Diesel ou essence : pourquoi les constructeurs français font semblant d'hésiter

Par Nabil Bourassi et Dorian Perron  |   |  1075  mots
Le 1er janvier 2015, le diesel augmentera de 4,8 centimes à la pompe.
Le débat sur le diesel bat son plein, mais les constructeurs français continuent à y croire... Tout du moins, officiellement ! En réalité, ils orientent de plus en plus leurs investissements sur les motorisations essences.

Le sujet est devenu épineux. On ne compte plus les études et les prises de position anti-diesel. Le classement de ce carburant comme gaz cancérigène par l'OMS en juin 2012 avait achevé de convaincre les écologistes de tous bords à s'allier dans une croisade contre le diesel.

Le sujet avait même suscité la controverse au sein du gouvernement de Jean-Marc Ayrault quand Arnaud Montebourg avait tancé la ministre de l'environnement de l'époque, Delphine Batho, pour ses prises de position sur les motorisations diesel. Le ministre du redressement productif y voyait une menace pour l'industrie automobile française, spécialiste du diesel. S'il a provisoirement eu gain de cause, le sujet est encore en sursis et les constructeurs automobiles français le savent.

Le "diesel-bashing"

Pour eux, le diesel n'est certes pas une religion, mais ils le défendent becs et ongles. Cette motorisation représente encore 70% des ventes en France et 55% en Europe, mais cette proportion baisse au fil des années. En France, elle était de 77% en 2008 et le Comité des constructeurs français d'automobile prévoit qu'elle passe à 50% en 2020. Mais pour Renault et PSA, il n'est pas question pour autant de nourrir le "diesel bashing".

PSA se dit victime d'un mauvais procès. Le groupe rappelle avoir fourni d'importants efforts en R&D pour rendre ces motorisations plus propres. Il estime avoir réduit de 99% les émissions de particules, et de 98% celles de NOX (oxyde d'azote, un gaz à effet de serre). D'ailleurs, le groupe a choisi de jouer la carte de la pédagogie pour sensibiliser l'opinion publique et les pouvoirs publics à cette cause.

Une commission d'étude indépendante demandée

Cette semaine, Carlos Tavares, PDG de PSA, s'est d'ailleurs exprimé à Paris devant les étudiants de grandes écoles et universités parisiennes, lors d'une conférence organisée par Les Mardis de l'ESSEC :

"Depuis septembre, la réglementation européenne concernant le diesel, qui est une des plus sévères au monde, est passée de Euro 1 à Euro 6 pour toutes les voitures. Les constructeurs automobiles ont du réaliser des progrès énormes, et nous avons souvent été précurseurs. Cette réglementation nous a amenés à un niveau de quasi neutralité entre l'essence et le diesel en matière d'émissions de particules. La nouvelle règlementation prévoit également la diminution des émissions de dioxyde de carbone. Et, sur ce point, force est de constater que le diesel a une efficacité 15% supérieure à celle de l'essence."

Il a également annoncé avoir demandé auprès de l'État la création d'une commission de scientifiques indépendants qui analyseraient tous les résultats des études et tests des constructeurs dans ce domaine, et d'en tirer des conséquences objectives.

"Nous nous sommes par ailleurs engagés à une totale transparence de nos résultats auprès de cette commission. Notre proposition est de travailler sérieusement à établir une définition de ce qu'est un véhicule propre, plutôt que de choisir de privilégier tel ou tel carburant. "

  >> Lire : "Il n'y a pas à choisir entre essence et diesel" (Interview de Carlos Tavares)

Renault abonde dans le même sens

Même son de cloche chez Renault qui utilise des arguments similaires. Le groupe argue également, tout comme son compatriote, sur la responsabilité d'un parc automobile diesel vieillissant. L'essentiel des émissions de particules sont dues à de vieilles motorisations diesel mal équipées (absence de filtres à particules...).

Mais l'argument suprême reste la nécessité d'atteindre les objectifs de réduction de CO2. L'objectif de 95g en 2020 est à portée de... diesel ! Les motorisations essence ne sont pas encore prêtes à une telle efficience.

Ni chez l'un ni chez l'autre, la page du diesel ne veut être tournée. Ainsi, Renault travaille sur une solution hybride mais laisse planer le mystère sur le choix de la motorisation. De son côté, PSA n'exclut pas que les pays émergents confrontés à un trafic routier congestionné, finissent par se tourner vers le diesel.

Les petites voitures privées de diesel

Mais l'avenir du diesel n'est pas tout rose, pour plusieurs raisons. D'abord, les investissements et innovations ont fait du diesel un produit de luxe. Tant et si bien qu'elle ne sied plus aux petites voitures. Les dernières Twingo, C1 et 108, soit le segment représentant la moitié du marché automobile, ne sont d'ailleurs plus proposées qu'en motorisations essence. Par ailleurs, l'avantage comparatif du gazole a tendance à s'estomper. En-dehors des considérations fiscales (qui favoriseront de moins en moins le diesel à la pompe dès le 1er janvier 2015), c'est la maintenance technique qui a renchéri. Les moteurs sont devenus très sensibles à la qualité du gazole, et ils s'abîment plus vite que leurs aînés.

Le premier marché de PSA n'achète pas de diesel

Les constructeurs français doivent surtout faire un choix stratégique. Pour l'instant, le diesel reste circonscrit au marché européen. Or, le premier marché de PSA est devenu... la Chine ! Ses investissements en R&D dans le diesel ne seront donc pas amortis sur ce marché. Inimaginable ! Et son hybride diesel, le premier du monde comme le groupe se plaisait à le répéter, ne pourra guère dépasser les frontières du vieux continent. En interne, on confesse que l'hybride diesel ne devrait pas voir d'investissements R&D supplémentaires dans les années à venir. Le groupe essaie de développer une nouvelle technologie hybride appelée hybride air et qui se basera sur... une motorisation essence. Pour Yann Lacroix, analyste automobile chez EulerHermès, les efforts de PSA dans son premier hybride ne devraient toutefois pas rester vain:

"Le choix de l'hybride diesel permet à PSA de maitriser la technologie de la motorisation hybride. Le groupe ne redémarre pas de zéro dans le développement d'une nouvelle motorisation essence".

Le downsizing, nouvelle priorité essence

Les deux constructeurs ne l'assument pas officiellement mais leurs investissements s'orientent clairement vers des motorisations essences plus petites mais plus puissantes et efficientes (le downsizing). "Depuis une dizaine d'années, il y a eu un vrai progrès technique sur les motorisations thermiques et le développement de moteurs 3 cylindres. On trouve également des moteurs 4 cylindres de moyenne cylindrée qui développent 260 chevaux", explique Yann Lacroix.

Ainsi, la raison conduit les constructeurs français à se tourner vers l'essence, mais leur cœur reste fortement attaché au diesel...