements importants qui ont été signés, il y a bien sûr le Qatar qui s'est engagé sur trois commandes. La première pour l'acquisition de douze Rafale supplémentaires qui vient compléter la commande initiale de 24, puis l'achat de VBCI pour l'armée de Terre qatarie, qui a fait l'objet d'une lettre d'intention. Et puis plus récemment, le Qatar a signé une commande ferme de 28 NH90. Sur le chiffre global des exportations françaises en 2017, il est cependant normal qu'il soit plus bas que les années précédentes, car il s'agit d'une année d'élection présidentielle.

En revanche, l'année 2018 sera semble-t-il une très belle année. Est-ce votre sentiment ?
Nous avons un certain nombre de prospects bien identifiés avec lesquels nous poursuivons des discussions. Je ne vais pas rentrer dans les détails aujourd'hui mais j'ai effectué des déplacements à l'étranger au cours de ces derniers mois pour faire avancer certains dossiers. Avec l'Inde, nous poursuivons nos discussions notamment sur deux projets, l'un bien connu qui est le Rafale. Il y a également un autre sujet qui intéresse beaucoup les Indiens et qui pourrait avancer en 2018. C'est le programme Kaveri destiné à motoriser l'avion de chasse indien, le Tejas. Ce projet pourrait avancer et nous allons continuer à travailler très activement sur ce sujet avec Safran. Actuellement, nous travaillons par ailleurs beaucoup sur deux prospects: les sous-marins avec la Pologne et le renouvellement de la flotte d'avions de combat en Suisse. Berne a récemment publié un RFI (Request for information, ndlr). Enfin, nous avons des discussions qui se poursuivent avec l'Égypte concernant une nouvelle commande de Rafale. Je m'y suis rendue en décembre.

Justement concernant l'Égypte, comment allez-vous résoudre l'embargo américain sur le missile Scalp touché par la réglementation ITAR ?
D'une manière générale, je souhaite que l'on puisse progresser vers une moindre dépendance vis-à-vis de ces composants qui relèvent de la législation ITAR. Il est normal que les entreprises françaises s'approvisionnent auprès de fournisseurs dans des pays qui sont des alliés. Pour autant, il faut être réaliste, que ce soit l'ITAR ou d'autres, je ne suis pas sûre que l'on puisse s'immuniser complètement de cette réglementation. Il faut examiner les domaines dans lesquels cette moindre dépendance doit être travaillée. Nous ne sommes pas inertes sur la question. Nous y réfléchissons avec un certain nombre d'industriels et certains ont déjà pris des mesures pour résoudre cette question de dépendance le plus rapidement possible. Mais il faut des investissements en ce sens.

La législation ITAR est malheureusement évolutive. Un composant qui n'est pas ITAR peut le devenir, ce qui pénalise les industriels. Pour « désITARiser » certains composants, il faut lancer des petites séries mais cela coute cher alors même que la France est dans un contexte budgétaire encore compliqué. Quelle sera la réponse de la France pour trouver le juste équilibre ?
Il faut rester pragmatique sur le sujet. Notre partenaire américain, avec qui nous entretenons un dialogue constructif, ne peut pas ITARiser sans préavis ni limites des composants non ITAR pour une raison assez simple : les entreprises américaines sont elles-mêmes d'importantes exportatrices d'armements et elles utilisent souvent des composants similaires. Le type de décision que vous envisagez, s'il n'est théoriquement pas impossible, aurait donc des impacts domestiques aux États-Unis. Mais il est clair que la France tient et tiendra ses engagements. Dans les cas où ça s'avèrerait nécessaire, nous prendrions les mesures pour honorer les contrats qui ont été passés. Nous pourrions donc envisager de l' « ITAR free » si cela s'avérait nécessaire. Plus généralement, nous préparons l'avenir et nous sommes extrêmement attentifs à ce que nos équipements de demain n'aient pas ou aient une moindre sensibilité aux composants étrangers, notamment pour ITAR. Par exemple, les futurs missiles air-air MICA-NG, dont on va lancer la commande cette année et qui seront prêts en 2025, seront développés en prenant en compte ces considérations. Comme les cycles sont très longs, cela prend du temps mais c'est ce vers quoi on tend.

Quand vous dites « ITAR free », cela veut-il dire qu'il y aura des composants américains qui pourraient devenir ITAR, ou pas ?
Tout dépend de quoi on parle. Si on évoque des produits technologiques très complexes, cela peut avoir un sens d'avoir une souveraineté au niveau de l'Europe sur ces sujets-là. Typiquement dans le projet du Fonds européen de défense, il serait intéressant qu'au titre de l'autonomie stratégique on puisse ré-internaliser certaines technologies.

En Pologne, l'arrivée d'un nouveau ministre de la Défense ne rebat-il pas les cartes alors que la France était clairement bien placée ?
Ce que je sais c'est que nous n'avons pas eu d'expression négative sur notre offre depuis le changement de gouvernement polonais. Et nous continuerons à défendre l'offre de Naval Group et MBDA, qui est particulièrement compétitive et intéressante pour la Pologne.

En Belgique, avez-vous eu des nouvelles positives sur votre offre d'Etat à Etat sur la base du Rafale qui a réussi à faire douter les Belges ?
Pour l'instant, je n'ai aucune nouvelle. Le gouvernement belge a reçu notre proposition de partenariat, il lui appartient de décider du moment où il souhaitera nous faire un retour.

En Argentine, Naval Group est tout près d'une bonne nouvelle. Vous vous êtes beaucoup investie dans ce dossier tout comme le président Macron. Après la méthode Le Drian, y a-t-il une méthode Parly ?
Ce dossier est en très bonne voie, j'espère que nous pourrons concrétiser une signature très prochainement. Comme mon prédécesseur, chaque fois que je me déplace, j'ai très à cœur aussi de faire avancer les dossiers export. D'une manière générale, je suis convaincue que les exportations constituent un élément fondamental pour la viabilité des programmes d'armement développés par nos industriels. J'étais récemment chez Naval Group à Lorient, la question des exportations des navires est un élément vital pour maintenir l'équilibre des chantiers, les compétences et le flux de production.

L'innovation est un dossier qui vous est cher. Mais quand on regarde la LPM, les crédits amont n'atteindront 1 milliard d'euros qu'en 2022. N'est-ce pas paradoxal ?
Les moyens affectés à la Mission défense sont massifs : 198 milliards sur la période 2019-2023 et 295 jusqu'en 2025. Sur cette masse de crédits, une part très importante sera mobilisée pour rattraper ce qui a été reporté dans le passé, notamment dans la première partie de la LPM en octroyant énormément de moyens sur les petits équipements, les blindés médians de l'armée de Terre, l'accélération du programme MRTT, les pétrolier-ravitailleurs, les patrouilleurs de haute mer... pour disposer de forces armées équipées de façon efficace et efficiente. Nous allons aller le plus vite possible dans cette phase pour pouvoir ensuite, dans un deuxième temps, concentrer l'essentiel des investissements sur les équipements du futur et, donc, l'innovation. Mais nous ne négligerons pas pour autant l'innovation dans cette première période. C'est pour cela que les études amont vont passer de 720 millions d'euros aujourd'hui à 1 milliard d'euros à compter de 2022.

Mais l'innovation ne s'arrête pas qu'aux crédits amont...
Effectivement, l'innovation ne s'arrête pas aux crédits amont, qui n'en sont qu'un élément. Il faut y ajouter toutes les études qui concourent aux programmes futurs structurants, comme celles sur le futur porte-avions, sur le programme SCAF (système de combat futur) ou encore sur le char de combat. Ce sont autant d'éléments décisifs. Puis, nous avons lancé des initiatives qui sont moins visibles sur le plan budgétaire mais qui sont aussi importantes du point de vue de l'efficacité du système d'innovation du ministère, comme par exemple, une plus grande ouverture aux petites entreprises, aux start-up ou même à des centres de recherches académiques. Ce sera l'un des rôles de l'Agence de l'innovation que nous allons lancer au cours de l'année 2018, que de pouvoir créer un mode de travail et de développer des collaborations avec un écosystème déjà performant dans l'innovation. Ce monde-là n'était pas jusqu'ici forcément l'interlocuteur privilégié des armées, contrairement à nos relations avec les grands groupes de l'industrie de défense. Nous voulons pouvoir également prendre des participations dans ces petites entreprises. C'est pour cela que nous avons créé, en partenariat avec Bpifrance, le fonds Definvest.

Quelle est sa source de financement ?
C'est le ministère via son budget recherche amont. Bpifrance intervient sur la détection des cibles d'investissement. Enfin, nous voulons encourager et faciliter l'innovation interne du ministère, c'est ce qu'on appelle « l'intrapreunariat ». Toutes ces initiatives concernant l'innovation seront fédérées sous une bannière unique de l'Agence de l'innovation. Nous aurons une capacité de pilotage de l'ensemble des projets qui concourt à l'innovation beaucoup plus articulée, beaucoup plus organisée qu'elle ne peut l'être aujourd'hui.

Quelle sera l'articulation de l'Agence de l'innovation avec la DGA, l'ONERA et les centres de recherche ?
L'Agence de l'innovation sera sous l'ombrelle et le pilotage de la DGA. La DGA est et reste l'entité principale qui concourt notamment à l'innovation du ministère des Armées. Il ne s'agit pas de désorganiser mais au contraire de réunir, de rassembler dans une structure unique pilotée par la DGA des initiatives qui sont aujourd'hui assez dispersées au sein du ministère et encore une fois insuffisamment ouvertes à l'écosystème de l'innovation. L'Agence aura un rôle d'animation et de pilotage.

La militarisation de l'espace exige aujourd'hui d'être particulièrement innovant. Que fait la France pour rattraper son retard en matière de surveillance de l'espace ?
La LPM fait le choix d'investir dans des domaines de confrontation particulièrement sensibles et nouveaux. C'est pour cela que nous mettons l'accent sur le renseignement, nous estimons majeure la capacité à comprendre et à anticiper de manière autonome. Nous poursuivons et amplifions l'effort qui avait commencé à être fait sur le cyber. La revue stratégique a clairement identifié l'espace comme un nouveau domaine de confrontation potentiel ou avéré. Par conséquent, la LPM renouvelle l'ensemble des capacités satellitaires dont dispose le ministère : trois satellites Musis, dont un sera lancé en fin d'année, deux satellites d'écoute électromagnétiques CERES lancés en 2020, deux satellites Syracuse 4 qui seront lancés pendant la LPM et un troisième qui sera lancé post-2025. Toutes les études sur le successeur de MUSIS seront également lancées. C'est un effort majeur et un atout stratégique indispensable.

Et en matière d'alerte avancée et de surveillance de l'espace ?
Ces deux sujets vont demander des investissements colossaux. Il ne faut pas le cacher. La France ne pourra pas supporter seule un programme d'alerte avancée et de surveillance de l'espace. C'est pour cela que dans le cadre du Fonds européen de défense, on promeut - et j'espère que nous serons suivis - un projet d'alerte avancée avec des partenaires européens. Sur la surveillance, nous réfléchissons également à proposer un projet au Fonds européen de défense. Par ailleurs, dans le cadre du projet civil horizon 2020, il y a un projet sur la surveillance de l'espace. A plus court terme et de manière tangible, est lancée la rénovation du radar Graves qui permettra, jusqu'à des orbites à 1.200 km, de détecter des objets encore plus petits de l'ordre de la dizaine de centimètres. Nous devrions diviser à peu près par deux la détection de ces petits débris spatiaux. Il y a également des menaces croissantes dans l'espace, notamment de la part des satellites butineurs. La première étape est de les détecter et c'est sur elle que nous faisons aujourd'hui porter nos efforts.

Faut-il mettre de l'intelligence artificielle sur les champs de bataille ?
Il y en a déjà !

Mais jusqu'ici en France, il y avait un tabou...
... Il faut distinguer l'intelligence artificielle, qui est une technologie, et la manière dont elle est mise en œuvre. Par exemple, s'agissant des drones, nous avons déjà eu ce débat au moment de l'annonce des drones armés.

L'homme sera-t-il dans la boucle sur l'intelligence artificielle ?
Oui ! C'est cela qui fait toute la différence. L'intelligence artificielle, c'est une technologie qui permet sur la base d'une numérisation de traiter de façon massive des données provenant des capteurs. Dans dix ans, la masse des données à traiter sur un système d'armes sera probablement bien plus importante encore. Le processus d'apprentissage par les machines elles-mêmes est déjà en cours et nous devons pouvoir bénéficier d'un traitement en temps court d'une masse énorme de données. Mais une fois cette masse de données traitée, l'homme restera dans la boucle pour décider ou pas d'enclencher le système d'arme. Ce n'est pas l'intelligence artificielle qui va appuyer sur le bouton pour enclencher un tir. Il est vraiment essentiel de le rappeler. Nous ne sommes pas en train de fabriquer des robots tueurs mais nous sommes en train d'essayer de tirer le meilleur parti de données qui seront de plus en plus nombreuses et dont nous savons que l'intelligence humaine ne pourra pas à elle seule en tirer tout le sens.

Faut-il aller encore plus loin ?
Il y a plusieurs étapes à l'intelligence artificielle. Les systèmes qui sont aujourd'hui sur le terrain sont des systèmes qui ont fait leur apprentissage en amont et qui appliquent leur apprentissage sur le terrain. Ils sont dans les capteurs, dans les systèmes de renseignement, dans les systèmes de maintenance et de logistique. C'est quelque chose qui est intégré dans la vie quotidienne et dans nos armées. Il existe aujourd'hui un débat qui est légitime : est-ce qu'on peut mettre des systèmes sur le terrain qui vont continuer leur apprentissage dans l'environnement opérationnel ? Il y a de nombreux avantages à étudier au moins cette piste-là sur des fonctions qui ne mettent pas en jeu la chaine de mission et encore moins la chaine de feu. Par exemple, dans le domaine de la maintenance prédictive, ces systèmes peuvent se nourrir de l'environnement qui entoure nos appareils en mission. Cela semble être un gain évident et qui aujourd'hui ne pose pas des questions d'éthique. Il existe de nombreux domaines dans lesquels l'intelligence artificielle pourrait avoir toute sa place au sein d'un environnement de défense. Les questions relatives à la place de l'intelligence artificielle et de l'homme dans la chaine de mission méritent un débat. Le président de la République a présenté une feuille de route très ambitieuse pour l'intelligence artificielle et a notamment souligné l'importance de définir ses enjeux éthiques et politiques. Le ministère des Armées va s'inscrire dans cette réflexion que le Président de la République appelle de ses vœux.

Le projet Poséidon est-il fragilisé par le contexte politique italien ?
Nous avons fixé à l'automne puis en février à Rome un calendrier de travail et demandé aux industriels de nous présenter une feuille de route en juin 2018 afin d'évaluer la pertinence à coopérer sur les bâtiments de surface, notamment les frégates légères. Ce travail, quelle que soit l'évolution du contexte politique italien, ne sera pas perdu et est extrêmement important. Nous verrons en juin quelle est la configuration politique en Italie. Aujourd'hui, nous sommes dans le temps du travail de fond qui doit être mené par les industriels pour identifier la pertinence de ce rapprochement et les conditions de succès associées. L'industrie navale européenne a tout à gagner à se consolider. Nous pouvons faire émerger un géant à part entière, aux compétences préservées et à la taille critique. Nous pouvons faire éclore des synergies, des nouvelles solidarités dont nous sortirons plus forts, plus innovants, plus compétitifs.

Cette opération industrielle nécessite-t-elle un accord intergouvernemental entre la France et l'Italie ?
Un travail en parallèle est en cours sur un possible accord intergouvernemental pour soutenir et porter l'accord qui pourrait intervenir entre les industriels eux-mêmes. Nous sommes suspendus à des décisions qui ne relèvent pas de nous mais je ferai tout pour que ce dossier puisse continuer à avancer. Ce projet est avant tout industriel. C'est un projet dont l'industrie de défense européenne a vraiment besoin pour être plus efficace face à la concurrence mondiale. Plus nous réagirons tardivement, moins l'industrie européenne sera forte et résiliente face à ses concurrents qui montent en puissance.

Comment peut-on concilier le programme SCAF (système de combat aérien futur) avec les Allemands et le programme FCAS (Future Air Combat System) avec les Britanniques ? La France peut-elle financer ces deux programmes ?
Premièrement, je suis confiante dans le fait que nous allons pouvoir continuer à avancer avec les Allemands sur le programme SCAF. Les discussions sont actives. J'ai l'espoir que fin avril, lors du salon aéronautique de Berlin (ILA) nous pourrons matérialiser une première étape significative. Les discussions entre les équipes allemandes et françaises sont intenses. Les industriels travaillent bien ensemble également. Maintenant il faut assurer la convergence des deux processus. Pour ce qui concerne l'élargissement éventuel de ce projet à d'autres partenaires, il faut évidemment ne pas l'exclure mais il y a un temps pour tout. Aujourd'hui la priorité, c'est que le socle franco-allemand soit bien solide avant de commencer à s'ouvrir à d'autres partenaires.
Par ailleurs, il existe un travail entre la France et le Royaume-Uni sur le projet FCAS de drone de combat. Ce projet est en train d'évoluer depuis le sommet franco-britannique du 19 janvier. Nous y travaillons activement et les choses avancent. Nous sommes en train de définir un certain nombre de briques technologiques qui sont très précisément identifiées et qui vont nous permettre de poursuivre ce projet sur un périmètre différent que celui défini auparavant. Je suis tout à fait convaincue que tout ce que nous faisons avec les Britanniques comme avec les Allemands, sera extrêmement utile à la feuille de route sur l'aviation du futur.

Pourquoi ne pas les réunir tout de suite ensemble ?
Parce qu'il faut d'abord que nous consolidions le socle franco-allemand. En parallèle, nous devons poursuivre les travaux franco-britannique et nous verrons, lorsqu'ils auront atteint une maturité suffisante, s'ils peuvent être versés - ou non - au projet SCAF. Tout cela devra être négocié avec les Britanniques.

Sur le programme SCAF, les industriels français estiment qu'il y aura un transfert de technologies vers l'Allemagne. Assumez-vous ce constat au niveau politique?
Il y aura du travail pour tout le monde. Il n'y aura pas que des questions d'avions ou de conception d'avions de combat en tant que tel mais il y aura beaucoup d'enjeux sur les systèmes, la connectivité...En fonction des pays, il y a des compétences, des savoir-faire technologiques et industriels plus ou moins forts. Notre objectif est que collectivement nous montions tous en gamme. Mais l'idée est de construire un programme sur des compétences existantes. Tous ces projets de coopérations, que cela soit avec l'Italie, l'Allemagne ou le Royaume-Uni, dessinent les opportunités de l'Europe de la défense de demain. Nous sommes pionniers d'un tel degré de coopération.

Êtes-vous satisfaite du dénouement chez Airbus ?
L'année 2019 sera une année importante pour Airbus et sa gouvernance.  Factuellement, nous sommes satisfaits de disposer d'un interlocuteur désigné à la tête d'Airbus Helicopters, qui est un enjeu très important pour nous et que Guillaume Faury continue d'assurer son rôle de référent défense.

Patrice Caine ferait-il un bon président d'Airbus ?
Patrice Caine est un très bon président de Thales. Il ne m'appartient pas de faire tout autre commentaire.

Michel Cabirol

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Commentaires 21
à écrit le 07/04/2018 à 19:11
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Avoir le savoir faire, les capacite technique ou construire des robot tueur sont deux chose differant , par compte ne pas avoir les capacite serai regrettable en ças dè guerre total.... Donc voila, toute est une question de savoir se que nous voulo...

à écrit le 07/04/2018 à 8:38
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Wars commentaires pas plus stupides que tes triples NA !

à écrit le 06/04/2018 à 23:25
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Quand je lis tous ces commentaires je me dis qu'on a vraiment la chance en France d'avoir tant de " gros cerveaux " ! ils feraient surement de bons ministres .... Que de commentaires stupides de prétentieux qui se croient plus savants que tout le mo...

le 07/04/2018 à 21:36
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sots nous sommes peut-être mais votre commentaire est plus que cela, ras des pâquerettes, donnez nous la version de votre grande analyse d'intello sur la situation lamentable de notre pays avec macron, merci O grand intello, à QI de 140, voire plus. ...

à écrit le 06/04/2018 à 23:25
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Quand je lis tous ces commentaires je me dis qu'on a vraiment la chance en France d'avoir tant de " gros cerveaux " ! ils feraient surement de bons ministres .... Que de commentaires stupides de prétentieux qui se croient plus savants que tout le mo...

à écrit le 06/04/2018 à 23:18
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Quand je lis tous ces commentaires je me dis qu'on a vraiment la chance en France d'avoir tant de " gros cerveaux " ! ils feraient surement de bons ministres .... Que de commentaires stupides de prétentieux qui se croient plus savants que tout le mo...

à écrit le 06/04/2018 à 17:24
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La même qui à avaler pendant des années 52000€/mensuel au frais du contribuable mais pour ça on continu....la trajectoire est bonne commandant les moutons n'ont rien vu ou ne le veulent pas...ils préfèrent se manger entre eux...l'élite à donc réussi ...

à écrit le 06/04/2018 à 13:09
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Avant de fabriquer des robots tueurs je pense d'abord qu'ils fabriqueront la version collecteur d'impôts.

à écrit le 05/04/2018 à 21:59
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https://www.marxists.org/francais/luxembur/works/1911/05/utopies.htm

à écrit le 05/04/2018 à 21:52
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L’avenir c’est La Défense prédilection L’action par la «  pensée » Commander des drones par la «  pensée » et à «  distance « ( il y a des recherches sur cette technologie IA) A la rigueur je m’en fiche de tout ça , de toute manière, on va tous mou...

à écrit le 05/04/2018 à 19:00
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Nous ne sommes pas en train de fabriquer des robots tueurs: Non cela existe cela se nomme un député ou un ministre LREM. Garanti sans silicium.

à écrit le 05/04/2018 à 18:54
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Etrange conception de la Défense; compatible, hélas, avec l'énarquisation du gouvernement

le 05/04/2018 à 23:07
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pourtant il y a bien longtemps que nous n'avons pas eu un Ministre des Armées de ce niveau à l'exception de J-Y Le Drian ! Chapeau Madame ! ça nous change des rodomontades de Madame Alliot-Marie !

à écrit le 05/04/2018 à 14:36
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"Nous ne sommes pas en train de fabriquer des robots tueurs" (Florence Parly) Nous le sommes déjà en imposant le traité de Lisbonne refusé en 2005 par les français par référendum.

à écrit le 05/04/2018 à 14:31
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Le fond européen de défense sert pour le moment à financer l'industrie de défense de pays qui n'y mettaient pas les moyens dans un but exclusivement économique. Il n'y a aucun critère stratégique européen; il n'y a qu'à voir le programme de drones em...

à écrit le 05/04/2018 à 13:56
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Évidemment qu’il faut automatiser le « traitement » des cibles hostiles au Sahel. Très bon ban d’essai et de mise au point de nos technologies. Il faut traiter à la source avant de recevoir les infiltrés...

à écrit le 05/04/2018 à 13:36
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Après tout, les robots vont occuper des emplois salariés, il serait normal que les employeurs les utilisant payent des charges sociales sur ces machines. Il faudra bien payer les dépenses sociales et les retraites.

à écrit le 05/04/2018 à 12:57
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Sachant que toute interview d'un politicien au pouvoir est remaniée en interne avant de paraitre (ils modifient leurs réponses et inventent même des questions, allez donc voir la Voix du Nord ;)) quand je vois ce genre d'article je ne peux pas résist...

à écrit le 05/04/2018 à 12:29
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les drones ont toujours une validation humaine comme pour les avions de combats, les predateur, il y un navigateur et un officier du système d'armement. dans le du futur neuron/fcas, le nosa du rafale pourra agir à courte distance si ce n'est pas ...

à écrit le 05/04/2018 à 11:49
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"Tous ces projets de coopérations, que cela soit avec l'Italie, l'Allemagne ou le Royaume-Uni, dessinent les opportunités de l'Europe de la défense de demain." lol "L'europe de la défense de demain", celle dont on parlait déjà... avant hier !...

à écrit le 05/04/2018 à 11:45
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Les "Robots tueurs" existent déjà et il n'y a pas à les fabriquer, la nature humaine s'en est chargée avec célérité !

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