Après quarante ans de vicissitudes, l'usine d'Aulnay produit sa dernière voiture

Par Alain-Gabriel Verdevoye  |   |  1068  mots
Une dernière voiture, une C3, sortira ce vendredi de l'usine PSA d'Aulnay, en Seine-Saint-Denis. Un site vieux de quarante ans à la qualité et la productivité médiocres qui a connu une vie sociale pour le moins agitée, etque PSA aurait volontiers fermé avant.

Quarante ans après, c'est fini. L'usine PSA d'Aulnay (Seine-Saint-Denis) assemblera vendredi 25 octobre sa dernière Citroën C3. Un arrêt symbolique, car, depuis la mi-janvier, les chaînes ne tournent quasiment plus. La production a d'abord été paralysée par quatre mois de grève dure à l'appel de la CGT en début d'année. PSA a même dénoncé les "dégradations" et  la "terreur", qui règnent selon la direction sur le site, ainsi que les "menaces de mort".

Les salariés sont rapidement partis par centaines, et, faute de bras, la production n'a jamais vraiment redémarré. Vendredi, en tous cas, tout le monde versera une larme nostalgique sur cette page de l'histoire industrielle française qui se tourne. Un événement fort et symbolique, puisque la dernière fermeture d'une usine de montage automobile en France remontait… à 1992, lors de l'arrêt du site Renault de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). Derrière l'émotion, PSA n'est pas fâché de se débarrasser enfin d'Aulnay, une… usine ultra-syndiquée aux conflits violents, à la productivité et à la qualité réputées médiocres !

Grève dure en 1982

A son démarrage en 1973, le site se fait d'abord la main en produisant les dernières Citroën DS, avant de lancer en 1974 la fabrication de la Cx, remplaçante de la célèbre DS et haut de gamme de la firme aux chevrons. Plus d'un million de Cx seront d'ailleurs assemblées jusqu'en 1989. Destinée à remplacer les anciens ateliers du quai de Javel à Paris, ultra-moderne avec ses ateliers lumineux et ses espaces verts, l'usine rassemble, à l'orée des années 70, le nec plus ultra de la robotisation et de l'ergonomie.

Alors que l'industrie automobile française tourne à plein régime dans une atmosphère de quasi-plein emploi, Citroën doit faire appel à une forte proportion d'immigrés maghrébins, notamment marocains. 67% des salariés sont d'origine étrangère en 1978, selon Vincent Gay, auteur d'une thèse d'histoire sur les ouvriers immigrés dans les usines d'Aulnay et Poissy.

Au début, ça ne rigole pas : les nouveaux venus sont fortement encadrés et  incités à prendre leur carte du syndicat maison, la CSL. La discipline y est militaire. On ne badine pas avec l'autorité. Mais, soutenue par les élus communistes de la zone, la CGT part à l'assaut du site et devient majoritaire. C'est le début des grandes grèves. L'usine cesse ainsi le travail en 1982, alors qu'elle produit des LN et Visa, deux modèles sur base de la petite Peugeot 104 (Peugeot a racheté Citroën en 1976 pour former le groupe PSA). Les ateliers seront  du coup paralysés du 26 avril au 1er juin. La qualité des produits s'effondre, tout comme la productivité.

Reprise en mains

Repris en mains en 83-84 par la direction, le site recommence ensuite à faire des produits de qualité acceptable (Citroën Ax et Zx, Peugeot 205). Un plan social élimine au passage un certain nombre de syndicalistes. La CSL  redevient majoritaire jusqu'en 2007(sous le nom de SIA). Mais, le fort taux d'analphabétisation du personnel (25% des effectifs à l'époque) rend difficile l'application des nouvelles méthodes édictées par PSA d'auto-contrôle de la qualité par les opérateurs eux-mêmes.

"A partir du milieu des années 90, la qualité et la productivité se dégradent de nouveau. Les modèles doivent être retouchés massivement en fin de ligne. Et certains songent alors au sein du groupe PSA à fermer le site", explique un ancien responsable du constructeur français. Mais, le nouveau patron de PSA, Jean-Martin Folz, assigne comme objectif ambitieux que le groupe produise 4 millions d'unités annuelles. Il affirme donc avoir besoin de tout le potentiel industriel disponible. Et, en 2004, l'usine bat d'ailleurs son record avec près de 420.000 voitures fabriquées (Citroën C2 et C3).

Las : l'objectif des 4 millions se sera jamais atteint par PSA, qui se retrouvera vite en graves surcapacités. Et ce, d'autant plus que le constructeur a ajouté deux usines en Europe de l'est (Trnava en Slovaquie et Kolin en République tchèque avec Toyota).

Vers la fermeture

En mars 2005, un nouveau mouvement de grève secoue l'usine d'Aulnay, puis un autre début 2007. Comme PSA se retrouve progressivement en crise, avec des ventes en chute, l'idée de fermer Aulnay resurgit. La CGT révèle du coup en juin 2011 une note confidentielle de la direction envisageant la fermeture du site à problèmes. L'arrêt d'Aulnay sera finalement annoncé à l'été 2012 par Philippe Varin, le patron actuel de PSA.

Avant les élections présidentielles, le candidat du PS François Hollande a bien promis le soutien aux salariés. Mais, une fois élu, un rapport à la demande du gouvernement confirmera opportunément l'urgence pour PSA de… fermer le site !

"La nécessité, dans son principe, d'un plan de réorganisation des activités industrielles et de réduction des effectifs n'est malheureusement pas contestable", conclut ledit rapport mandaté par Arnaud Montebourg, le ministre du Redressement productif.

Il est vrai que les usines européennes de PSA tournent à peine à 73% de leurs capacités actuellement et que la situation de la firme française se dégrade dangereusement. Après une alliance avec GM début 2012 qui montre rapidement ses limites, PSA doit piteusement appeler aujourd'hui le chinois Dongfeng et l'Etat français à la rescousse, pour recevoir de l'argent frais.

Aulnay, qui n'a produit que135.700 véhicules l'année passée, se consacrera désormais à la fabrication de pièces détachées jusqu'à sa fermeture définitive en 2014. Plus de mille salariés ne sont toujours pas fixés sur leur sort, sur les 3.000 que comptait le site lors de l'annonce de sa fermeture.

La production en France divisée par deux

Au-delà du problème spécifique d'Aulnay, se pose à présent celui du devenir de la production automobile en France dans son ensemble. Les deux constructeurs tricolores Renault et PSA ont encore réduit leurs fabrications en France de 20,8% au premier semestre à 758.455 unités, selon  le Comité des constructeurs français d'automobiles (CCFA).

La baisse est de 25% pour PSA et de 11,3% pour Renault. La production de Renault et PSA en France est d'ailleurs en chute libre structurelle.  Entre 2005 et l'an dernier, elle a été divisée carrément par deux, passant de 3,15 millions d'unités  à 1,65 million !

>>> DIAPORAMA L'usine PSA d'Aulnay, quarante années de blues