Trois questions sans réponse autour du vol VA241 d'Ariane 5

Par Michel Cabirol  |   |  1038  mots
Une erreur de réglage des centrales inertielles sur deux précédents tirs d'Ariane 5 avait déjà été détectée lors des contrôles des lanceurs en question. Pourquoi cela n'a pas été le cas pour le vol V241?

Du flou et des omissions. En dépit du communiqué d'Arianespace publié vendredi sur les conclusions de la commission d'enquête indépendante mise en place par l'Agence spatiale européenne (ESA), il reste encore trop de flou et des omissions sur ce qui s'est réellement passé, notamment lors de la préparation du lanceur Ariane 5 et les procédures de vérifications faites, avant le fameux lancement VA241 le 25 janvier dernier. Peut-être que le rapport de la commission d'enquête indépendante présidée par l'inspecteur général de l'ESA, Toni Tolker-Nielsen, est plus détaillé et explicite. Tout comme l'audit interne d'ArianeGroup.

Car le communiqué d'Arianespace, lui, ne donne aucune indication sur le pourquoi de l'anomalie du vol VA241 et, surtout, pourquoi elle n'a pas été détectée lors des contrôles sur le lanceur. En outre, Ariane 5 aurait-elle dû être détruite comme certains observateurs l'avancent ? Enfin, y a-t-il eu un risque pour les populations de Guyane ? Des questions qui restent pour le moment sans réponse. A croire que la filière spatiale souhaite mettre une chape de plomb sur l'anomalie du vol VA241 et passer à autre chose. Mais selon des sources concordantes, un rapport d'enquête a été commandé par la ministre en charge de l'espace, Frédérique Vidal, à l'ancien président du CNES, Yannick d'Escatha, sur le vol VA241. Gageons que celui-ci apportera des réponses.

Pourquoi ArianeGroup a-t-elle commis cette erreur?

Cette autre question est pour l'heure également sans réponse. Le public doit se contenter de cette information donnée par Arianespace : "Les investigations de la commission d'enquête indépendante ont démontré que l'anomalie de trajectoire résulte d'une valeur erronée dans la spécification de mise en œuvre des deux centrales inertielles du lanceur".  C'est un peu court... Selon nos informations, une erreur humaine a bien été commise lors du réglage des centrales inertielles. Ce qu'a confirmé Frédérique Vidal à l'Assemblée nationale : "Il s'est agi d'une erreur de paramétrage et non d'une défaillance du lanceur". Une erreur vraisemblablement dans les paramètres rentrés entre l'azimut de la plateforme et l'azimut du tir pour caler les deux centrales. "Schématiquement Ariane 5 était programmée pour aller à Boston, elle est partie vers Chicago", explique-t-on à La Tribune.

Faut-il incriminer la nouvelle organisation mise en place pour ce lancement, ArianeGroup étant responsable pour la première fois du lanceur jusqu'à son décollage (H0) alors qu'auparavant les équipes d'Arianespace l'étaient? Chez ArianeGroup, on affirme avec force que les procédures de contrôle n'ont pas été changées sur ce vol. Soit, mais alors pourquoi les contrôles n'ont rien détecté? Fatalité? Trop facile car, selon nos informations, la même erreur d'inversion des deux paramètres pour caler les deux centrales aurait déjà eu lieu sur deux tirs précédents, dont le dernier lancement des satellites Galileo, mais aurait été détectée lors des procédures de contrôle. Une information qui intéresse l'opérateur émirati Yahsat, qui avait assuré son satellite pour environ 270 millions de dollars auprès d'un consortium d'assureurs. Déposé sur une orbite dégradée, ce satellite devrait perdre la moitié de sa durée de vie contractuelle (huit ans sur 15 prévus). Cette anomalie pourrait entraîner le taux d'assurance des lancements opérés par Arianespace...

Les travaux de la commission d'enquête indépendante ont mis en évidence la nécessité "d'accroître la robustesse du contrôle de certaines données utilisées pour la préparation de la mission". Une recommandation qui avait déjà été faite à l'issue des enquêtes après le vol 517 (décembre 2002). Depuis cet échec retentissant, Ariane 5 n'avait cumulé que des succès. Cette recommandation de la commission d'enquête sous entendrait un relâchement dans les contrôles. Plus globalement, ces recommandations visent ainsi "à renforcer le processus d'élaboration et de vérification des documents requis pour la préparation du lanceur et à introduire des contrôles de cohérence complémentaires".

Pourquoi la sauvegarde n'a pas été déclenchée?

Des observateurs estiment que la sauvegarde manuelle, pouvoir aux mains du CNES, aurait dû être déclenchée puisque le lanceur est très certainement sorti de son couloir de vol. Mais cela ne semble pas aussi simple. Car le lanceur n'était pas dégradé, notamment les paramètres concernant la propulsion et la pression des réservoirs étaient nominaux. "Ils ont donné la chance au lanceur", estime un bon connaisseur du dossier. C'est d'ailleurs déjà arrivé qu'un lanceur sorte de son couloir de vol en raison de rafales de vent puissantes avant d'y revenir. Sans que cela pose problème.

En tout cas, l'enquête confiée à Yannick d'Escatha devra éclairer les pouvoirs publics français sur cet aspect du dossier. Le CNES a-t-il bien fait de ne pas détruire le lanceur? A priori, oui. Le lanceur a parfaitement fonctionné. Enfin, les deux satellites vont rejoindre leur orbite même si Al Yah 3 va avoir une durée de vie considérablement réduite.

Les populations ont-elle été en danger?

Si le CNES avait déclenché la sauvegarde du lanceur, les populations de Kourou et des environs auraient-elles été en danger compte tenu du décalage de la trajectoire du lanceur de 20° vers le sud? Pour la ministre en charge de l'Espace, ce n'est pas le cas. "En ce qui concerne la sécurité des populations en Guyane, il faut souligner qu'Ariane 5 n'a pas survolé Kourou, même si sa trajectoire s'en est approchée plus que lors les lancements précédents, ce qui a évidemment généré une forte émotion", a expliqué Frédérique Vidal à l'Assemblée nationale.

De nombreuses personnes ont pourtant cru voir le lanceur survoler Kourou. Seuls les paramètres du vol, s'ils étaient rendus publics, pourraient dissiper ce doute. De plus, la destruction du lanceur aurait pu être très préjudiciable aux populations guyanaises avec  la chute d'éléments appelées tôles planantes par les experts, et la formation d'un nuage potentiellement toxique provoqué par les ergols des satellites.