Si, si le groupe émirien EDIC s'offre la PME centenaire française Manurhin

Par Michel Cabirol  |   |  743  mots
"Le tribunal de Mulhouse s'est prononcé avec pragmatisme en faveur du projet financier le plus solide pour Manurhin", a estimé le président du directoire de Manurhin Rémy Thannberger, (Crédits : Manurhin)
La chambre commerciale du tribunal de grande instance de Mulhouse a confié la reprise du fabricant de machines de munitions Manurhin, au groupe de défense des Emirats Arabes Unis EDIC.

Manurhin, ne m'appelez plus jamais France. C'était écrit. Et depuis trop longtemps. Le fabricant de machines de munitions "Made in France" passe donc sous pavillon émirien avec les félicitations du ministre de l'Economie. Pourtant partisan d'une Europe de la défense forte, Bruno Le Maire n'a cette fois-ci en rien facilité le rapprochement avec le belge New Lachaussee en vue de créer un leader mondial européen. Pas plus qu'il n'a aidé les deux PME tricolores - le groupe familial Odyssée Technologies et la PME grenobloise ECM Technologies -, intéressées par les performances commerciales de Manurhin, qui exporte 100% de sa production.

La chambre commerciale du tribunal de grande instance de Mulhouse (Haut-Rhin) a décidé d'un "plan de cession au profit de la société EDIC avec une prise d'effet à (mercredi)", a indiqué le greffe.

Entre les discours sur l'industrialisation de la France et la réalité, il y a visiblement un décalage, notamment pour les PME. Ainsi, un certain nombre de banques n'ont pas voulu suivre ECM Technologies dans cet investissement en raison de la production de Manurhin (armement). Et dire qu'il y a peu de temps encore la puissance publique détenait 43% de Manurhin : Giat-Industries (21,5% du capital) et Bpifrance (21,5%). Un gâchis qui profite à EDIC (Emirates Defense Industries Company) et à une vieille connaissance de la France, Luc Vigneron, qui a flairé la bonne affaire. Et ce d'autant qu'il est en charge de développer une industrie de la défense aux Emirats Arabes Unis (EAU). Un joli coup pour l'ancien patron de Thales et un comble pour la France. Car elle "a laissé partir à l'étranger cette entreprise", a regretté le président du directoire de Manurhin Rémy Thannberger.

Comment EDIC a mis la main sur Manurhin

"Le tribunal de Mulhouse, qui connaît l'unique cause de nos difficultés, s'est prononcé avec pragmatisme en faveur du projet financier le plus solide pour Manurhin", a estimé dans un communiqué le président du directoire de Manurhin Rémy Thannberger, beau joueur. Luc Vigneron était d'ailleurs récemment venu se faire une idée pendant 48 heures du potentiel de Manurhin. Il a alors acquis la conviction que cette PME devait être reprise par EDIC.

Ainsi, l'offre de reprise du groupe émirien, soutenu par le très puissant fonds Mubadala, prévoit de conserver 104 salariés sur les 145 que comptait l'entreprise au moment de la mise en redressement judiciaire. En outre, EDIC va apporter 10 millions d'euros en capital et va rajouter 25 millions en compte courant, ce qui va soulager la trésorerie de Manurhin en souffrance. Soutenu par les autorités des EAU, partenaire stratégique de la France au Moyen Orient, EDIC produit déjà des munitions, des armes légères et des blindés. Avec Manurhin, il va détenir la totalité de la filière.

"Edic reprend l'intégralité de notre carnet de commandes et le fait que plus des deux tiers des effectifs soient conservés à Mulhouse montre que nous avons su préserver le savoir-faire de l'entreprise, et surtout le transmettre à une nouvelle génération de collaborateurs prometteurs", a expliqué Rémy Thannberger. Toutefois, il a regretté que "la France ne croit plus en son industrie".

Les banques aux abonnés absents

La direction de Manurhin explique les difficultés du fabricant par l'impossibilité à financer ses commandes à l'export en ayant accès au crédit bancaire. La PME ne pouvait plus  "depuis des mois, obtenir des banques françaises privées ou publiques, le moindre euro de crédit, et ce en dépit d'un historique bénéficiaire en 2013, 2014 et 2015", avait-elle expliqué en juin 2017 dans un communiqué. En conséquence, le chiffre d'affaires a chuté à 12,1 millions d'euros en 2017, soit moins de la moitié de 2016, alors que son carnet de commandes s'établit à 100 millions d'euros. La perte nette 2017 avait atteint 16,7 millions d'euros. Ce qui devait arriver, est arrivé avec la mise en redressement judiciaire et la reprise de la PME mulhousienne par un groupe étranger.

Pourtant l'ancien ministre de la Défense de François Hollande, Jean-Yves Le Drian, actuellement au Quai d'Orsay, avait eu la volonté de créer une filière de munitions de petit calibre "Made in France" à laquelle devait participer Manurhin. Ce projet, qui aurait pu être les prémices d'une solution pour Manurhin, a finalement été abandonné en rase campagne par la nouvelle équipe au pouvoir. Un vrai gâchis à la française.