La mode circulaire, tendance à contre-courant

Des solutions visant à optimiser l'utilisation de ressources et à réduire le gâchis de matières textiles se développent et deviennent « branchées ». "La Tribune" a fait le point dans une enquête en mars dernier, à l'occasion de la Fashion Week. Nous la republions à la veille du lancement, ce samedi, d'une campagne de sensibilisation réunissant plus de 66 marques de textiles d'habillement, linge de maison et chaussures où elles invitent à réparer, réutiliser ou recycler leurs produits.
Giulietta Gamberini
93% des Français interrogés déclarent tenter d'allonger la durée de vie de leurs produits en améliorant leur entretien.
93% des Français interrogés déclarent tenter d'allonger la durée de vie de leurs produits en améliorant leur entretien. (Crédits : iStock)

[Article initialement publié le 2 mars 2019]

Le vent a brusquement tourné en 2013, lorsque à l'ouest de Dacca, au Bangladesh, le Rana Plaza, un immeuble abritant des ateliers de confection textile pour plusieurs marques internationales, s'est soudainement effondré. Depuis cette tragédie, qui a causé la mort de 1127 personnes, le regard des consommateurs occidentaux sur la mode n'est plus le même : la « fashion addiction » a commencé à se fissurer, au profit des critiques contre la « fast fashion ». Études, articles de presse, statistiques ont fait émerger les revers bien peu glamour des tendances qui se suivent mais ne se ressemblent pas.

Ainsi, selon une compilation de chiffres effectuée par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) en 2018, avec 1,2 milliard de tonnes de gaz à effet de serre émises chaque année, l'industrie de la mode devance l'impact climatique négatif des vols internationaux et du trafic maritime réunis.

Entre 2000 et 2014, sa production a doublé, en dépassant les 100 milliards de vêtements vendus dans le monde - dont 2,5 milliards en France -, et devrait encore croître de 63% dans les dix prochaines années. Elle consomme 4% de l'eau potable de la planète. Sans compter les conditions indécentes de nombreux travailleurs du textile, révélées justement par le drame du Rana Plaza...

Alors que, du 25 février au 5 mars, se tient à Paris la Fashion Week, une « mode circulaire », visant à optimiser l'utilisation de ressources et à réduire le gâchis de matières textiles, se développe ainsi doucement dans le sillon d'une mode plus éthique (voir l'encadré). Selon la fondation Ellen MacArthur, si elle concernait l'ensemble de l'industrie, elle éviterait de gaspiller 560 milliards de dollars : 460 en raison de la sous-utilisation des vêtements et 100 à cause de l'incinération et de l'enfouissement d'habits encore en état d'utilisation.

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Le recyclage ne résout pas tout

En France, un coup d'accélérateur a été donné en 2006 lorsque, via la création par la loi d'une filière de responsabilité élargie du producteur (REP) pour les produits textiles d'habillement, le linge de maison et les chaussures (TLC), les metteurs sur le marché de ces articles ont été contraints de prendre en charge, du moins financièrement, la gestion de leur fin de vie.

L'agrément en 2009 de l'éco-organisme de la filière, Eco TLC, a permis de structurer la collecte des TLC usagés, via quelque 43.000 points d'apport volontaire désormais présents sur le territoire français. Résultat : sur les 624.000 tonnes de TLC mises sur le marché chaque année en France, 184.000 ont été triées en 2017, pour être soit revendues comme vêtements d'occasion (58%), soit recyclées (32%).

Toutefois, comme le note Greenpeace dans un rapport de janvier 2017, cette solution est loin de tout résoudre. Certes, l'utilisation de fibres recyclées se développe. Certaines marques, comme Hopaal en France, font même le choix de dessiner et concevoir des vêtements intégralement réalisés à partir de matières premières secondaires. Malgré quelques difficultés techniques - liées aux caractéristiques particulières des fils recyclés - et d'importantes contraintes économiques - leurs prix peuvent atteindre le double des prix des fils vierges -, elles prospèrent, en profitant de l'engagement d'une partie des consommateurs : depuis sa création en 2016, Hopaal a doublé son chiffre d'affaires, explique l'un de ses cofondateurs, Mathieu Couacault.

Mais malgré ces quelques succès, l'incorporation de textiles recyclés dans les habits reste encore insuffisante pour permettre à l'industrie du recyclage de devenir compétitive par rapport à la production de matières premières vierges, regrette le directeur général d'Eco TLC, Alain Claudot. Moins d'un tiers des Français a d'ailleurs acheté des produits intégrant des fibres recyclées, révèle un sondage mené en juillet 2018 par l'éco-organisme. Un manque de débouchés qui risque d'ailleurs de faire obstacle à un élargissement de la collecte, note le directeur.

La quasi-totalité des habits triés sont en outre exportés, pour être transformés en fibres recyclées dans les pays où se concentre l'industrie textile, comme l'Inde et le Pakistan, ou pour être revendus en Afrique et en Europe de l'Est, reconnaît Alain Claudot.

Or, « certains pays, notamment en Afrique, croulent littéralement sous nos vêtements usés et de mauvaise qualité, et envisagent d'en restreindre l'importation pour protéger leurs marchés locaux », déplore Greenpeace, qui souligne également que « les exportations augmentent la pollution ».

Les plateformes de revente d'habits cartonnent

D'autres solutions commencent donc à séduire les Français. 93% d'entre eux déclarent ainsi tenter d'allonger la durée de vie de leurs produits en améliorant leur entretien, alors que 91% s'adonnent aux réparations et aux retouches, selon le sondage de 2018 d'Eco TLC. 62% effectuent même des achats d'occasion, notamment dans des vide-greniers et des brocantes, mais aussi sur Internet.

Cette appétence ouvre de nouveaux marchés, et est même à l'origine de véritables success stories. C'est le cas des plateformes où les consommateurs peuvent revendre leurs habits, plébiscitées par les adeptes du mouvement « zéro déchets », par les consommateurs les plus fauchés mais aussi par les « fashionistas », qui espèrent y dénicher des perles rares. Parmi les plus connues en France, Vestiaire Collective et Vide Dressing, toutes les deux créées en 2009. La première, qui depuis sa naissance a levé 116 millions d'euros, couvre aujourd'hui l'Europe, les États-Unis et l'Asie. La deuxième, dont les levées de fonds atteignent désormais une bonne dizaine de millions d'euros, a été rachetée fin 2018 par Leboncoin.

Mais des acteurs étrangers cartonnent également sur le marché français : notamment le lituanien Vinted qui, moins axé « luxe » que ses homologues français, compte désormais 8 millions d'utilisateurs dans l'Hexagone, sur un total de 21 millions : son premier marché. D'autres, comme l'espagnol Micolet, présent en France depuis 2017, se lancent malgré cette concurrence. Pour cause : ici, où le marché des textiles est globalement en perte de vitesse, la vente d'habillement de seconde main, aujourd'hui évaluée à 1 milliard d'euros, est selon l'Institut français de la mode, l'une des rares à avoir un avenir - avec le luxe et les chaînes à bas prix.

La location et l'éco-conception s'affirment

Pour les consommateurs qui souhaitent s'engager dans une démarche encore plus radicale de déconsommation, d'autres offres voient aussi le jour. L'économie de la fonctionnalité rejoint la mode, via la multiplication des magasins ou des sites proposant une alternative à l'achat de vêtements : la location.

Si certains (Les Cachotières, Une Robe Un Soir, C'est ma robe, Mabonneamie, etc.) se focalisent sur l'emprunt occasionnel de tenues particulières (robes de soirée, de mariage), d'autres (Hylla, Tale Me, Le Closet, Le Grand Dressing, Panoply, etc.), permettent, sur abonnement, de recevoir régulièrement de nouvelles pièces, Une solution qui rencontre sans doute encore des résistances - seuls 13 % des Français l'ont pratiquée selon Eco TLC -, mais qui s'affirme doucement, comme en témoigne un récent partenariat entre Panoply et les Galeries Lafayette, qui hébergent désormais la startup.

L'éco-conception trouve aussi des applications à contre-courant de la fast fashion. Les marques proposant des habits résistants (Loom) et - c'est assumé - « indémodables » (Jules & Jenn) sont de plus en plus nombreuses. Les vêtements pour enfants sont repensés pour s'adapter à leur croissance (Kidikado). Des alternatives qui dans la mode peuvent même être vues comme « disruptives », puisqu'elles remettent en cause le concept même de « tendance »... mais qui font de plus en plus partie de l'univers « branché ».

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ENCADRE

L'essor de la mode éthique

Le scandale du Rana Plaza a aussi exigé des grandes marques une révision de leurs modèles. Depuis, chaque année, une « Fashion Revolution Week » se tient dans quelque 90 pays du monde pour interpeller sur les conditions de fabrication des vêtements, via le hashtag #whomademyclothes. Et les grands groupes ont multiplié les engagements.

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North Sails, vêtements

[Certaines marques développent même des gammes issues du recyclage de déchets autres que les déchets textiles. C'est le cas de North Sails, qui commercialise des vêtements fabriqués à partir de bouteilles en plastique recyclées.]

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En 2016, H&M, qui propose un service de collecte de vêtements usagés depuis 2013, a lancé une grande campagne de sensibilisation sur le sujet en y associant l'artiste londonienne M.I.A. En 2018, lors de la COP 24 en Pologne, 43 très grosses enseignes (d'Adidas à Gucci, de Levi's à Burberry) ont signé une « charte de l'industrie de la mode pour l'action climatique », en s'y engageant à réduire de 30% leurs émissions de gaz à effet de serre avant 2030. Et en janvier 2019, la mairie de Paris, suivie par LVMH, Chanel et Kering, a lancé l'association Paris Good Fashion, visant à réunir tous les acteurs du secteur pour faire de la ville, en 2024 (année des Jeux olympiques), la capitale de la mode durable.

Selon Greenpeace, qui dès 2011 a lancé une campagne (« Detox ») dénonçant l'utilisation de produits chimiques toxiques par l'industrie textile, 80 entreprises, représentant 15% de la production textile mondiale, se sont désormais engagées à la réduire avant 2020. D'autres se sont unies à la fondation Ellen MacArthur autour de divers objectifs d'économie circulaire. En France toutefois, selon Eco TLC, l'économie circulaire n'a pris « un vrai tournant » que pour 6% des entreprises de la filière.

Giulietta Gamberini

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Commentaire 1
à écrit le 02/03/2019 à 10:09
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En effet et il est vraiment mais vraiment dommage que notre union européenne se soit dirigée à fond dans le consumérisme de masse générant dumping fiscal et social à foison au lieu de se reposer sur notre si puissante culture européenne totalement in...

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