CO2, SUV... L'industrie automobile a-t-elle perdu la bataille de l'opinon ?

L'industrie automobile est de plus en plus montrée du doigt pour son empreinte environnementale et pour la santé. Au point que des députés de la majorité ont tenté de déjouer le rétropédalage de Bercy sur le projet de taxe sur le poids des voitures. Les représentants de la filière automobile admettent que le débat leur échappe et s'inquiètent des conséquences industrielles et économiques de nouvelles restrictions législatives...
Nabil Bourassi
(Crédits : Peugeot)

"On nous traite comme l'industrie du tabac", soupire cette cadre de la filière automobile au lendemain de la publication d'un nouveau rapport à charge contre les SUV. L'association environnementale WWF a publié mardi une étude sur l'impact des ventes ces véhicules au look baroudeur de type 4X4, dans l'accomplissement des objectifs de réduction de CO2 à horizon 2030. Elle estime qu'un SUV émet 20% de gaz à effet de serre de plus qu'une voiture classique. Or, les SUV représentent désormais 38% des ventes de véhicules neuf en France, contre 5% il y a dix ans.

"Stopper la course aux SUV"

Cette étude a provoqué une pluie de réactions enflammées. Les uns réclament l'interdiction pure et simple des SUV, tandis que les autres ont pointé une étude "à charge et partisane". "Il faut stopper la course aux SUV en France", déclare Pierre Cannet, président de WWF dans une interview dans 20mn. "Les SUV sont très polluants, très lourds, très gros, très encombrants, plus accidentogènes que les autres véhicules. Pour le climat et pour notre sécurité, ce type de véhicules n'a décidément rien à faire dans nos villes", a, pour sa part, twitté David Belliard, élu à Paris et nouvel adjoint aux transports d'Anne Hidalgo. D'autres enfin, comme Delphine Bathot, veulent interdire les publicités pour les SUV, ou ajouter des mentions spéciales, à la manière des publicités sur les boissons alcoolisées.

Ce rapport survient au moment où le gouvernement a tenté d'enterrer la proposition d'une taxe au poids, émise par la Convention citoyenne et pourtant retenue par Emmanuel Macron. Bercy a annoncé vendredi 25 septembre que cette taxe ne ferait pas partie du projet de loi de finances. Sortie par la porte, cette proposition est revenue par la fenêtre puisqu'une alliance de députés de la majorité et de l'opposition sont parvenus à la remettre au menu de la commission des lois de l'Assemblée (qui l'a rejeté ce mercredi).

Des profits nécessaires

Pour l'industrie automobile, l'idée d'une taxe sur le poids est vécue comme une véritable aberration économique aux conséquences industrielles catastrophiques. "L'industrie automobile a besoin de réaliser des marges, ces marges servent à l'emploi mais aussi à investir dans la transition énergétique, les SUV sont un vrai pourvoyeur de profits, et ce sont ces profits qui ont permis à l'industrie automobile d'investir dans les technologies environnementales et ainsi fait baisser les émissions de CO2 de 35% en 20 ans", défend Xavier Horent, délégué général du CNPA, le syndicat qui représente la filière des services liés à l'automobile (distributeurs, garages, loueurs, auto-écoles...).

Dans nos colonnes, c'est Thierry Cognet président du CCFA (et qui représente les constructeurs automobiles), qui s'est insurgé contre l'idée d'une taxe poids lourd: "le gouvernement veut-il réellement instaurer une taxe qui ponctionnera le secteur de 4 milliards d'euros, alors que le plan de relance s'élève à 7 milliards? C'est un véritable plan de massacre de notre industrie qui se prépare", avait-il déclaré quelques jours avant le rétropédalage de Bercy.

Lire aussi : «Un plan de massacre de l'automobile française se prépare», Thierry Cognet (CCFA)

De fait, l'industrie automobile française a opéré une reconversion de ses activités autour des SUV. Chez PSA, la plupart des sites français produisent désormais des SUV: à Sochaux où la cadence atteint le chiffre record de 400.000 voitures par an, on produit des Peugeot 3008 et 5008, ainsi que des Opel Granland X. Le site de Rennes, longtemps menacé de fermeture, s'est offert un nouvel avenir en fabriquant des Citroën C5 Aircross et des Peugeot 5008. Mais les opposants au SUV rappelle que Toyota construit avec succès des Yaris à Valenciennes. Nissan a affecté ses Micra à Flins. Sauf que Toyota va probablement diversifier la production de son site de Valenciennes avec un produit plus grand que la célèbre citadine japonaise made in France. Et la Micra représente des volumes très limités. En outre, les profits générés par une Micra ne sont pas ceux d'un 3008. Et cela change tout...

100.000 emplois en danger ?

Pour la filière automobile, la facture à payer risque d'être salée. Près de 100.000 emplois sur le seul écosystème des services à court terme, avance Xavier Horent du CNPA qui représente déjà 500.000 emplois. Bien plus à un horizon plus long. Les constructeurs automobiles n'osent pas chiffrer mais promettent un hiver funeste si une taxe de plusieurs milliers d'euros devait s'appliquer sur des SUV familiaux.

De leur côté, les opposants leur oppose des considérations environnementales. Un SUV pèse lourd et émet donc davantage de CO2, comme vient de le démontrer l'étude WWF. Ils ajoutent qu'en termes d'usage, le SUV est largement superflu pour les usages du quotidien. Le succès des partis écologiques au dernier scrutin électoral a largement propulsé ces idées à travers l'opinion publique. Les médias se jettent sur la moindre déclaration visant à réduire le trafic automobile.

La filière, elle, se contente de colmater les brèches a posteriori. Les réactions au rapport de WWF n'ont pas produit les effets escomptés. Le porte-parole du CCFA, François Roudier, a critiqué la méthodologie du rapport qui reprend des données datant de 2018, niant ainsi le changement de normes, l'arrivée de gammes électrifiées, le renoncement de certaines motorisations pour respecter les objectifs de CO2 de 2020. Il rappelle également que les SUV ont remplacé les monospaces autrement plus lourds. Sans convaincre une opinion désormais acquise. Après le diesel, sujet sur lequel Carlos Tavares disait "ne plus être audible", la filière est en train de perdre une nouvelle bataille médiatique et se laisse dicter l'agenda des polémiques qu'elle ne voit plus arriver.

Le débat "confisqué"

"Nous avons laissé nous faire confisquer le débat, c'était une erreur", admet Xavier Horent. Le maintien de l'amendement contre l'avis du gouvernement sur la taxation sur le poids en dit long sur la pression médiatique qui pèse sur les élus. La filière hésite à rappeler la réalité économique derrière, de peur d'être taxé de faire un chantage à l'emploi. "Nous sommes pourtant proches d'un point de rupture", prévient Xavier Horent qui veut "reprendre le nouveau récit de l'automobile et rappeler tout ce que l'industrie a accompli cette dernière décennie en matière d'environnement". Sévère, Karima Delli, élue EELV et présidente de la Commission Transport du Parlement européen, rétorque:

"Il y a un mouvement inéluctable du consommateur en faveur d'une mobilité partagée qui se traduira implacablement par moins de voitures en circulation, et ce n'est pas lié à une quelconque fiscalité, j'observe que les constructeurs ne se sont jamais préparés à cette transformation en posant les termes d'une reconversion de leur industrie"

Les ventes de SUV se poursuivent

Un cadre dirigeant d'un constructeur automobile relativise néanmoins: "il y a une demande de SUV car il répond à des besoins et des usages, pour le moment, cette supposée adhésion de l'opinion publique n'a absolument pas contaminé les ventes de SUV". "Le SUV reste la meilleure façon de vendre des motorisations hybrides", souligne, de son côté, un analyste financier. Au CCFA, Thierry Cognet rappelle que la taxe carbone pénalise déjà le poids des voitures puisque celui-ci a nécessairement une incidence sur les émissions de CO2.

Enfin, la filière craint qu'une telle taxe porte un coup fatal à la compétitivité de l'industrie automobile française, en faveur des marques étrangères. Sur ce point Karima Delli s'est voulue rassurante: "nous travaillons sur un projet de fiscalité sur le poids au niveau européen et éviter toute concurrence déloyale". Mais même au niveau européen, le lobbye de l'automobile a perdu de son aura. En 2019, la très puissante industrie allemande était parvenue à limiter les objectifs de CO2 à horizon 2030... En septembre, elle n'a pas pu empêché l'annonce par la commission européenne d'un nouveau durcissement des objectifs CO2. Cet objectif vient tout juste d'être durci par le parlement européen à une écrasante majorité de députés.

Nabil Bourassi

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Commentaires 5
à écrit le 10/10/2020 à 11:39
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La voiture électrique c'est l'écran de fumée qui cache le sujet du réchauffement climatique. C'est aussi le moyen de monter le prix des voitures d'environ 30 % soit par le prix de l'électrique, soit par les malus impressionnants C'est une perte de po...

à écrit le 10/10/2020 à 8:03
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Qu’elle le problème? Un problème d’offre ou de demande? Il semble que ce soit un problème de demande. Les véhicules proposés sont conformes aux réglementations en vigueur. Le soucis est que les gens les achètent alors que ces voitures consomment. Il...

à écrit le 09/10/2020 à 10:12
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Appliquer en France une taxation au poids ou autre aux SUV, voulue par le diktat des ONG de l'environnement, c'est doublement, tuer ce qui reste d'industrie française sur le territoire et entacher sérieusement l'entente qui règne actuellement ds le c...

à écrit le 09/10/2020 à 9:24
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C'est étonnant cette campagne de contrôle social : de quel droit prétend-on empêcher chacun de se faire plaisir et d'acquérir le véhicule de son choix alors que celui-ci correspond à toutes les contraintes légales et réglementaires de mise en circula...

à écrit le 09/10/2020 à 9:13
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Le pétrole à faible prix se termine et il me semble très hasardeux de poursuivre vers un modèle de voiture puissante et lourde. A quand les petites bagnoles qui ne consommerons que 2,5l..

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